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24 juin 2018

Le "shadow banking" menace-t-il l'économie mondiale ?

Le "shadow banking" fait peser une menace importante sur l'économie mondiale selon Dominique Plihon.
Le "shadow banking" fait peser une menace importante sur l'économie mondiale selon Dominique Plihon. Matt Detrich/AP/SIPA

Entre 60.000 et 75.000 milliards de dollars. Voilà ce que pèse au niveau mondial le "shadow banking" ou "finance de l'ombre" selon plusieurs instances financières internationales. En un an, ce secteur bancaire parallèle a progressé de 7% et représente près de 120% du PIB des grandes économies de la planète, selon le Conseil de stabilité financière (FSB). En Chine, où la Banque centrale du pays (PBOC) vient de publier des données annuelles, le "shadow banking" représente même la moitié de la richesse nationale.

Et ce vendredi 13 janvier, le vice-président de la Banque centrale européenne, Vitor Constancio, s'est inquiété de la très forte croissance de ce système bancaire parallèle. Selon une étude récente de la BCE, l'ensemble des actifs gérés par ce pan de la finance en zone euro est passé de 19 milliards d'euros fin 2013 à 23 milliards mi-2014. Tour d'horizon des questions que pose ce phénomène.

Qu’est-ce que le "shadow banking" ?

Il s'agit d'une activité de banque, menée par des entités qui, ne recevant pas des dépôts, ne sont pas régulées en tant que banques et donc ne sont pas soumises à la réglementation bancaire en vigueur. "Ce secteur bancaire parallèle regroupe les activités de financement qui ne sont pas menées par les banques mais par des hedge funds, les fonds de private equity et des trusts, explique Dominique Plihon, Professeur d'économie à Paris XIII et co-auteur d'un rapport sur le " shadow banking ". Les banques veulent développer une activité hors de contrôle des autorités. Elles veulent échapper aux règles prudentielles trop contraignantes comme les réglementations Bâle I et Bâle II, relatives aux fonds propres. Cela concerne essentiellement le marché de gré à gré et les hedge funds qui sont très opaques, très peu régulés".

Pour satisfaire les exigences prudentielles, et en particulier le ratio de fonds propres, les banques vont ainsi chercher à sortir de leurs bilans une partie de leurs actifs et de leurs risques. Cette stratégie les conduit à un usage massif des produits dérivés et surtout de la titrisation des créances.

Où se développe-t-il ?

Le "shadow banking" est apparu dans les années 1990 aux États-Unis puis s'est développé en Europe au début des années 2000. Actuellement la zone euro et les Etats-Unis se partagent les deux tiers du gâteau du "shadow banking", avec 25.000 milliards de dollars chacun, selon le FSB. Le Royaume-Uni arrive en troisième position (9.300 milliards de dollars) soit 12 % du total. En Chine, cette "finance de l'ombre" a explosé ces dernières années puisque sa part dans le "shadow banking" est passée de 1% en 2007 à 4 % en 2013. Selon l'Académie chinoise des Sciences sociales, ce secteur représente même la moitié du produit intérieur brut du pays, et 20% des actifs détenus par le secteur bancaire chinois régulé.

"Le 'shadow banking' est notamment au cœur des grandes banques européennes universelles comme BNP, HSBC, Banco Santander, précise Dominique Plihon. En France il est de plus en plus important même si on ne possède pas de chiffres précis. Les banques françaises contrôlent la grande majorité des fonds d'investissement mutuels (OPCVM) sur le marché domestique, mais ont également créé de nombreux fonds spéculatifs".

Pourquoi progresse-t-il ?

Ce marché parallèle prospère actuellement du fait des taux d'intérêt faibles dans les grands pays industrialisés qui poussent les investisseurs vers une course aux "rendements plus élevés". "La situation est désespérante en terme de rendement, donc la gestion alternative est privilégiée, appuie François Chevallier, responsable de la stratégie à la Banque Leonardo. Avec les obligations, les actions, on ne gagne quasiment rien, on ne peut pas compter sur les déterminants classiques. Les hedge funds, le private equity offrent donc des possibilités de rémunérations très avantageuses".

Cette "finance de l'ombre" se développe également en raison du durcissement récent des régulations bancaires (réforme Bâle III) qui incitent les banques à les contourner. "Le Comité de Bâle ou le G20 ont pris des mesures contraignantes en matière prudentielle ces derniers mois, abonde Dominique Plihon. Les banques se tournent de plus en plus vers le marché de gré à gré qui lui est de moins en moins régulé. Il est devenu incontrôlable et se caractérise par l'absence de chambres de compensation et de règles communes à l'ensemble des opérateurs de marché. Sur ces marchés, les institutions financières ont la possibilité de se couvrir contre les risques de taux d'intérêt et de taux de change, mais aussi de spéculer avec un paiement initial faible, voire nul."

Menace-t-il l’économie mondiale ?

Selon le FMI, le "shadow banking" peut être positif pour stimuler l'activité dans les pays émergents, où le secteur bancaire est limité par ses "capacités" ou par des obstacles "règlementaires". Mais l'institution monétaire pointe aussi un risque important et met en garde contre la "croissance excessive" du secteur. "Si les investisseurs réclamaient leur dû simultanément, les acteurs de ce marché pourraient être incapables de les rembourser et de vendre rapidement leurs créances, indique le Fonds dans un rapport publié en octobre. Cela pourrait conduire à des ventes et à des achats au rabais similaires à ceux qui ont eu lieu pendant la crise financière mondiale de 2008".

Le développement du "shadow banking" a déjà eu des conséquences sur certaines économies nationales. En Chine, la dette globale a ainsi explosé sous l'effet des prêts accordés hors du secteur bancaire réglementé ainsi que de la spéculation immobilière, passant de 7.000 milliards de dollars à 28.000 milliards de dollars.

"Laisser ces fonds se développer sur des marchés qui ne sont absolument pas régulés est une énorme erreur, juge Dominique Plihon. Ils ont été des acteurs majeurs de la crise financière que nous avons vécue. Si nous n'agissons pas rapidement sur cette question nous allons au devant de nouvelles crises financières."

Que peut-on faire pour le réduire ?

Selon le FMI, une coopération internationale est nécessaire pour éviter qu'un renforcement des règles dans un Etat ne conduise à une "migration" de ce marché vers des pays plus cléments. "Il faut surtout commencer par s'attaquer au marché de gré à gré en imposant des mesures prudentielles très fortes et aussi restreindre la capacité des banques à prêter à ces hedge funds, avance Dominique Plihon. Comme ces fonds ne gèrent pas d'épargne publique, les instances de régulation les laissent prospérer. Il faut aussi couper le lien entre la banque traditionnelle et la banque d'investissement qui est tournée vers la financiarisation. L'Union bancaire par exemple ne s'attaque pas à ce problème".

Plusieurs pays comme les États-Unis ont pris des mesures en ce sens. L'administration américaine a ainsi fait voter le Dodd and Frank Act en 2010 qui comporte des mesures destinées à limiter la prise de risque des banques commerciales et en particulier leurs relations avec les acteurs du "shadow banking". On peut citer, parmi elles, l'interdiction de la négociation pour compte, la limitation des participations dans les fonds spéculatifs à 3 % des fonds propres et la filialisation des activités sur les marchés de produits dérivés de gré à gré.

 

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