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13 février 2017

Natacha Polony: «Nos nouveaux maîtres en sweat-shirt»

 

Par Natacha Polony
Publié le 10/02/2017 à 17h26

TRIBUNE - En nommant un ambassadeur auprès des GAFA, le Danemark entérine la déterritorialisation de ces grandes multinationales. Comme le Vatican veillait sur nos âmes, les GAFA s'occupent de nos vies.

C'est une information passée largement inaperçue au milieu de la campagne électorale et de ses remous médiatico-judiciaires. Le Danemark vient d'annoncer son intention de nommer un ambassadeur auprès des GAFA. Google, Apple, Facebook et Amazon, auxquelles il conviendrait d'ajouter Microsoft. Une annonce assortie de cette remarque du ministre des Affaires étrangères: «Dans le futur, nos relations bilatérales avec Google seront aussi importantes que celles que nous avons avec la Grèce.»

«Offrir le statut d'État aux GAFA, c'est accepter l'idée que l'argent permet de déroger aux règles communes du droit»

On aurait tort de balayer cette information d'un revers de la main, comme l'exemple du coup de com chargé de faire parler d'un pays tellement moins en vue que le nôtre sur la scène internationale. L'argument porté par le ministre des Affaires étrangères nous prouve au contraire que personne ne songe à plaisanter en la matière. Et pour cause: il est question d'argent. Les multinationales du numérique, dont la capitalisation boursière atteint à grands coups d'optimisation fiscale les 2200 milliards de dollars, et dont le chiffre d'affaires en 2014 dépassait largement le PIB du Danemark, ont acquis un poids jamais égalé pour des intérêts privés. Un poids qui se manifeste très concrètement pour un pays comme le Danemark par l'ouverture d'un immense centre de données, mais qui touche surtout au quotidien de ses citoyens, à travers les recherches sur l'intelligence artificielle et ses innombrables applications. Un poids certainement plus important que celui de quelques Grecs coupables de n'avoir pas assez rogné sur leurs pensions de retraite pour éviter de fragiliser nos banques. Ça valait bien un ambassadeur, non?

Mais un ambassadeur n'est pas seulement un aimable personnage en costume cravate chargé d'exécuter quelques ronds de jambe. Par un ambassadeur transitent des informations qui relèvent des relations entre États et échappent le plus souvent au contrôle des citoyens. Offrir le statut d'État aux GAFA, c'est donc accepter l'idée que l'argent permet de déroger aux règles communes du droit, en l'occurrence celui qui régit toute entreprise privée dépendant d'un État dont elle utilise les infrastructures et à qui elle doit des impôts. C'est entériner la déterritorialisation de ces grandes multinationales (qui n'en restent pas moins américaines quand il s'agit de promouvoir un modèle juridique et normatif et quand il s'agit de bénéficier du soutien actif de la puissance impériale) et leur pouvoir sur leurs ouailles, partout dans le monde, au même titre que le Vatican veille sur les catholiques.

Nouveau culte

«Nous croyons profondément au pouvoir de la technologie pour faire le bien»

Sheryl Sandberg, numéro 2 de Facebook

On comprend bien que pour des dirigeants obsédés par la peur de rater le train de la modernité, il semble indispensable de communier selon le nouveau culte. Anne Hidalgo, qui trouve plus valorisant de célébrer les «villes-monde» débarrassées de ces arrière-pays vulgaires où survivent des classes moyennes et populaires que de s'occuper de l'insalubrité et de la misère qui défigurent Paris, recevait en grande pompe, le 17 janvier, la numéro 2 de Facebook, Sheryl Sandberg, qui lui a élégamment «passé la parole» après son discours, parce qu'en la matière, le protocole donne la prééminence à la véritable puissance d'accueil… Sheryl Sandberg a pu décliner le programme de ces multinationales qui nous vendent un monde meilleur: «Nous croyons profondément au pouvoir de la technologie pour faire le bien.»

C'est donc pour ça que les GAFA s'engagent dans la lutte contre le président élu des États-Unis, pour ça que leurs dirigeants préfèrent la redistribution individuelle d'une part de leur immense fortune par le biais de fondations plutôt que la redistribution collective par l'impôt, sous le contrôle des citoyens! C'est pour notre bien! Comme l'Église catholique veillait sur nos âmes, les GAFA s'occupent de notre immortalité. Les délinquants fiscaux en sweat-shirt à capuche sont en fait des figures de sainteté qui vouent leur vie à rendre la nôtre plus belle.

Olivier Iteanu, auteur d'un livre * dénonçant la capitulation de l'Union européenne face à une Silicon Valley qui impose le droit américain à l'ensemble de la planète, explique que c'est un ouvrage de deux dirigeants de Google qui fut pour lui comme un révélateur. Les deux compères recommandaient aux parents de prénommer leur enfant de manière à ce qu'il ait un bon classement dans le moteur de recherche Google. «Un livre totalitaire», déclare l'avocat qui se dit «pour l'universel, pas pour le global». Tel est bien l'enjeu. Un monde global, une emprise totale sur l'ensemble des vies humaines, avec l'assentiment de consommateurs ravis et de politiques «progressistes» prêts à rendre leurs devoirs aux nouveaux maîtres du monde. On songe aux réflexions d'un jeune auteur mort à 33 ans, dont Google pourra sans doute s'approprier l'œuvre numérisée: Étienne de la Boétie, auteur duTraité sur la servitude volontaire.

* Quand le digital défie l'État de droit (Éditions Eyrolles).

Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 11/02/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici

http://premium.lefigaro.fr/vox/societe/2017/02/10/31003-20170210ARTFIG00231-natacha-polony-nos-nouveaux-maitres-en-sweat-shirt.php 

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