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27 juin 2008

Ségolène Royal : "Ma gauche est celle qui affronte la réalité, qui ne se résigne pas"

Extraits de l'Article du Monde


Le 8 juillet, Ségolène Royal publiera un ouvrage dans lequel elle confronte son analyse de la société française avec le sociologue Alain Touraine. Les deux auteurs dialoguent autour de sept thèmes.

Ségolène Royal préconise une réforme de l'Etat-providence. Elle défend le principe d'un "Etat préventif", capable d'intervenir en amont afin de prévenir les difficultés économiques et sociales, insiste sur la nécessité de réduire la dette publique et se prononce en faveur d'un régime de retraite "par points".

A cinq mois du congrès du PS, parti qu'elle souhaite diriger, Ségolène Royal considère qu'il "vaut mieux une bonne querelle qu'une mauvaise synthèse"
Si la gauche veut des idées, de Ségolène Royal et Alain Touraine, Grasset, 336p., 20 euros

 

Un Etat préventif

(...) Il faut changer de stratégie. D'abord, en mettant en œuvre une stratégie de compétitivité par le haut, et non de concurrence par le bas. Pour cela, il faut mettre l'accent sur la formation des salariés, sur les investissements en recherche et en innovation des entreprises, notamment dans les PME.

Ensuite, l'Etat et les régions doivent conditionner leurs aides aux entreprises à des comportements responsables en préservant une capacité d'intervention à travers une agence de réindustrialisation permettant des maîtrises publiques temporaires. La question des salaires impose le même type de démarche.

Dans l'immédiat, l'annulation de l'aberrant "paquet fiscal" aussi injuste qu'inefficace permettrait de récupérer des marges de manœuvre. (…) L'Etat ne peut certes pas donner d'ordres aux entreprises, mais il doit utiliser les leviers dont il dispose, comme les exonérations de cotisations patronales.

Qui nous empêche de conditionner ces aides non pas à l'ouverture de négociations salariales – ce qui n'engage à rien –, mais à la conclusion d'accords entre patronat et syndicats sur les salaires et les conditions de travail ?

Là encore, l'Etat ne doit pas agir seulement pour réparer, à travers des exonérations de charges, qui se superposent de législation en législation. Il ne doit pas, sauf exception ou urgence comme aujourd'hui, compenser l'absence d'augmentations salariales par des allocations provisoires, mais doit au contraire stimuler la négociation sociale, de façon ciblée et incitative, pour amener les entreprises à adopter des principes de justice et de responsabilité. Les incitations fiscales doivent être délivrées en fonction du degré d'exposition des entreprises à la concurrence internationale et de leur respect du dialogue social.
Dernier exemple, celui de la dette, sujet macroéconomique par excellence, que l'on a tendance à ne traiter que sous l'angle comptable et qui paraîtra le plus éloigné des sujets de ce chapitre. Ce n'est pourtant pas le cas. La réduction de la dette, ce n'est pas une priorité parmi d'autres, c'est une obligation. La dette n'est pas un prétexte pour faire moins, c'est une obligation pour faire autrement. (…) Notre dette est le produit d'un système qui fonctionne mal, d'un Etat rigide ou de groupes de pression puissants.(...)
 

La France métissée

Que de débats ai-je levés avec La Marseillaise, le drapeau, la nation, l'identité, la France, tout cela dont les socialistes n'osaient plus parler !!! Et l'hymne national que nous n'osions plus chanter, l'ayant abandonné à la droite et à l'extrême droite, comme jadis le thème de la famille. Et de même que j'ai fait revenir dans les références de la gauche l'affirmation du rôle majeur des familles, de même que j'ai fait revenir vers la gauche la question de l'autorité par le concept d'ordre juste, de même j'ai assumé, défendu, illustré l'identité nationale et l'hymne national.

Une fois de plus ce sont les grincements dans mon propre camp qui ont malheureusement affaibli le message. (…) La France métissée, comme aujourd'hui l'Amérique métissée de Barack Obama, a d'abord besoin de se reconnaître comme telle. Cette réalité n'est pas regardée en face et n'est pas reconnue. Son invisibilité économique, sociale et politique est le premier obstacle à lever, pour avancer.

Car il y a bien des "mécanismes de stigmatisation et de relégation" dans la société française, de discrimination négative, et donc de talents gaspillés. (...)

 

La fragmentation de la société

Dans le même temps où le salariat s'est généralisé, notre société est de plus en plus fragmentée par la diversité des statuts, notamment professionnels. Les catégories sociales traditionnelles n'ont plus de correspondances politiques automatiques. Je dirais : moins que jamais. (…)

Les clivages démographiques jouent désormais un rôle essentiel.(...)
Il y a, rappelons-le, une pauvreté dramatique chez les retraités – surtout les retraitées –, mais elle touche une proportion moindre de personnes âgées qu'il y a trente ou quarante ans. Enfin, les 35-55 ans – ce cœur de la population active – doivent élever et éduquer leurs enfants plus longtemps qu'avant, reçoivent éventuellement l'héritage de leurs parents à un âge tardif, du fait de l'allongement de la durée de vie.

 

La réforme des retraites

Plutôt que de concevoir les évolutions de nos systèmes de protection sociale en fonction de strictes contraintes d'adaptation comptable, il faut les reconsidérer en fonction de nos objectifs d'épanouissement de l'individu. Peut-on par exemple poser sans tabou la question de l'activité après 60ans ? Oui, nous devons le faire, et nous devons trouver, sous certaines conditions bien sûr, les nouveaux atouts de l'allongement de la vie. (…)

La notion d'âge elle-même n'a plus de sens précis, et viendra un jour où empêcher une personne de travailler, de s'assurer ou de pratiquer un sport ou toute autre activité parce qu'elle a dépassé un seuil d'âge sera considéré comme une discrimination. (…)

Je propose que la gauche fasse sien le projet d'une évolution profonde de l'ensemble de nos régimes de retraite de base vers un système inspiré de la réforme suédoise, dans lequel chaque cotisant dispose d'un compte individuel sur lequel il accumule des points tout au long de sa vie active de façon à déterminer le montant de sa pension au moment où il choisit de partir en retraite.


.

 

La stratégie d'alliance

Je pense, comme Alain Touraine, que la question des alliances découle de la redéfinition d'une force socialiste attractive. Un Parti socialiste attractif et ambitieux peut et doit progresser au-delà des 20 %-25 % que j'évoquais. Mais jamais dans notre histoire un candidat socialiste ou le PS n'ont obtenu plus de 35 % au premier tour d'une élection décisive (c'est le score obtenu par François Mitterrand au premier tour de la présidentielle de 1988). J'ajoute qu'à cette époque François Mitterrand s'est bien gardé d'attaquer le candidat du centre, Raymond Barre. Bien au contraire, François Mitterrand a fait campagne au second tour sur le thème de "l'Etat impartial".

Il existe donc une irréductible pluralité de la gauche, dont le Parti socialiste se doit d'être le fédérateur. Une fois cette gauche rassemblée, une ouverture vers d'autres mouvements est possible. Je suis convaincue que seul un Parti socialiste fort, reconstruit, sûr de ses valeurs claires, pourra ensuite – et j'insiste : ensuite – envisager les alliances adéquates pour rassembler une majorité de Français autour de son projet.

D'ailleurs, c'est ce qui fut fait au second tour de la présidentielle : rassembler toute la gauche puis tendre la main sur la base d'un projet aux électeurs démocrates du centre. (…)

Nous ne sommes plus dans une société où l'appartenance sociale détermine automatiquement le vote. (…) Les électeurs ont désormais acquis une autonomie et une liberté de pensée qui n'est que la conséquence du processus d'individualisation que nous avons longuement détaillé dès l'ouverture de ce livre. Les identités politiques ne sont plus figées. Elles se reconstruisent à chaque élection, en fonction des contextes sociaux et médiatiques, des enjeux, des candidats eux-mêmes.

Les électeurs de gauche sont particulièrement exposés à cette quête d'identité. Pourquoi ? Parce que, en dépit d'un attachement à des valeurs et à des convictions, l'identité de gauche ne va plus de soi. Ce livre en témoigne : nous ne parlons que de ce sujet depuis notre première rencontre. Parce que le monde dans lequel nous vivons a changé, "être de gauche" n'a plus la même traduction systématique.(...)

Nous sommes à la fin d'un cycle politique. Celui qui a été ouvert au congrès d'Epinay doit se clore maintenant, pour en commencer un nouveau. L'union de la gauche de François Mitterrand, telle qu'elle a été conçue dans les années 1970, puis la gauche plurielle de Lionel Jospin servent de socle, mais ne suffisent plus.

 

Les défis du Parti socialiste

Je partage deux des constats établis par Alain Touraine. Oui, nous sommes collectivement responsables de cette "perte de contact avec tous les secteurs de la vie sociale". Oui, "le PS perd peu à peu de sa force de mobilisation". Le constat n'est pas qu'électoral, même si les élections municipales ont été encourageantes, il est intellectuel et social.

Le Parti socialiste n'est pas suffisamment au cœur des mobilisations sociales ni des débats intellectuels. Nous sommes peu présents dans les mouvements sociaux et n'avons pas d'échange avec eux. Cet écueil tient à notre façon de faire de la politique. Le PS est un point de rencontre entre des électeurs d'origines très diverses, mais il n'est pas pour autant un lieu de convergence durable ouvert à la société. Plusieurs raisons expliquent cette faiblesse.(...)

La démocratie participative est présente dans presque tous les projets des candidats socialistes. Le Parti socialiste a donc su irriguer la France par ses élus. Nous devons en retour apprendre, en repensant notre organisation, à enrichir davantage notre projet. (…)

Ma gauche est celle qui affronte les réalités, qui ne se résigne pas, même lorsque ces réalités sont désagréables, et surtout lorsqu'elles sont difficiles. Je ne veux pas d'une gauche qui, sous couvert de réalisme, renoncerait de fait à corriger un certain nombre d'inégalités et d'injustices, notamment celles produites par le libéralisme économique. Ce dont le socialisme a impérativement besoin, aujourd'hui plus que jamais, c'est d'une lucidité radicale. (…)

Qu'est-ce qu'un parti où, sans que la chose soit jamais admise, une sorte de loi salique (unique en Europe) serait tacitement reconduite, et où la guerre amère de quelques hommes (et de quelques femmes) pour le seul pouvoir d'empêcher ne connaîtrait jamais de fin ni même de trêve ? Mieux vaut une bonne querelle qu'une mauvaise synthèse qui, toujours, à plus ou moins long terme, nourrira des affrontements autrement plus diviseurs qu'un vrai débat, aussi tendu soit-il.



ALAIN TOURAINE sur FRANCE INTER le 27.06.08

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Alain Touraine - France Inter
par franceinter

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