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1 juillet 2008

Claire Lemercier. Historienne, cette chercheuse dénonce la réforme du CNRS ...

 

..... et rallie les médaillés  de l’organisme,

au grand dam de Valérie Pécresse, la ministre  de la Recherche.



Libé : mardi 1 juillet 2008

A la voir ainsi, assise sur l’un des sièges en bois dispersés autour du «bassin aux Ernests» - la célèbre fontaine empoissonnée de la cour de l’Ecole normale supérieure, rue d’Ulm -, on pourrait la croire candide. Sans fard ni apprêts de costume, tout juste un très sobre collier. Pas de gestes calculés, ni de séduction langagière… Claire Lemercier, menue, semble incarner la fille gentille, sans mystère ni capacité de nuire. Valérie Pécresse, la ministre de la Recherche, aurait préféré que cela soit vrai.

L’enveloppe de douceur masque une détermination sans faille… et la capacité de cogner dur là où cela fait mal. Qu’est-ce qui pouvait faire mal à la ministre ? Démolir son antienne du moment : les opposants à sa réforme du système de recherche ne seraient qu’une poignée d’agités, de gauchistes invétérés, d’opposants professionnels, de has been des labos. Claire Lemercier vient tout simplement d’apporter la preuve du contraire. Cette opposition est large, et recrute massivement parmi l’élite de l’élite, ces chercheurs de tous âges et disciplines récompensés par leurs pairs et la direction du CNRS de ses fameuses «médailles» - de bronze, d’argent et d’or.

Tout part d’un courrier. Le 3 juin, Claire Lemercier reçoit une «gentille lettre signée de la main du directeur général du CNRS, Arnold Migus». Il lui annonce qu’elle vient de recevoir la médaille de bronze du CNRS. Une distinction qui honore quelques jeunes chercheurs dont le début de carrière dépote un max. D’abord, c’est une joie. «Je traversais une période de doute sur mes recherches, mon utilité sociale.» Puis, durant une semaine, une rumination. Recevoir cette médaille au moment où le système de recherche public est mis en cause, menacé d’éclatement, soumis aux pressions croissantes du pouvoir politique lui donne un goût amer.

Elle qui plaide contre la nouvelle ligne (projets à court terme, précarisation des emplois, compétition acharnée, élitisme renforcé) trouve alors une idée très «judo» : retourner son argument à l’adversaire. Vous vous gargarisez d’élite et d’excellence ? Vous prétendez réformer en leur faveur ? Eh bien, voilà ce que vous disent les élites et les excellents : vous avez tout faux !

Après quelques échanges avec des amis - un médiéviste, un physicien -, elle rédige un texte qu’elle veut «consensuel pour la communauté scientifique, mais très ferme sur le fond, qui réaffirme les trois valeurs fondamentales permettant un bon système de recherche : ladurée, la diversité, le collectif». A rebours du discours en vogue dans les cercles du pouvoir, son texte affirme : «Nous savons tous que la science ne se fait pas dans l’isolement et que, si nos parcours ont été jalonnés de concours sélectifs […], ce n’est pas seulement, ce n’est pas avant tout la compétition qui a produit nos avancées, mais la coopération avec nos collègues. Une recherche qui ne compterait que des médaillés comme nous, même s’ils étaient bien rémunérés et disposaient de tous les moyens souhaités, serait une recherche morte.»

Au moment de le mettre en ligne (1) pour collecter les signatures, elle avoue une double crainte. Que les non-médaillés, exclus, lui reprochent cette démarche. Que les médaillés, assurés de leurs positions quelles que soient les évolutions du système, refusent de s’y associer. Vaine inquiétude. Dès le premier jour, 150 signatures s’affichent. Des médailles d’or de toutes disciplines se rallient. Le médiéviste Jacques Le Goff, les glaciologues Claude Lorius et Jean Jouzel, le physicien Philippe Nozières, les biologistes Pierre Joliot et Piotr Slonimski, l’informaticien et musicologue Jean-Claude Risset. Quant aux médailles d’argent et de bronze, c’est un raz-de-marée : plus de 450, soit… «pratiquement la moitié des médaillés des dix dernières années». Le discours ministériel se trouve pris à son propre piège.

La piégeuse de ministre ne cachait pourtant pas son jeu. A 31 ans tout juste, son CV fait déjà mal. L’ex-«bonne élève mais un peu rebelle» s’était lancée à Sciences Po avec la vague idée d’une carrière de haut fonctionnaire européen. Une rencontre avec l’historien Nicolas Offenstadt la fait bifurquer vers l’histoire, et passer sa thèse sur celle de la chambre de commerce de Paris au XIXe siècle - vite transformée en livre. Elle est aussi auteure d’un manuel sur les méthodes quantitatives pour l’historien (avec Claire Zalc). Elle enseigne à l’Ecole normale supérieure et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), dirige le journal Histoire et mesure, multiplie articles, séminaires, met son habileté en informatique au service de la mise en ligne des revues de sciences humaines.

Ce début de carrière fulgurant repose sur une tête bien pleine, bien faite… mais dénuée de l’arrogance classique des élites autoproclamées sorties des classes prépas. Normal, théorise-t-elle : «Au cœur de la recherche, il y a le doute, la mise en cause.» Nulle naïveté politique, non plus, dans son action. Frottée au syndicalisme étudiant, membre du Parti socialiste, et tout à fait consciente du bonus médiatique de la «fresh face» féminine qu’elle offre, c’est en toute lucidité qu’elle apporte sa pierre à la contestation.

En quelques instants de conversation, la solidité de l’intellect se dévoile. Voltigeant avec habileté des concepts historiques aux dernières passes d’armes entre spécialistes, elle n’hésite pas à tisser des liens entre disciplines éloignées - l’histoire et la physique -, autour du problème de «la preuve et de la vérité, donc de la possibilité même de la science». Si ses choix de sujets (chambres de commerce, juridictions prudhommales au XIXe siècle) ne rutilent pas, elle leur donne tout de suite une ampleur inattendue et une résonance actuelle. «Les discours politiques sont truffés d’idées reçues - "c’était mieux avant"… ou "ceci est archaïque" - que le matériau récolté par l’historien autorise à mettre en doute, contribuant ainsi au débat public.»

Pourtant, la simplicité affichée n’a rien d’affecté. Fille d’enseignants de province, à Bagnols-sur-Cèze (Gard), elle se revoit «malade», lors des «dîners à Versailles dans des apparts de condisciples de Sciences Po, avec caricatures de Faizant dans les toilettes», lorsqu’elle se demande si elle doit intégrer cette caste. Et se réfère, toutes proportions gardées, à l’expérience vécue comme une trahison de ses origines ouvrières racontée par la députée verte Aurélie Filippetti. Aujourd’hui, elle se félicite de sa capacité à naviguer d’un milieu social à l’autre, à côtoyer le «top du top» du Quartier latin et l’entourage populaire d’où vient son compagnon, ou à faire ses courses «à Auchan comme tout le monde». Un équilibre en grande partie dû à son aptitude à prendre vacances et week-end. Randonnées, natation, escalade, lectures de science-fiction, jeux de rôles… Si elle peut ainsi se vider la tête, et souvent trouver le plan d’un cours en faisant du sport, c’est qu’elle exécute le boulot avec rapidité. «De toute façon, je ne peux pas rédiger plus de six heures par jour.»

(1) http://medailles.recherche-enseignement- superieur.fr/


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