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17 juillet 2017

Natacha Polony : «Charlotte et le pot de fer»

 

Par Natacha Polony
Publié le 16/07/2017 à 17h12

sur LE FIGARO

CHRONIQUE - La France est peuplée de héros. Ils sont paysans, artisans, instituteurs, ouvriers spécialisés ou petits patrons et maintiennent des filières agricoles ou industrielles.

Ô joie, la France est donc en passe de devenir une «start-up nation». Il serait peut-être malvenu d'avouer que nous n'en demandions pas tant. En fait, les citoyens de ce pays attendent modestement que soient honorés et soutenus ceux qui, par leur travail et leur ferveur, perpétuent ce qu'il a de meilleur, dans quelque domaine que ce soit, du plus innovant au plus traditionnel. Mais puisque l'exercice moderne du pouvoir consiste visiblement à faire le bonheur des citoyens malgré eux, leur désir de prolonger ce qui fait la France passera par profits et pertes. Qui n'a pas lancé son «appli» ne mérite pas l'attention des pouvoirs publics (ni la moindre réduction d'impôts ou de charges). Les derniers des Mohicans de l'excellence française? Qu'ils se débrouillent.

Charlotte Salat a 30 ans. Elle élève un troupeau de cent vaches salers à Cussac, au pied des monts du Cantal. Elle produit un exceptionnel fromage «salers tradition» fermier, dénomination que porte le cantal quand il est issu exclusivement du lait de race salers durant la période d'estive, c'est-à-dire du 15 avril au 15 novembre, quand les vaches sont au pâturage afin de ne se nourrir que d'herbe naturelle. Le défi est immense. Reconnue pour l'excellence de ses fourmes, que se disputent les meilleurs affineurs de France et le gotha étoilé au Michelin, Alain Ducasse en tête, cette jeune paysanne se bat pour sauver l'exploitation de son père et de son oncle. Un talent et un courage qui lui valent d'être médiatisée.

«AOP, fermier, bio, au lait de foin, il faut quatre labels pour simplement faire le camembert que faisait mon grand-père»

Patrick Mercier, éleveur et producteur de camembert

Aussitôt la machine à écraser ceux qui redressent la tête se met en marche et les vexations administratives succèdent aux humiliations professionnelles. Dernier épisode, pour un défaut lactique mineur constaté sur un fromage (sur 240) produit en juillet 2016, les instances fromagères locales (CIF et Inao) lui interdisent de commercialiser ses fromages (ceux de l'été 2017 donc non concernés par le litige), avec le label de l'appellation d'origine protégée «salers». Non seulement Michel Lacoste, président de l'AOP Cantal, dont elle est adhérente, n'a rien fait pour la soutenir, mais Yves Laubert, directeur du CIF (Comité interpro des fromages) demandeur de la sanction, lui lance avec un cynisme débonnaire: «Mais on vit très bien sans l'AOP»… Ainsi va la folie technocratique, animée par les jalousies locales et le besoin d'alignement des normes vers le bas. Alors que ces organismes devraient se flatter des prouesses de l'éleveuse, on s'acharne sur elle parce qu'elle n'hésite pas à dire ce qu'elle pense du système laitier français.

Patrick Mercier est éleveur et producteur de camembert. Il raconte son parcours comme une prise de conscience progressive. Il s'est peu à peu détaché des dogmes de la FNSEA pour se tourner vers un mode d'élevage et de production qui font de son camembert le seul de toute la Normandie qui puisse prétendre ressembler au camembert tel qu'il s'est toujours fait: un fromage au lait cru de vaches normandes nourries à l'herbe et au foin, produits sur son exploitation sans le moindre pesticide. «AOP, fermier, bio, au lait de foin, il faut quatre labels, s'amuse-t-il, pour simplement faire le camembert que faisait mon grand-père.» Son récit ressemble pourtant à celui de ces instituteurs qui, s'apercevant des lacunes de leurs élèves, s'interrogent sur leurs pratiques et découvrent les méthodes syllabiques. Menacés par les inspecteurs, ostracisés par certains de leurs collègues, beaucoup jettent l'éponge. Les autres, ceux qui tiennent, le font avec la modestie de ces «obstinés dans le vrai» dont Victor Hugo disait que, seuls, ils «ont la grandeur ».

C'est dans la perpétuation de la diversité, dans la reconstitution d'une économie locale, que se trouvent les conditions du développement de tous les territoires et de l'inclusion de tous les citoyens

La maire de Champsecret a voulu lui interdire d'appeler son camembert du nom du village. Il n'a pas pu racheter les 14 hectares de terre à vendre sur la commune parce que personne ne voulait qu'il fasse passer en bio ces prairies jouxtant l'école: c'eût été un précédent sur lequel il eût été difficile de revenir. Et puis, il y a les industriels qui trompent le consommateur en accolant sur leurs étiquettes en toute illégalité la mention «Fabriqué en Normandie». L'enseignement agricole qui dissuade les jeunes fermiers de nourrir leurs bêtes à l'herbe: trop compliqué, mieux vaut le soja importé du Brésil. Et l'administration qui lui interdit d'utiliser pour ses vaches l'eau de son puits, pourtant entouré de 45 hectares en bio, sous prétexte qu'elle n'a pas l'agrément.

La France est peuplée de héros. Ils sont paysans, artisans, instituteurs, ouvriers spécialisés ou petits patrons. Ils maintiennent des filières agricoles ou industrielles. Ils les recréent parfois, comme ces jeunes gens qui ont développé leur marque de chaussures sur mesure entièrement fabriquées en France, Chamberlan, en faisant renaître en Dordogne des savoir-faire disparus. Tous auraient besoin que les pouvoirs publics les aident, les soutiennent, les mettent en valeur. On leur promet le «droit à l'erreur», pour que l'administration ne pénalise pas à la première infraction. Maigre consolation. Mais le cas de Charlotte Salat prouve qu'elle est encore lointaine.

Une nation tournée vers l'avenir est une nation qui a compris que, dans ce monde globalisé, où des multinationales ont pris le contrôle de pans entiers de l'existence humaine, c'est dans la perpétuation de la diversité, dans la reconstitution d'une économie locale, que se trouvent les conditions du développement de tous les territoires et de l'inclusion de tous les citoyens.

Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 17/07/2017.

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