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14 mai 2018

Jérusalem, l’erreur fondamentale du président américain - janvier 2018

 

Lundi 14 mai 2018.

Mme Ivanka Trump, fille du président américain et conseillère à la Maison Blanche, est en Israël pour inaugurer la nouvelle ambassade des États-Unis à Jérusalem. La reconnaissance de la ville comme capitale de l’État hébreu le 6 décembre, illégale au regard du droit international, a mis « un terme à [une] approche ambiguë », expliquait alors Charles Enderlin. Cette inauguration coïncide avec les célébrations du 70e anniversaire de la création d’Israël comme avec « La marche du grand retour », qui se tient chaque année à l’initiative d’organisations politiques palestiniennes. Pour l’heure, les soldats israéliens ont tué une cinquantaine de personnes et blessé par balles plus de 2 000 autres, mais le bilan ne cesse de s’alourdir (voir « Palestine. Un peuple, une colonisation »).

Une reconnaissance illégale au regard du droit international

 

Jérusalem, l’erreur fondamentale du président américain

sur le monde diplomatique
janvier 2018

En brisant le consensus international sur le statut de Jérusalem, ville sainte pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, le président Donald Trump a conduit son pays à l’isolement. Une large majorité de l’Assemblée générale des Nations unies dénonce une décision faisant obstacle à la paix. Mais, sur le terrain, la politique du fait accompli continue.

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Julien de Casabianca. – « Outings in Jerusalem » (Sorties à Jérusalem), 2015
© ADAGP, Paris 2017 - www.outings-project.org

Le 24 octobre 1995, le Congrès américain adopta à une large majorité un texte décidant le transfert de l’ambassade des États-Unis en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem, au plus tard le 31 mai 1999. Bien que ce transfert figurât parmi ses promesses électorales lors de la campagne de 1992, le président William Clinton refusa de signer le Jerusalem Embassy Act. Ses successeurs MM. George W. Bush et Barack Obama en firent de même, estimant eux aussi que les États-Unis se devaient d’attendre le règlement du conflit israélo-palestinien et de s’en tenir au consensus international sur le statut de Jérusalem.

Pour ne pas entériner cette loi, les présidents américains successifs signaient sa suspension provisoire de semestre en semestre, tout comme le fit M. Donald Trump en juin 2017. En décidant le 6 décembre de reconnaître la ville comme capitale d’Israël, celui-ci met un terme à cette approche ambiguë. Surtout, il va à l’encontre de la résolution 476 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui, le 30 juin 1980, déclarait nulles et non avenues toutes les mesures adoptées par Israël « modifi[ant] le caractère géographique, démographique et historique de la Ville sainte ». Un mois plus tard, la Knesset, le Parlement israélien, votait une « loi fondamentale » déclarant la ville, « entière et unifiée, capitale d’Israël ». Le Conseil de sécurité réagissait le 20 août suivant, en votant (1) la résolution 478 demandant aux États membres de retirer leurs missions diplomatiques de Jérusalem. Depuis, à quelques rares exceptions près — le Costa Rica et le Salvador y ont gardé une ambassade jusqu’en 2006 —, Jérusalem n’accueille que quelques consulats, les ambassades étant à Tel-Aviv.

En Israël, l’initiative de M. Trump a été accueillie avec allégresse par le public (2) et dans l’euphorie par le pouvoir. Rares furent les commentateurs relevant que la Maison Blanche se garde de trancher la question d’une souveraineté pleine et exclusive d’Israël sur Jérusalem en précisant que ses limites concrètes devront être définies dans le cadre des négociations sur le statut final de la ville. À cela s’ajoute le fait que, sur le plan de sa construction et de l’acquisition du terrain sur lequel elle pourrait être construite, l’ambassade des États-Unis n’est pas près d’être transférée à Jérusalem. À plusieurs reprises, le secrétaire d’État américain Rex Tillerson a fait savoir que ce transfert ne pourrait avoir lieu avant deux ou trois ans. Autrement dit, après la fin du mandat de M. Trump…

Mais, pour la direction palestinienne, c’est une rupture de la légitimité internationale sur laquelle elle s’appuie depuis le début des pourparlers de paix. C’est aussi un nouvel échec de la stratégie de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) face à Israël, dont les causes sont multiples. Certaines remontent aux débuts du processus d’Oslo. Le 29 juillet 1993, en pleines négociations secrètes à Halversbole, en Norvège, le conseiller juridique israélien Yoël Singer écrivait dans son rapport envoyé au premier ministre Itzhak Rabin et son ministre des affaires étrangères Shimon Pérès à Jérusalem : « L’OLP entend repousser le transfert des pouvoirs civils jusqu’au retrait de Tsahal de Gaza et de Jéricho. Ils nous ont expliqué que ces pouvoirs devaient être transférés à la direction de l’OLP-Tunis lors de [son] arrivée à Gaza, et pas à des (…) Palestiniens de l’intérieur. (3) » À l’époque, la direction de l’OLP se trouvait à Tunis et entendait garder la mainmise sur les négociations et limiter l’influence des personnalités politiques vivant dans les territoires occupés. Conséquence de cette rivalité, l’absence, au sein de l’équipe de négociateurs, de dirigeants de l’intérieur, connaissant mieux que quiconque la situation sur le terrain, s’est fait sentir dès le début des pourparlers.

 

Asymétrie intrinsèque

Lors des négociations sur l’autonomie de Gaza et de Jéricho, à la mi-octobre 1993 en Égypte, à Taba, dans l’est du Sinaï, nous pouvions constater la frustration de M. Khalil Toufakji, le cartographe palestinien de Jérusalem-Est, qui n’était pas autorisé à pénétrer dans la salle des pourparlers. Les dirigeants venus de Tunis commettaient erreur sur erreur, se trompaient sur le tracé de la limite territoriale de Jéricho... Il fallait observer la différence de logistique des équipes israélienne et palestinienne. Les uns disposaient d’ordinateurs portables dernier cri, de piles de CD, avec les simulations préparées par des juristes de premier plan. Les autres prenaient des notes sur des blocs de papier. L’OLP ne fera appel que plus tard à des juristes internationaux plus professionnels. Les Palestiniens n’ont pas réussi à surmonter cette asymétrie intrinsèque dans cette négociation entre une organisation de libération et un État.

L’équipe de Fayçal Al-Husseini (1940-2001), le chef très populaire des Palestiniens de l’intérieur, n’a cessé de mettre en garde contre le développement des colonies israéliennes dans les territoires occupés. Mais rien, dans tous les accords signés par l’OLP, n’énonce expressément l’arrêt de la colonisation, pourtant considérée comme illégale au regard du droit international et de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, dont la dernière (2334) date de décembre 2016.

Les Palestiniens estiment que deux textes signés avec Israël interdisent la colonisation. La déclaration de principes de septembre 1993 stipule dans son article IV que « les deux parties considèrent la Cisjordanie et la bande de Gaza comme une unité territoriale unique, dont l’intégrité sera préservée durant la période intérimaire ». L’accord intérimaire sur l’autonomie (parfois appelé Oslo II) de septembre 1995 (article XXXI-7) précise : « Aucune des deux parties ne prendra l’initiative ni n’adoptera de mesures qui modifieraient le statut de la Cisjordanie et de la bande de Gaza dans l’attente du résultat des négociations sur le statut permanent. »

Tous les gouvernements israéliens rejettent ces arguments palestiniens. En 1996, les proches du chef de l’OLP Yasser Arafat nous répondaient à ce propos : « Ce n’est pas important. De toute manière, nous aurons notre État en 1999, et les colonies ne seront plus là ! » En mai 2001, nous avons posé la question au président de l’Autorité palestinienne : « Le nombre de colons en Cisjordanie augmente de mois en mois… Qu’en dites-vous ? » Sa réponse fut lapidaire : « Ils partiront ! Ils partiront ! »

Arafat pensait pouvoir régler le problème par un compromis. Un échange de territoires entre Israël et la Palestine pour permettre l’installation de colons du cœur de la Cisjordanie vers des blocs d’implantations situés sur la « ligne verte », la frontière née de l’accord d’armistice israélo- jordanien du 3 avril 1949. Après l’échec des ultimes négociations de Taba, en janvier 2001, les deux parties remirent à M. Miguel Ángel Moratinos, l’émissaire européen, une liste de leurs ententes et désaccords (4) : « La partie israélienne a déclaré n’avoir pas besoin de maintenir des implantations dans la vallée du Jourdain pour des motifs de sécurité, ce qui est reflété dans les cartes qu’elle propose. Les cartes israéliennes étaient fondées sur un concept démographique d’implantations incorporant 80 % des colons. La partie israélienne a tracé une carte représentant l’annexion de 6 % de territoires palestiniens. (…) La carte palestinienne prévoyait l’annexion par Israël de 3,1 % de la Cisjordanie, et cela dans le cadre d’un échange de territoires. » Une différence de 2,9 % seulement…

Mais sur Jérusalem le blocage n’a pas été surmonté. Les parties reconnaissaient avoir conclu des accords partiels à propos des nouveaux quartiers israéliens de la ville orientale, les Palestiniens se disant prêts à accepter une souveraineté israélienne sur le quartier juif de la vieille ville, une partie du quartier arménien et le mur occidental (ou mur des Lamentations), dont la longueur devait être délimitée. Impossible toutefois de conclure une entente sur l’esplanade des Mosquées (ou Haram Al-Charif, « noble sanctuaire »), lieu saint pour les musulmans où se trouvent le dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa (lieu à partir duquel le prophète Muhammad aurait entrepris son voyage céleste). Pour les Juifs, c’est là que se dressait le Temple de Jérusalem, le lieu le plus sacré du judaïsme.

 

La loi de la majorité

Une nuit de mars 2002, à l’issue d’un long entretien avec Arafat, discrètement, et nous faisant promettre le secret, un proche du président palestinien confiait : « Vous savez… le rêve d’Abou Amar [nom de guerre du président palestinien] est de proclamer l’indépendance de la Palestine au Haram Al-Charif. Il dirait : “Il n’y a aucune raison pour qu’un Palestinien décide de revenir en Israël et devienne Israélien. Les Palestiniens viendront avec nous, construire [notre] État !” » En somme, Jérusalem-Est comme capitale en échange d’un renoncement au droit au retour des réfugiés dans leur région d’origine.

Déjà, le 10 décembre 2000, au lendemain d’une séance de négociations secrètes dans l’hôtel David Intercontinental, à Tel-Aviv, M. Yasser Abed Rabbo, le négociateur palestinien, nous révélait, devant la caméra : « Cette fois, je pense qu’ils veulent vraiment conclure un accord, peut-être par peur d’une victoire de la droite aux prochaines élections. Nous devrions pouvoir conclure d’ici deux ou trois semaines. Pour la première fois, les Israéliens ont accepté le principe d’une souveraineté palestinienne sur le Haram Al-Charif ». Dans l’après-midi, M. Gilad Sher, négociateur et chef de cabinet du premier ministre travailliste Ehoud Barak, remettait les choses au point : « Je ne comprends pas comment les Palestiniens ont pu croire que nous étions prêts à renoncer à la souveraineté sur le mont du Temple. » M. Shlomo Ben-Ami, le ministre des affaires étrangères israélien, n’était pas autorisé à faire cette concession fondamentale, et, durant toutes les négociations suivantes, les Palestiniens ont espéré — et attendu en vain — qu’elle soit répétée par la délégation israélienne (5).

Le sommet de Camp David en juillet 2000, destiné à trouver un accord de paix définitif entre Israéliens et Palestiniens, avait échoué sur la question du lieu saint. Pour la direction israélienne, il n’était pas question d’accepter une souveraineté palestinienne sur l’esplanade des Mosquées. M. Barak avait été catégorique : « Je ne connais pas un chef de gouvernement qui accepterait de signer le transfert de la souveraineté sur le Premier et le Second Temple [l’esplanade des Mosquées], qui est la base du sionisme. (…) Une souveraineté palestinienne sur la vieille ville serait aussi dure [à supporter] qu’un deuil. Mais, sans séparation d’avec les Palestiniens, sans la fin du conflit, nous nous enfoncerons dans la tragédie (6). »

En août 2003, Arafat a autorisé plusieurs de ses principaux conseillers, conduits par M. Abed Rabbo, à négocier avec une délégation de l’opposition de gauche israélienne présidée par M. Yossi Beilin et Amnon Lipkin-Shahak, l’ancien chef d’état-major. Ils parviendront à un accord en décembre de la même année. Appelé « l’initiative de Genève », il est fondé sur le principe du trade-off (« troc ») refusé par Israël. Les Palestiniens renonceraient au droit au retour et recevraient en échange la souveraineté sur le Haram Al-Charif. Ariel Sharon, le premier ministre, qualifia de « traîtres » les signataires israéliens, Arafat félicitant, quant à lui, les négociateurs d’un texte sans portée pratique.

Élu à la tête de l’Autorité autonome et de l’OLP, après la disparation d’Arafat en novembre 2004, M. Mahmoud Abbas ne peut que gérer, tant bien que mal, le statu quo. Il a remis sur pied sa police et ses services de sécurité détruits lors de l’écrasement de la seconde Intifada, rétabli la coordination sécuritaire avec l’armée et le Shin Beth, le service de renseignement intérieur israélien, et remporté quelques succès diplomatiques, dont l’admission, en tant qu’État, à l’Unesco en 2011. L’année suivante, l’Assemblée générale des Nations unies accordait à la Palestine le statut d’État observateur, non membre.

Surtout, Israël a profondément changé au fil des ans. M. Abbas est confronté à l’un des gouvernements les plus à droite de l’histoire du pays, où les éléments religieux et messianiques donnent le ton. Sur le plan intérieur, la majorité israélienne dirigée par M. Benyamin Netanyahou considère la démocratie comme la loi de la majorité avec, pour les minorités, des protections minimales . Elle entend définir Israël comme un État juif et démocratique — dans cet ordre — où les Juifs seuls auraient des droits pleins et entiers. En mars 2016, 79 % des Juifs israéliens interrogés dans le cadre d’un sondage étaient en faveur d’un « traitement préférentiel pour les Juifs ». C’est-à-dire une forme de discrimination envers les non-Juifs (7).

La perspective d’une solution à deux États n’est donc plus qu’un mirage. L’occupation de la Cisjordanie devient pérenne avec près de 400 000 Israéliens habitant les colonies situées dans 60 % de la Cisjordanie, annexés de fait. Sans compter les 200 000 qui résident dans les nouveaux quartiers juifs de Jérusalem-Est. Des chiffres à comparer avec le fait que seuls 151 200 Israéliens habitaient les colonies en Cisjordanie et à Gaza en 1996. La gauche et les ONG israéliennes, qui osent critiquer et combattre l’occupation, sont régulièrement qualifiées d’antipatriotiques, voire de traîtres, par le pouvoir. Des lois sont votées pour restreindre leurs activités (8).

Tout cela fait dire à Matti Steinberg, ancien analyste principal du Shin Beth (9) : « Le statu quo n’est pas stable, mais évolue dans la direction qui mène inexorablement les parties vers les sables mouvants d’une réalité binationale où Israël, dominateur, tenterait d’imposer sa volonté aux Palestiniens parqués dans des enclaves territoriales (10). »

Charles Enderlin

Journaliste, auteur notamment d’Au nom du Temple. Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013), Seuil, Paris, 2013.

(1Quatorze voix pour, aucune contre et une abstention (celle des États-Unis).

(2Selon un sondage publié le 14 décembre 2017 par le Jerusalem Post, 77 % des Juifs israéliens interrogés considéraient l’administration américaine comme pro-israélienne. Durant la première année de l’administration Obama, ils n’étaient que 4 %.

(3Cf. Paix ou guerres. Les secrets des négociations israélo-arabes, 1917-1995, Fayard, Paris, 2004 (1re éd. : 1997).

(4Cf. Le Rêve brisé. Histoire de l’échec du processus de paix au Proche-Orient, 1995-2002, Fayard, Paris, 2002. Ce texte rédigé par M. Yossi Beilin, le ministre de la justice israélien, et M. Abou Ala, le principal négociateur palestinien, fut rejeté par M. Gilad Sher, le représentant personnel du premier ministre Ehoud Barak.

(5Cf. Le Rêve brisé, op.cit.

(6Ibid.

(7Aluf Benn, « The end of the old Israel », Foreign Affairs, New York, juillet 2016.

(8Lire « Israël à l’heure de l’Inquisition », Le Monde diplomatique, mars 2016.

(9Matti Steinberg a enseigné dans les universités de Princeton, de Heidelberg et à l’Université hébraïque de Jérusalem.

(10Entretien accordé à l’auteur, Jérusalem, 12 décembre 2017.

Lire aussi le courrier des lecteurs dans notre édition de février 2018.

 

LIEN : https://www.monde-diplomatique.fr/2018/01/ENDERLIN/58240

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