De l'opposition en démocratie
LE MONDE | 29.07.08 | 11h19 • Mis à
jour le 29.07.08 | 13h04
Nous
serons courts. La gauche ne doit pas s'abîmer dans une discussion creuse comme
un puits sans fond sur les avantages et inconvénients de s'opposer un peu,
beaucoup, à la folie ou passionnément.
Fallait-il s'associer à la réforme constitutionnelle proposée par Nicolas
Sarkozy ? Si la réponse a été non, la faute en revient à son promoteur. Il n'a
pas su résister à la gourmandise de la majorité sénatoriale qui a sanctuarisé
la Chambre haute pour se l'adjuger ad perpetuam. Ainsi, avant même d'en
débattre, la moitié du Parlement avait été préemptée. La réforme pouvait
discuter de tout, sauf de l'attribution du Sénat à la droite. Au moins est-on
sûr qu'une majorité applaudira le président lorsqu'il viendra chercher des
félicitations sur les bancs du Parlement. Il n'a pas su non plus résister à la
tentation de limiter le droit d'amendement, droit fondamental des
parlementaires. Curieuse conception de la revalorisation des assemblées ! La
méthode elle-même supposait une conférence de consensus entre les grandes
familles politiques. Le pouvoir a préféré faire son marché en débauchant ici ou
là telle pièce que, à l'image d'un jeu d'échecs, on prend à son adversaire. D'emblée,
c'est une stratégie de contournement des partis institués de l'opposition et de
la gauche que le pouvoir a mise en place.
Enfin le succès supposait du président lui-même une exemplarité qu'on est
bien en mal de trouver dans sa pratique du pouvoir. De la justice aux médias,
la présidence exerce déjà une emprise que la réforme ne viendra nullement
contrecarrer, puisque, en matière de nominations, la majorité parlementaire
souscrira aux vœux de la présidence. D'où le verrouillage bien compris du
Sénat.
Nous disons à nos amis qui s'interrogent sur la bienséance de l'opposition :
pour être courtois, encore faut-il ne pas être contraint de s'excuser lorsque
l'on vous a marché sur les pieds ! Nous voyons en effet peu à peu s'esquisser
un régime politique de type nouveau, qui entend concentrer tous les pouvoirs,
pour installer une domination idéologique et culturelle durable.
La droite décomplexée suffirait au bien du peuple. Quelques-uns à gauche
sont sélectionnés par elle, dès lors qu'ils consentent aux règles du jeu
qu'elle leur a imposées. Tous les autres sont rejetés du côté de la force
obscure. Cette concentration des pouvoirs est non seulement dangereuse, mais
elle est de surcroît inapte à réformer réellement le pays. Seule la mise en
mouvement de toute la société permettrait de mener des réformes justes et
durables.
En fin de compte, ce pouvoir et cette droite veulent une société de la
résignation. La France dévisse, l'inquiétude grandit parmi nos concitoyens
confrontés à une grave crise économique, sociale et écologique. Une France
inégalitaire se fabrique sous nos yeux, où tous ceux qui ont du mal à boucler
leurs fins de mois paient une politique dont les bénéficiaires sont les
"importants" et les "puissants". Pendant les travaux
constitutionnels, le détricotage des droits sociaux continuait : suppression
massive de postes dans l'éducation, cadres pressurés par l'augmentation du
forfait jours, accords d'entreprises d'autant plus valorisés que le
syndicalisme y est faible, couteau placé sous la gorge des chômeurs, priés
d'être enfin raisonnables... Quelle fraternité peut-on espérer d'une telle
déchirure ? Quel dynamisme, quelle volonté, quel espoir dans l'avenir quand
tout semble joué et que les réseaux d'influence et de cooptation l'emportent
sur les efforts et le travail ? Et ce n'est que le début. C'est pourquoi la
domination culturelle, dans les médias notamment, est un enjeu capital car elle
peut fabriquer de la résignation et brouiller la perception qu'une autre
politique est possible.
La politique d'un tel pouvoir ne se divise ni ne s'épluche comme les
quartiers ou la peau d'une orange. Elle est un bloc. C'est d'ailleurs ainsi
qu'elle se présente et qu'elle se rengorge pour reprendre, depuis un an, le
même couplet inquiétant et lancinant sur la fin de la gauche ou la mort du
Parti socialiste. Nous nous opposerons à chaque fois que cela sera nécessaire,
sans tomber dans la première embuscade tendue. Nous nous opposerons d'autant
plus fermement que nous proposerons d'autres valeurs et une autre politique :
révolution fiscale, préparation de l'après-pétrole, consolidation de notre
protection sociale, VIe République. Combattre et proposer vont
évidemment de pair : un combat sans propositions est vain, mais des
propositions qui ne sont pas forgées dans un combat politique seraient
désarmées. Il n'est pas juste de confondre la fermeté avec le sectarisme. En
matière de convictions, la fermeté n'est pas un réflexe conditionné, elle est
une preuve, celle qui nous est demandée dès aujourd'hui par de nombreux
Français qui veulent espérer; c'est elle aussi qui nous sera demandée en 2012.
Voilà pourquoi nous appelons les socialistes à l'unité et au courage.
David Assouline (sénateur PS, Paris), Delphine
Batho (députée PS, Deux-Sèvres), Dominique Bertinoti (maire du 4e
arr. de Paris), Jean-Louis Bianco (député PS, Alpes-de-Haute-Provence), Aurélie
Filippetti (députée PS, Moselle), Guillaume Garot (député PS,
Mayenne), Jean-Pierre Mignard (avocat), Vincent Peillon (député
européen).