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15 janvier 2018

Elisabeth Lévy : «Depuis des mois, on nous embrigade dans un collectif appelé les femmes»

Par  Alexandre Devecchio Mis à jour le 15/01/2018 à 08:50
Publié le 12/01/2018 à 19:52
Sur le Figaro

 

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Élisabeth Lévy revient sur les raisons qui l'ont poussée à signer une tribune cette semaine, pour dénoncer les excès de la campagne #BalanceTonPorc. À l'occasion de la parution du dernier numéro de Causeur, elle déplore également le recul de la liberté d'expression.

 


 

Élisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Elle est l'une des cent femmes à avoir signé dans Le Monde une tribune défendant une «liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle». Dans son dernier numéro intitulé Charlie Akbar!, le magazine Causeur fait un état des lieux de la liberté d'expression trois ans après les attentats de Charlie.

Vous êtes la cosignataire avec une centaine de femmes d'une tribune qui fustige le puritanisme et la «haine des hommes» après l'affaire Weinstein. Pourquoi avoir signé cette tribune?

Parce qu'on étouffe! Parce qu'il est insupportable que toutes les femmes soient sommées de parler d'une seule voix! Parce que, si des femmes souffrent réellement du comportement des hommes, l'unanimisme victimaire ne dit pas la réalité de toutes les femmes dans notre pays - et au passage c'est une insulte aux véritables victimes de viols, de violences et de chantages. Parce que derrière un combat au-dessus de tout soupçon perce une volonté féroce de normaliser le désir, d'édicter des normes pour la sexualité et la séduction. Parce que j'ai découvert, dans Le Monde où elle s'en vante, que Sandra Muller avait inventé «Balance ton porc» au prétexte que, plusieurs années auparavant, dans une soirée à Cannes, un homme avec lequel elle n'avait aucune relation hiérarchique, qu'elle appelle «mon bourreau», lui avait parlé de ses «gros nibards» et promis de la «faire jouir». À la suite de quoi elle est «tombée dans une faille spatio-temporelle» (je n'invente rien) dont elle est sortie en balançant son porc et en appelant toutes les femmes à balancer le leur.

Derrière un combat au-dessus de tout soupçon perce une volonté féroce de normaliser le désir.

côté de femmes avec lesquelles j'ai de nombreuses divergences. Et je crois que, dans le pays, beaucoup de gens ont eu, comme moi, le sentiment d'être moins seuls. Alors je dis, bravo mesdames! Et bravo à Madame Deneuve qui a osé transgresser la loi de fer de l'industrie du divertissement.

On vous accuse surtout de manquer à la solidarité féminine…

Et on a raison, car je revendique le droit de choisir mes solidarités! Je ne savais pas que les opinions dépendaient de la biologie. Que l'on nous pardonne de disposer chacune d'un cerveau qui nous appartient en propre, et qui n'est pas toujours connecté à nos ovaires! Depuis deux mois, on nous embrigade dans un collectif appelé «les femmes» avec une phraséologie proprement stalinienne qui fait de toute dissidente une ennemie du genre humain. Eh bien, «les femmes», je ne connais pas! Isabelle Huppert, qui s'est présentée aux Golden Globes en robe blanche, a été priée d'aller se rhabiller… en noir, puisque toutes les femmes sont en deuil. Cet étalage de postures avantageuses (les poitrines du même genre étant proscrites) est consternant. Cette libération de la parole strictement encadrée est à la liberté ce que le régime soviétique était à la démocratie.

Certaines «féministes» vous accusent de légitimer le harcèlement…

Mais pour elles, le harcèlement commence quand un soupirant éconduit retente sa chance! Dans le meilleur des mondes délivré de la fatigante division entre les sexes dont elles rêvent, Phèdre ne s'enticherait pas d'Hippolyte, Othello ne tuerait pas Desdémone et tout se conclurait en happy end. Il y a une frontière claire qui est celle de la contrainte physique ou du chantage. Mais entre les deux, heureusement, il y a une zone grise. La sexualité ne relève pas de la transparence ni de la rationalité administrative, elle ne peut pas être codifiée sur le mode «ceci est permis» et «cela est autorisé» (à l'exception, je le répète de la violence).

Un très grand nombre des gestes, propos et regards dénoncés avec #MeToo peuvent être considérés par l'une comme une effroyable agression et par l'autre comme une agréable invitation. Je trouve amusant qu'en général, on acclame tout ce qui est «dérangeant» et que là, on défaille pour une grossièreté. Toute relation sexuelle, toute histoire amoureuse commence par une proposition, une plaisanterie, un compliment qui peut importuner. La sexualité est le domaine du secret, de l'ambiguïté, du malentendu, de l'insistance, du rapport de force, du tourment - l'homosexualité n'étant pas plus égalitaire d'ailleurs. Si les femmes étaient placées en position d'infériorité structurelle dans cette éternelle et (plus ou moins) tendre guerre des sexes, il y aurait beaucoup moins de grands romans dont beaucoup d'héroïnes sont d'inoubliables chipies!

Tout de même, aller jusqu'à défendre les «frotteurs du métro»!

Nous ne défendons nullement les «frotteurs», nous rappelons même qu'ils commettent un délit! Nous affirmons en revanche que celles qui les subissent ne sont pas obligatoirement traumatisées à vie. Ce qui est inquiétant, c'est que cela choque autant: les femmes seraient-elles soumises à une obligation de traumatisme quand elles subissent un désagrément? Drôle de féminisme! Je vous rappelle que la femme avec laquelle Polanski a eu, lorsqu'elle était mineure, «des relations sexuelles illicites», soutient notre texte. Faut-il être plus victimaire que les victimes?

Plus globalement, la liberté d'expression a-t-elle vraiment progressé depuis la tuerie de Charlie Hebdo ?

Bien sûr que non! Et le plus triste, c'est que ce n'est pas seulement à cause de l'intimidation islamiste que nos libertés reculent, mais à cause des innombrables restrictions que la bienséance invente chaque jour. Comme l'avait prédit Philippe Muray, les djihadistes se comportent comme des éléphants dans un magasin de porcelaine que ses propriétaires (nous) ont déjà largement saccagé. Les assassins de Charlie voulaient interdire toute possibilité de critiquer ou de moquer leur religion. Le CSA prétend aujourd'hui sanctionner des blagues sur les femmes ou sur les gros. Bientôt, on ne pourra plus rire de rien ni de personne. Heureusement, il restera les réacs et les lepénistes comme seules têtes de Turcs autorisées. Il faut aussi souligner que cette régression, à laquelle nous consentons collectivement quand nous ne la réclamons pas, est très largement imposée par ce qui devait être l'outil de la liberté: les réseaux sociaux. Des médias où toutes les paroles se valent, où chacun, puissant ou misérable, peut dire ce qui lui passe par la tête, c'était la promesse d'une liberté d'expression qu'aucun pouvoir ne pourrait museler. Ce sont la médiocrité et les affects les plus sinistres qui ont pris le dessus, de sorte que dès que quiconque ose émettre un point de vue allant à l'encontre de la doxa du jour, une meute numérique se déchaîne.

Le dernier numéro de Causeur s'intitule Charlie Akbar. Pourquoi ce titre provocateur? Vous avez envie d'être placée sous surveillance policière à votre tour?

Notre «une» est une plaisanterie: vous savez, ce truc qui fait rire et qui sera bientôt interdit. Comme elle est aussi un hommage à Charlie Hebdo, le moins qu'on pouvait faire, c'était essayer d'être drôles et un brin provocateurs. C'est bien parce qu'ils étaient marrants et provocateurs qu'ils ont été assassinés. Comme le dit Riss: «Interflora, ce n'est pas le genre de la maison». Cela dit, rassurez-vous, nous espérons bien chatouiller un peu les grandes âmes qui sont toujours convaincues que la France est menacée par l'islamophobie, mais nous ne risquons pas grand-chose du côté des islamistes susceptibles et des aspirants djihadistes: ils ne lisent pas, ils regardent les images. Et comme vous le voyez, pas l'ombre d'un prophète à la «une» de Causeur

 

Sans être un adepte de la soumission, ni du rire sélectif, ne faut-il pas mesurer certains risques?

Je ne sais pas s'il faut les mesurer, mais à l'évidence tout le monde le fait. Nul ne publierait aujourd'hui des caricatures de Mahomet, non seulement par peur du risque physique, mais aussi parce que celui qui le ferait serait accusé de jeter de l'huile sur le feu. Cela me rappelle un dessin de Charb répondant à ce genre d'accusations. On y voyait l'homme des cavernes avec un bidon d'huile et une allumette, et le titre était «L'invention de l'humour». Et effectivement, le droit de rire de tout avec qui bon nous semble, y compris quand cela choque, heurte, indigne ou attriste ceux qui en sont les cibles, est l'un de nos héritages les plus précieux. Je comprends que l'on pose la question de la responsabilité, parce que des chrétiens peuvent mourir en Égypte ou en Irak pour un dessin publié à Paris. Mais des dessinateurs sont morts aussi à Paris. Et si l'on doit s'abstenir de tout ce qui peut énerver les fanatiques islamistes d'un bout à l'autre de la planète, on risque de s'ennuyer ferme. Donc, je comprends que l'on fasse attention au danger, mais pour le faire disparaître, il faudrait cesser d'être nous-mêmes. C'est un prix trop élevé pour notre sécurité.

Sur le principe, il ne faut rien céder, mais est-ce toujours faisable surtout lorsqu'on habite dans certains quartiers?

On ne peut pas appliquer la même grille d'analyse à l'existence individuelle et à la vie collective. Dans la sphère publique, il revient à l'État de garantir nos libertés fondamentales, en protégeant par exemple ce qu'on appelle le droit au «blasphème» (terme qui n'est pas très adapté car pour blasphémer, il faut être croyant). Mais seul un État totalitaire peut contrôler la société. En tout cas, un État démocratique comme le nôtre est relativement désarmé face à une pression sociale telle que celle qui s'exerce dans certains quartiers. Vous pouvez toujours proclamer que la loi punit les comportements sexistes, ça ne changera pas grand-chose pour les filles qui se font traiter de salopes parce qu'elles sont libres.

Le 30 novembre dernier, Charlie Hebdo fêtait ses 25 ans. Quelle était l'ambiance? La fête avait-elle un goût amer? Trois ans après les attentats du 7 janvier, qu'est-ce qui a changé?

Je n'y étais pas et je ne sais même pas précisément où cette fête a eu lieu. Je crois que c'était un moment très intense, mais comment n'aurait-il pas eu un goût amer alors que tant d'amis manquaient et que ceux qui restent vivent sous haute protection? Il y avait, dit-on, presque autant de policiers que d'invités. Pour le reste, je vous invite à lire le témoignage admirable de Fabrice Nicolino dans Causeur: il ne cache pas les difficultés, mais le poids douloureux qui l'accompagne ne l'empêche pas d'aller de l'avant et de se passionner pour la crise écologique, la seule chose importante à ses yeux.

N'êtes-vous pas trop optimiste? Vous expliquez également qu'Edwy Plenel aurait perdu de son influence. Beaucoup de nos confrères, notamment au Monde, ont pourtant renvoyé dos à dos Mediapart et Charlie Hebdo.

Mais Le Monde, ce n'est pas la France, et entre Médiapart et Charlie, la France a choisi. La réaction outrancière de Plenel lui a fait perdre son aura: il s'est comparé à Manouchian, l'un des héros de la Résistance, parce que la «une» de Charlie se payait sa tête («Môssieur Je sais tout ne savait rien sur Tariq Ramadan»). Et je suis convaincue que sa complaisance avec l'islam politique suscitait déjà l'incompréhension d'une partie de ses lecteurs.

Vous écrivez également que, «sur le front du combat politique et culturel contre l'islam radical, l'élection de Macron a peut-être ouvert une nouvelle ère». Qu'est-ce qui vous fait penser cela?

J'ai écrit cela? C'était dans un accès d'optimisme! Il est possible que la pensée complexe du président m'égare. Comme il y a toujours une cuiller pour Causeur et une cuiller pour Libé, j'ai pu prendre mes désirs pour des réalités.

Durant toute la campagne, il n'est jamais sorti de l'ambiguïté…

Il en serait forcément sorti à son détriment, vu l'électorat composite qu'il lorgnait. Je ne vais pas lui reprocher d'avoir fait de la politique. Plus sérieusement, un ami du président m'a dit que, depuis son arrivée, il avait pris conscience de la gravité de la question islamiste. Attendons donc les actes. Notons cependant que Jean-Michel Blanquer n'a pas attendu pour agir et qu'il semble décidé à regagner le terrain perdu à l'école, qui est l'un des premiers fronts s'agissant du combat pour la laïcité.

Le reportage d'Anne Sophie Nogaret à Toulouse 2 décrit une fac «colonisée» par les Indigènes de la République. Cela ne laisse pas augurer le meilleur pour l'avenir … Est-ce désormais à l'université que le combat doit être mené en priorité?

Même au«Monde», on semble avoir découvert, sinon le péril islamiste, du moins le danger antisémite qui va avec.

Sans doute faudrait-il effectivement tenter de rétablir un peu de pluralisme dans certaines universités, mais le principe de la liberté académique et de la cooptation des enseignants rend les revirements idéologiques assez improbables. Autrement dit, il y a fort à parier qu'un gauchisme sectaire, acquis à toutes les fanfreluches de la postmodernité, des gender studies aux colonial studies, continuera à avoir un statut de vérité incontestable dans un certain nombre d'établissements. En revanche, c'est dans les médias, où les lignes ont commencé à bouger, qu'il faut renforcer nos efforts. Même au Monde, on semble avoir découvert, sinon le péril islamiste, du moins le danger antisémite qui va avec. Nous devons continuer à mener la bataille du réel, pour que les faits déplaisants ne puissent plus être cachés sous le tapis. On ne gagnera pas cette bataille sans la gauche et sans la presse de gauche, ni d'ailleurs sans les musulmans.

Alexandre Devecchio
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