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3 juin 2018

Logique de guerre et logique de paix - Régis CHAMAGNE

Guerre et paix

 

La réception de Benjamin Netanyahu par Vladimir Poutine, le 9 mai dernier, pour la commémoration de la victoire russe sur le nazisme, a déconcerté beaucoup de personnes du camp des pro-russes, qui y ont vu un signe de recul, voire de renoncement. Il n’en est rien, c’est autre chose.

 

Logique de guerre et logique de paix

On ne construit pas la paix avec les outils conceptuels et méthodologiques de la guerre. Cela peut paraître une évidence, pourtant il semble que ce ne le soit pas pour tout le monde, mais cela peut s’expliquer.

 

Logique de guerre

Quand on veut faire la guerre à tout prix, il faut désigner l’ennemi et le combattre. Et quand on est un Occidental, on le fait à la manière des hoplites grecs, dans la plaine, frontalement et violemment, ainsi que l’explique Victor Davis Hanson dans son essai Le modèle occidental de la guerre. De plus, de nos jours, après les deux guerres mondiales du XXe siècle, on ne peut plus partir en guerre comme cela, sur un coup de tête, par simple envie de conquête. Il faut un habillage, des prétextes, de façon à avoir un minimum d’assentiment du peuple, ou a minima son désintérêt. Nous, Occidentaux, faisons des guerres au nom des droits de l’Homme, afin d’instaurer des démocraties un peu partout (surtout là où il y a du pétrole et du gaz) ; qu’on se le dise. Ainsi drapés des oripeaux du bien, nous pouvons partir sans état d’âmes combattre les forces du mal. Les médias dominants (comprendre les propagandistes) se chargent de la publicité pour vendre le produit au grand public.

Quand on est un empire de surcroît, que l’on a des vassaux et que l’on voudrait vassaliser d’autres pays, alors on impose impérialement à quiconque de choisir son camp. Si vous n’êtes pas avec nous, c’est que vous êtes contre nous, du côté du mal. Il n’y a pas d’autre choix, pas moyen d’ergoter, de discuter ; c’est oui ou non, 1 ou 0. La démarche est binaire, tout comme le résultat attendu.

En résumé la logique de guerre est manichéenne et sans ambiguïté. Elle désigne un vainqueur et un vaincu. Le processus doit être rapide. Les dividendes vont au crédit du seul vainqueur.

 

Logique de paix

Quand on cherche à construire la paix, il faut pouvoir discuter avec tout le monde, ne jamais fermer de porte définitivement, être à l’écoute des autres et comprendre leurs situations et leurs problématiques tout en expliquant les siennes. Remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier, détricoter quand c’est nécessaire pour le bien de tous et l’avancée globale du processus. Il faut toujours garder une liberté d’action suffisante pour pouvoir se réorienter, s’adapter en souplesse, ne jamais s’enfoncer trop loin dans une direction qui pourrait se révéler une impasse. Cela, tout en fixant les limites : les concessions que l’on ne fera jamais.

Car la paix repose sur l’équilibre. Si la guerre froide n’a pas dégénérée en guerre ouverte, c’est parce qu’il y avait un équilibre : l’équilibre de la terreur. Certes, ce n’est le meilleur dont on puisse rêver, mais c’est un équilibre tout de même. Ce n’est pas le commerce qui est facteur de paix, comme voudraient nous le faire croire les ultralibéraux. D’ailleurs ne parle-t’on pas de guerres commerciales. Les déséquilibres engendrent des phénomènes violents : arcs électriques pour des grandes différences de potentiel électrique entre deux endroits ; vents violents pour des grandes différences de pression atmosphérique entre deux lieux ; etc.

En résumé, la logique de paix est complexe, subtile, interactive, avec des compromis, des retours en arrière si nécessaire pour que l’équilibre progresse globalement, au profit de tous. Le processus est lent.

 

Mieux comprendre Vladimir Poutine

Vladimir Poutine, en tandem avec Sergueï Lavrov, manipule constamment et depuis le début les outils conceptuels et méthodologiques de la logique de paix : discuter avec tout le monde, rechercher l’équilibre, ne jamais fermer définitivement de porte ; fixer ses limites, les concessions que l’on ne fera pas. Ainsi, la Russie est intervenue en Syrie car si la Syrie était tombée, la Russie se serait retrouvée en première ligne face au terrorisme islamique sur son flanc sud, dans le Caucase. De même, lors de la récente conférence de Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine a annoncé que l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN serait inacceptable pour la Russie.

Pour ce qui est de la politique russe à l’égard de la Syrie, d’Israël, de l’Iran, de la Turquie et plus généralement du proche et moyen Orient, il faut tenter de l’analyser à l’aune de la logique de paix, de la recherche de l’équilibre. Par exemple, après les frappes américano-anglo-françaises du 13 avril sur la Syrie, le général Sergei Rudskoy avait déclaré que la Russie estimait à présent qu’elle était en droit de reconsidérer la vente de systèmes S-300 à la Syrie. RECONSIDÉRER, c’est-à-dire se réapproprier une marge de manœuvre pour l’avenir. Après la visite de Netanyahu à Moscou, Vladimir Poutine a déclaré que la Russie ne vendrait pas, pour le moment, de S-300 à la Syrie. Il n’y a aucune contradiction dans tout cela, simplement une recherche d’équilibre, le maintient d’une marge de manœuvre, tout en sachant qu’Israël est le pays de la région le plus à même de générer du déséquilibre. Il reste à savoir si Israël saura comprendre la logique de paix, dans le cas contraire, il y aura des lignes rouges affirmées.

Le déclin des diplomaties d’Occident

Depuis au moins deux décennies, nous, Occidentaux et Français en particulier, avons peu à peu perdu l’habitude de penser les relations internationales de manière complexe et lente. Depuis le 11 septembre 2001 en particulier, la combinaison de formules telles que « Nous sommes tous américains. » et « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous. » a orienté la pensée de nos « stratèges », de nos politiciens, de nos « experts » et de nos médias vers le manichéisme et la soumission à la politique étrangère des États-Unis.

Ainsi, aujourd’hui peu d’Occidentaux essaient de comprendre la diplomatie russe avec les outils conceptuels et méthodologiques adaptés, même les pro-russes, tant nous avons été intoxiqués par la logique de guerre, manichéenne et brutale, depuis deux décennies. Il en va de même de nos diplomaties. L’attitude britannique hystérique lors de l’affaire Skripal, la stupidité et l’arrogance de Mircon-Jupiler à Saint-Pétersbourg, les décisions unilatérales, brutales et soudaines, des États-Unis, etc. Tout cela marque une dégradation profonde de la qualité des diplomaties de nos pays. Quand on pense que le français fut la langue de la diplomatie, que l’anglais l’est aujourd’hui… À partir de maintenant ce devrait être le russe.

La paix

Il faut du temps pour construire, un édifice, des infrastructures, une amitié, une solidarité… en revanche, il faut peu de temps pour détruire tout cela. La logique de paix est un lent processus de construction tandis que la logique de guerre est un processus brutal de destruction. Pour construire la paix, il faut des nations fortes ; pour faire la guerre, il suffit de nations violentes. Parce que la force ne va pas sans la générosité et que la force sans la générosité, c’est la violence.

Régis Chamagne

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