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29 mai 2017

Rupture ou continuité : ce que sera la diplomatie française au Moyen-Orient en cas de victoire de M. Le Pen ou d'E. Macron

Publié le 1 Mai 2017

par Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant indépendant et analyste chez JFC-Conseil. Il est par ailleurs docteur en histoire et chercheur associé à l'IREMAM, Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman d’Aix-Marseille Université, également membre actif de l’association Euromed-IHEDN.

Il est spécialiste des relations internationales, particulièrement de la région du Maghreb et du Moyen-Orient, ainsi que des problématiques de géopolitique, de sécurité et de défense.

Conflit syrien, situation en Libye, lutte contre le terrorisme : autant de questions internationales importantes pour la France que les deux prétendants à l'Elysée envisagent différemment.

 

 

Publié le 1 Mai 2017
Rupture ou continuité : ce que sera la diplomatie française au Moyen-Orient en cas de victoire de Marine Le Pen ou d'Emmanuel Macron
Atlantico : En cas de victoire d'Emmanuel Macron au 2e tour de la présidentielle, comment évoluerait la lutte contre le terrorisme par rapport à celle menée actuellement dans notre pays ?

Roland Lombardi : Pour répondre à cette question, je crois qu’il faut d’abord mettre en perspective le programme sur ce sujet des deux candidats qualifiés pour le second tour de l’élection présidentielle.

Rapidement, d’un côté, nous avons, avec Marine Le Pen, la question de la lutte contre le terrorisme qui est la clé de voûte de son programme. Très lié à ses propositions sur la justice, la sécurité et l’immigration, le programme de Marine Le Pen sur ce thème est principalement axé sur un durcissement des mesures actuelles, voire des suggestions jugées trop sécuritaires par les bien-pensants mais qui, il faut le rappeler, sont relativement proches de celles du programme du candidat malheureux, François Fillon et de son principal conseiller à la sécurité, Eric Ciotti.

Son programme, comme l’était le programme de François Fillon d’ailleurs, a le mérite au moins de poser la question à propos, par exemple, de l’avenir des 10 000 fichés S, des associations et des organisations proches des islamistes, ou encore de la mise en place d’un véritable islam de France.

En revanche, du côté d’Emmanuel Macron et du parti En marche !, les mesures proposées sur la sécurité en général, et pour combattre le terrorisme, sont assez évasives et nébuleuses. En dépit de quelques propositions abstraites et assez banales comme l’augmentation des budgets ou la création de petits centres contre la radicalisation (qui existent déjà et qui ont déjà largement prouvé leur inefficacité), il n’y a pas de projets de fond et aucune référence n’est faite, par exemple, sur le problème et les dangers de l’islam radical en France.

Par ailleurs, une des dernières déclarations du candidat au second tour de la présidentielle faisant suite à la récente attaque des Champs Elysée, a de quoi inquiéter : "Moi, je ne vais pas inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit" ! Cela est même choquant pour un ancien ministre qui a fait partie d’un gouvernement "en guerre" et qui a connu depuis deux ans une vague d’attentats sans précédent historique, causant la mort de près de 240 de nos compatriotes ! 

Ensuite, il y a eu la polémique sur Mohamed Saou, un référent du parti En Marche !, dont Emmanuel Macron a fait un portrait élogieux alors que celui-ci est connu pour ses liens sulfureux avec l’islam politique… Puis, le soutien à Emmanuel Macron de l’UOIF, organisation proche des Frères musulmans et, rappelons-le, considérée comme organisation terroriste par de nombreux pays, peut légitimement inquiéter certains électeurs quant à la prise de conscience du finaliste du second tour sur cette question, pourtant primordiale, de l’islamisme en France…

Enfin, au sujet de l’immigration, là encore, Emmanuel Macron est peu prolixe. Une de ses rares propositions consiste simplement à examiner les demandes d’asile en moins de 6 mois, recours compris. Vous me direz que cela n’a rien d’étonnant de la part de celui qui saluait, il y a quelques mois, la politique menée par la chancelière allemande Angela Merkel en faveur de l’accueil des réfugiés… Apparemment donc, Emmanuel Macron, comme beaucoup de responsables français et européens, n’a pas encore compris que la crise des migrants est peut-être la plus grande crise géopolitique qu’est en train de connaître l’Europe.

Pour conclure et répondre enfin à votre question, je pense que la lutte contre le terrorisme sous la présidence d’Emmanuel Macron ne connaîtra finalement pas d’évolution majeure par rapport à la politique actuelle. J’ai donc bien peur, qu’au-delà des efforts et du travail remarquable de nos services, le prochain président Macron, comme son prédécesseur, se complaira encore dans le déni des réalités et gèrera, malheureusement, la menace au "coup par coup"… jusqu’au futur attentat de masse qui touchera une nouvelle fois notre territoire.

 

 

Toujours dans l'hypothèse d'une victoire du candidat d' "En marche!", quels changements de positions françaises pourrait-on observer sur les grands dossiers moyen-orientaux qui préoccupent Paris (Syrie, Libye, conflit israélo-palestinien, etc.) ? 

Il est encore difficile de répondre à cette question puisque nous ne connaissons toujours pas les personnalités qui participeront aux futurs gouvernements, et notamment le nom de leurs éventuels ministres des Affaires étrangères, de Monsieur Macron et Madame Le Pen.

Là aussi, nous sommes obligés de nous fier aux seules déclarations des candidats et à leurs programmes respectifs traitant des sujets internationaux.

Pour Marine Le Pen, je ne connais pas les experts ou les spécialistes qui la conseillent sur ces questions. Toutefois, on peut entrevoir les grandes lignes de son programme notamment avec ses différentes interventions et surtout, avec trois de ses voyages à l’étranger. Le premier en 2015, lorsque Marine Le Pen s’est rendue au Caire pour rencontrer le grand imam de la mosquée Al-Azhar et le pape copte Théodore II. Le second au Liban en février 2017 avec son entrevue avec le président Aoun et enfin, en mars dernier, sa visite à Moscou pour s’entretenir avec Vladimir Poutime. Ainsi, avec ces déplacements symboliques, on discerne aisément son intérêt pour les chrétiens d’Orient, son désir de mettre la lutte contre l’islam radical au centre de sa future politique dans la région (Al-Azhar étant, avec le président Sissi, à la pointe du combat contre les Frères musulmans), sa position sur la Syrie et enfin - on lui a d’ailleurs beaucoup reproché - son souhait d’une normalisation des relations entre la France et la Russie (dorénavant incontournable au Moyen-Orient). De fait, à l’instar des anciens candidats Fillon et Mélenchon, et concernant la politique de la France en Syrie ou les rapports entre Paris et Moscou, Marine Le Pen semble vouloir fonder sa politique moyen-orientale sur le principe de précaution et le réalisme.

La différence notable avec Emmanuel Macron se situe notamment sur la Russie. En effet, le candidat d’En Marche ! veut "des discussions fermes et sans concessions" avec le Kremlin, particulièrement sur la Syrie. Cependant, il a certes évolué de manière positive durant la campagne à propos du drame syrien. Dernièrement, il a en effet déclaré que la priorité en Syrie était "la lutte contre Daesh" et qu’il ne souhaitait plus le départ immédiat de Bachar el-Assad. Il a également plaidé pour "travailler avec ses représentants pour le sortir du jeu". Mais quelques instants plus tard, l’ancien ministre de l’Economie s’est aussi dit favorable à une intervention militaire en Syrie après l’attaque chimique présumée faisant plus de 80 morts dans la province d’Idleb, si la responsabilité du régime était établie. Cette intervention se ferait alors sous l’égide de l’ONU, oubliant naïvement un veto inévitable de Moscou…

Par ailleurs, nous connaissons les personnes qui inspirent Emmanuel Macron sur les dossiers du Moyen-Orient. On les dit d’expérience. Soit. Mais pour ma part, j’émettrai une certaine réserve. Car parmi cet aréopage, un certain nombre de chercheurs, de "spécialistes", de hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay et de diplomates gravitent déjà depuis des années autour du parti et du pouvoir socialistes. Or, beaucoup d’entre eux sont les mêmes qui se sont lamentablement trompés sur le développement des Printemps arabes et qui ont émis jusqu’ici des analyses toujours plus erronées les unes que les autres sur l’évolution de la région. Dans le réseau Macron, seuls trouvent grâce à mes yeux des hommes comme Jean-Claude Cousseran, ancien directeur de la DGSE, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, le chantre de la nouvelle Realpolitik à la française et enfin, Jean-Yves Le Drian, l’actuel ministre de la Défense, homme d’expérience et fin connaisseur de tous les dossiers sensibles du moment. Le problème c’est que Jean-Yves Le Drian est aussi le meilleur VRP de l’armement français dans la région et il est donc très lié aux Saoudiens, qui font partie de nos principaux clients et qui sont également des investisseurs importants dans l’économie bretonne… Seulement, ce sont nos liens commerciaux avec Riyad et notre alignement sur les visées régionales de la monarchie bédouine qui ont littéralement plombé notre indépendance stratégique au Moyen-Orient avec les conséquences que l’on sait sur notre influence et notre rayonnement…

Reste enfin à savoir combien pèseront ces trois hommes face à d’autres proches tout aussi influents auprès d’Emmanuel Macron, comme le belliciste Bernard-Henri Levy, le vieux gourou du droit d’ingérence, Bernard Kouchner ou encore l’idéologue sur le retour, Daniel Cohn-Bendit ?

 

 

 

D'Emmanuel Macron ou Marine Le Pen, quel est le candidat qui permettrait à la France de retrouver véritablement sa stature internationale, notamment dans la résolution des principaux dossiers moyen-orientaux ?

"Une France puissante et respectée dans le monde" est la phrase qui figure en tête du programme des deux candidats. Mais pour que la France soit de nouveau respectée et écoutée, il faut qu’en premier lieu elle retrouve une sorte de leadership au sein de l’Europe et qu’elle entreprenne une véritable révolution copernicienne de sa diplomatie en Afrique, en Méditerranée (notre frontière la plus importante) et au Moyen-Orient.

Pour cela, nous devons rapidement nous forger une âme d’acier et bannir l’autoflagellation permanente et notre sentiment de culpabilité (notons au passage qu’ Emmanuel Macron a fait piteusement le contraire lors de sa visite en Algérie en février dernier). Il faut abandonner notre "Irréalpolitik", se rapprocher de la Russie et, comme elle, définir et adopter expressément une politique ambitieuse, claire et cohérente en Méditerranée et au Moyen-Orient, basée non plus sur nos seuls profits commerciaux mais sur une lutte impitoyable contre l’islam radical et politique (dans notre intérêt et celui des musulmans). Il faut cesser d’être une puissance hautaine et moralisatrice alors que tout le monde arabe nous considère comme d’avides marchands de canons, paralysés par nos riches clients du Golfe. Il faut enfin, comme je l’avais déjà écrit, mettre de côté "nos discours moralisateurs, notre ingérence politique, notre 'fondamentalisme démocratique et droit-de-l’hommiste' hypocrite pour leur préférer peut-être 'une ingérence de la coopération ou du co-développement' et des valeurs comme le courage, le sens de l’honneur, de la fidélité et de la parole donnée, qui auront certainement beaucoup plus d’impact dans cette partie du monde… "[1]

Alors qu’en sera-t-il à partir du 8 mai prochain ?

Il demeure encore de nombreuses questions concernant la nature d’une éventuelle présidence de Marine Le Pen. D’abord, en dépit de son alliance avec Nicolas Dupont-Aignan et ses réajustements de l’entre-deux tours à propos de l’euro et de ses positions sur les institutions européennes, la candidate souverainiste parviendra-t-elle à redonner un leadership à la France au sein de l’Union européenne ? Sortira-t-elle de l’Otan comme elle l’annonce dans son programme ? Qui sera son ministre des Affaires étrangères, qui seront ses conseillers diplomatiques et ses diplomates ? Quelles seront ses relations avec des pays comme l’Iran ou encore l’Algérie et Israël qui sont deux partenaires décisifs dans notre lutte contre le terrorisme ? Que va-t-elle faire avec les monarchies du Golfe ?

En attendant, seule certitude, et on ne peut le nier, c’est une femme de caractère qui dégage une certaine forme de fermeté et d’autorité. Deux qualités que l’on respecte énormément au Proche-Orient. Ceci peut alors se révéler être un immense avantage pour l’image de la France si mise à mal depuis ces cinq dernières années dans la région.

Quant à Emmanuel Macron élu, sera-t-il le président de la rupture fondamentale avec un quinquennat dont le bilan diplomatique est désastreux au Moyen-Orient (fiascos diplomatiques dans les conflits israélo-palestinien et syrien, mise hors jeu de la France en Syrie, terrorisme…) ?

Jeune technocrate, néophyte et sans expérience des Affaires étrangères, le leader d’En Marche ! est très loin d’être un fin connaisseur des arcanes moyen-orientales. Le président Macron parviendra-t-il à devenir un homme d’Etat digne de ce nom qui sera enfin écouté et respecté ?

Ancien banquier, spécialiste de la finance et, comme on l’a vu plus haut, encore trop entouré d’idéologues et d’ "experts" déconnectés des réalités de la région, fera-t-il les bons choix et saura-t-il comprendre qu’en relations internationales, tout n’est pas qu’une question de parts de marché à conquérir, de sondages, de calculs électoraux ou pire, d’idéologie ?

Pour ma part, tout en espérant me tromper, je crains que malgré son apparente fraîcheur, le président Macron s’inscrive dans la continuité d’un interventionnisme irréfléchi et la filiation de la politique de son prédécesseur, marquée (sauf au Mali) par les erreurs, les mauvais choix, les échecs et finalement l’effacement progressif de notre pays au Moyen-Orient et ailleurs.

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