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27 février 2017

Natacha Polony : «Bayrou ou le naufrage du vaisseau fantôme»

 

Par Natacha Polony

sur LE FIGARO


Mis à jour le 24/02/2017 à 16h21 | Publié le 24/02/2017 à 15h56

CHRONIQUE - Le président du MoDem s'engage aux côtés du candidat Emmanuel Macron dans le premier tour de la présidentielle. «Mais alors, ce n'était donc que cela, le rêve d'une troisième voie?»

La «Belle Alliance» proposée par François Bayrou à Emmanuel Macron, ce fut son premier effet, a détendu les marchés financiers. Ravis, les traders! Avec le renfort du Béarnais, on se rapproche, pensent-ils, de la révolution dont ils rêvent, la révolution étant étymologiquement le mouvement de tour sur soi-même qui fait revenir à la position initiale. Gageons que ces braves gens savent reconnaître leur intérêt. La victoire possible du marcheur sur l'eau réjouit ces «intérêts financiers» que François Bayrou avait si bien identifiés il y a six mois. Ceux qui voulaient «réussir avec Macron ce qu'ils ont raté avec Strauss-Kahn». Mais ça, c'était il y a six mois.

«De quel centre parlons-nous? Ceux qui ont tant de mal, depuis tant d'années, à nous expliquer ce qu'ils entendent par droite et gauche»

François Bayrou a donc proposé une alliance, acceptée par Emmanuel Macron au bout d'une heure et douze minutes de réflexion, démontrant la spontanéité d'une entente loin des manœuvres d'appareil… Logique, ont commenté les commentateurs. Le centre s'allie au centre, «Embrassons-nous, Folleville!»… Mais de quel centre parlons-nous? Ceux qui ont tant de mal, depuis tant d'années, à nous expliquer ce qu'ils entendent par droite et gauche, ne sont visiblement pas plus clairs sur ce que recouvre l'entre-deux.

Il existe en France une tradition politique faite d'enracinement, de mémoire et de modération. Une tradition lointainement héritée du personnalisme et de la démocratie chrétienne, qui aspire à limiter la brutalité du capitalisme en remettant l'homme au centre des préoccupations, et qui porte un rêve d'Europe - certes totalement éloigné des réalités de l'Union européenne, courant systématiquement derrière la chimère d'un fédéralisme qui, par magie, réglerait les problèmes en les amplifiant - mais une Europe capable de réunir les peuples autour d'un projet démocratique. François Bayrou prétendait incarner cette tradition.

«L'enracinement, il l'a revendiqué à travers ses origines paysannes comme à travers sa plume, la dernière, pour un politique, encore trempée dans l'amour des lettres françaises»

L'enracinement, il l'a revendiqué à travers ses origines paysannes comme à travers sa plume, la dernière, pour un politique, encore trempée dans l'amour des lettres françaises. La mémoire, c'est celle dont il estime que l'école doit se faire la garante. La modération, elle l'a poussé à rejeter les excès d'un Sarkozy comme à dénoncer la précipitation dans laquelle François Fillon déposa les statuts d'un cabinet de conseil quelques jours avant d'être élu député, sachant qu'il ne le pourrait plus après, afin de pouvoir monnayer son carnet d'adresses auprès d'une multinationale de l'assurance. Voilà qui choquait le chrétien adorateur de Charles Péguy. Ce courant-là existe en France, même s'il a jusqu'à présent échoué à proposer une troisième voie, entre la fascination de l'argent et la vénération de l'État bureaucratique.

Ce courant, comme avant lui le gaullisme social, se retrouve désormais en déshérence puisque celui qui s'en faisait le héraut vient de rejoindre, pour le plat de lentilles d'un strapontin médiatique, Alain Minc, Bernard Kouchner, Jacques Attali, Pierre Bergé, Xavier Niel, Patrick Drahi, Jacques Séguéla, Dany Cohn-Bendit et Vincent Bolloré dans le culte du veau d'or. Les contempteurs des racines et de ces «radis» qui ont la bêtise d'y être attachés, les grands ordonnateurs d'une Europe des Pyrénées aux Rocheuses, paillasson des États-Unis, les joyeux cumulards des empires médiatiques, les chantres de la GPA, parce que «louer son ventre, pour une femme, c'est comme louer ses bras pour un ouvrier», les esprits progressistes qui n'acceptent de limites ni au libéralisme économique ni à son pendant sociétal.

«Mais alors, ce n'était donc que cela, le rêve d'une troisième voie? L'acceptation de la globalisation néolibérale maquillée en sermon campagnard?»

Mais alors, ce n'était donc que cela, le rêve d'une troisième voie? L'acceptation de la globalisation néolibérale maquillée en sermon campagnard? Et quand Emmanuel Macron estime qu'il «n'y a pas de culture française, mais une culture en France, et elle est diverse», quand il proclame «l'art français, je ne l'ai jamais vu», pour mieux racoler une jeunesse dont il imagine qu'elle soignera son ressentiment dans le nomadisme festif et les rêves de richesse facile, cela semble-t-il acceptable à l'agrégé de lettres fils de paysan?

Dans la recomposition du paysage politique à laquelle les oblige un système économique chaque jour plus insoutenable et qui s'accommode de moins en moins des bribes de démocratie pouvant mettre en cause son pouvoir, les élites françaises sont forcées de jeter le masque. Quand les enjeux se nomment impérialisme juridique américain, optimisation fiscale de multinationales totalitaires, ruine du tissu industriel et agricole français, détournement des masses vers un consumérisme abrutissant qui leur interdit peu à peu de se penser encore comme un peuple, l'alliance proposée par François Bayrou à Emmanuel Macron rappelle plus que jamais ce hameau de «La Belle Alliance» où, au soir de Waterloo, Prussiens et Anglais célébrèrent la défaite de la France.

Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 25/02/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici

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