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3 janvier 2018

Iran : comprendre la crise en cinq questions

Par  Alexis Feertchak Mis à jour le 03/01/2018 à 07:26
Publié le 02/01/2018 à 19:31

SUR LE FIGARO

FOCUS - Des manifestations ont lieu depuis six jours en Iran, émaillées de nombreuses violences. Une vingtaine de personnes ont été tuées dans des heurts avec les forces de sécurité. Le Figaro fait le point sur une vague de contestation pour l'instant peu organisée face au régime des mollahs.

La République islamique d'Iran est touchée par une vague de protestations qui traverse tout le pays, bien qu'elle épargne relativement la capitale, Téhéran. Depuis jeudi, une vingtaine de personnes ont été tuées, dont une majorité de manifestants hostiles au gouvernement.

» LIRE AUSSI - Iran: colère mortelle contre le régime 

Alors que le président iranien Hassan Rohani, chef de file des modérés, a été réélu à la tête du pays en mai dernier, Le Figaro fait le point sur ce mouvement de contestation protéiforme qui met en avant des revendications tant économiques, sociales que politiques.

● Quelle est l'ampleur des protestations?

Les manifestations ont commencé dans le nord-est de l'Iran dès jeudi à Machhad, la deuxième ville du pays, mais ont rapidement gagné du terrain. Les manifestations concernaient, mardi 2 janvier, une quarantaine de villes petites et moyennes, la capitale, Téhéran, étant moins touchée par la mobilisation. «Le mouvement ne semble pas toucher pour l'instant l'épicentre du pouvoir», commente au Figaro Vincent Eiffling, chercheur à l'Université de Louvain, qui note qu'il est difficile de mesurer l'ampleur des rassemblements dans des zones de faible densité de population.

«Les manifestations sont caractérisées par un haut degré de violence», explique ce spécialiste de l'Iran, qui remarque qu'y prennent part surtout des jeunes de moins de vingt-cinq ans issus de zones rurales traditionnellement conservatrices et généralement acquises au régime. Depuis six jours, 21 personnes ont été tuées, dont 16 manifestants, dans des heurts avec les forces de sécurité. Dans la seule province d'Ispahan, neuf personnes sont mortes dans la nuit de lundi à mardi, selon la télévision publique.

Le président Hassan Rohani a tenu à minimiser l'ampleur des manifestations.

 Quelles sont les causes possibles de ce mouvement?

La contestation s'enracine dans un contexte économique et social fortement dégradé dans un pays où l'inflation a fortement progressé et où la corruption est légion. «C'est un mouvement hétéroclite, au départ spontané, avec personne à sa tête. Il découle d'un fort sentiment de frustration», explique Vincent Eiffling. En cause, les Iraniens des couches populaires, mais aussi des classes moyennes ne voient pas les retombées de la politique du président modéré Hassan Rohani, notamment celles espérées après la conclusion de l'accord international en juillet 2015, qui a permis la levée des sanctions économiques en échange de l'arrêt du programme nucléaire de Téhéran.

» LIRE AUSSI - Mohammad Rasoulof: «La corruption est partout en Iran»

À cette grogne économique et sociale se sont greffées des revendications plus politiques, directement contre le régime en place, pour exiger plus de libertés individuelles - notamment pour les femmes - et plus de transparence. Le 29 décembre, des centaines de personnes ont ainsi manifesté à Qom dans le nord du pays, scandant «Mort au dictateur» ou encore «Libérez les prisonniers politiques». «Ces demandes de changement de régime sont les plus visibles, mais ne sont pas forcément majoritaires», tempère Vincent Eiffling.

Le Guide suprême, Ali Khamenei, a condamné une ingérence étrangère.

 Comment a réagi le gouvernement iranien?

Dès le 30 décembre, le pouvoir organise des contre-manifestations auxquelles participent des dizaines de milliers d'Iraniens. «Le régime dispose d'une forte capacité de mobilisation», confirme le chercheur. En parallèle, le ministre de l'Intérieur demande à la population de ne pas participer à «des rassemblements illégaux». Le sous-préfet de Téhéran, ville pourtant moins touchée, annonce que quelque 450 personnes y ont été arrêtées depuis samedi. L'accès aux réseaux sociaux, à commencer par Telegram et Instagram, est également restreint. «Pour l'instant, ce sont surtout les policiers qui sont déployés, même si certaines organisations de jeunesse paramilitaires comme les volontaires Bassidj le sont également. Mais l'appareil sécuritaire du régime ne s'est pas encore vraiment mis en marche», poursuit Vincent Eiffling qui remarque que «les Gardiens de la Révolution, la pointe du glaive en Iran, n'ont pas encore été mobilisés». L'un des miliciens de cette organisation militaire d'élite au sein du régime a néanmoins été tué à Ispahan.

Politiquement, le président iranien Hassan Rohani a condamné les violences dès le 31 décembre mais a reconnu que l'Iran devait fournir «un espace» pour que la population puisse exprimer ses «inquiétudes quotidiennes». «Le discours de Rohani est inédit. Les autorités n'avaient jamais reconnu que ces troubles pouvaient être légitimes», explique le chercheur. Beaucoup moins compréhensif, le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, a quant à lui brisé son silence ce mardi en accusant les «ennemis» de l'Iran de s'unir pour porter atteinte au régime, sans les citer nommément.

● Quelles sont les réactions internationales?

Derrière les accusations d'ingérence, le guide suprême visait certainement les États-Unis. Le président Donald Trump qui fustige régulièrement l'accord nucléaire signé par son prédécesseur s'est réjoui que «les Iraniens agissent enfin contre le régime iranien brutal et corrompu», dans le dernier des nombreux tweets qu'il a déjà rédigés sur ces manifestations. Les Iraniens ont «faim de nourriture et de liberté» et leurs protestations montrent que «le temps du changement» est venu dans le pays, a encore ajouté le locataire de la Maison-Blanche. «Au lieu de perdre son temps en envoyant des tweets inutiles et insultants, [M. Trump] ferait mieux de s'occuper des problèmes intérieurs de son pays, notamment [...] ses millions de sans-abri et d'affamés», a lâché , ce mardi, un porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères.

D'autres pays ont réagi avec plus de modération. Dans un communiqué, le Quai d'Orsay a ainsi exprimé, ce mardi, «sa préoccupation face au nombre important des victimes et des arrestations». Après un entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et son homologue iranien, les deux dirigeants ont décidé de reporter à une date ultérieure la visite que devait effectuer le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, à Téhéran à la fin de la semaine. La Turquie, «inquiète», met en garde contre une «escalade» et des «provocations». Moscou estime qu'«il s'agit d'une affaire intérieure iranienne». L'Union européenne dit «espérer» que le droit de manifester sera «garanti».  

 Ces manifestations peuvent-elles annoncer une révolution?

Ces manifestations sont les plus importantes depuis le mouvement de contestation, violemment réprimé, contre la réélection de l'ex-président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad en 2009. Néanmoins, ces deux épisodes ne sont pas comparables selon Vincent Eiffling qui note que le «mouvement vert» de 2009 avait surtout concerné la capitale iranienne, Téhéran, et était structuré autour d'une opposition politiquement organisée.

«Il s'agit à l'heure actuelle d'une révolte, pas d'une révolution. À court terme, je ne vois pas le régime en danger», estime le chercheur de l'Université de Louvain. La tournure des événements dépendra en effet de la réaction du gouvernement iranien, mais aussi des opposants. «Si les manifestations entraînent trop de violence, cela pourrait les affaiblir, car beaucoup d'Iraniens, qui observent ce qui se passe en Irak ou en Syrie, craignent plus que tout une guerre civile», poursuit-il. Quant au président Rohani, il essaie de récupérer le mouvement à son profit en évoquant la légitimité des protestations. «Membre du clan modéré, le président justifie la mauvaise situation économique de son pays par l'hostilité des éléments les plus conservateurs de son gouvernement, en espérant s'en débarrasser pour pouvoir mener son propre agenda», explique le chercheur qui estime que sa stratégie a peu de chance de porter auprès des manifestants, mais pourrait satisfaire ceux qui hésitent à franchir le pas.

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