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17 septembre 2008

A quoi servent les sénateurs (3/5)- Le bidouillage des grands électeurs


 

17 sep 2008Par

Mathilde Mathieu

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C'est la face cachée des élections sénatoriales. Dimanche 21 septembre, dans certaines villes de France, des maires et des adjoints vont faire voter leur mère, leur secrétaire, leur cousin ou leurs copains d'enfance. Combien de Français le savent?

Le citoyen moyen possède bien quelques informations de base sur le déroulement du scrutin : les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect par un collège de "grands électeurs", composé de l'ensemble des maires de France, auxquels s'ajoutent des conseillers municipaux, généraux et régionaux (soit 150.000 personnes).

Les Français très au fait connaissent même ce "détail": afin d'éviter que les zones urbaines soient sous-représentées par rapport aux villages, la loi accorde aux villes supérieures à 30.000 habitants, en plus de leurs conseillers municipaux, un bonus de "grands électeurs". Plus la commune est grande, plus la prime augmente.

Voici la physionomie du collège électoral dans les départements qui votent le 21 septembre (cliquez pour agrandir):

En général, on retient une idée simple: les sénateurs sont les élus des élus locaux. C'est d'ailleurs comme cela qu'ils se "vendent": des parlementaires légitimés par le terrain, choisis par des milliers de représentants de base du peuple de France...

Mais jamais personne ne s'interroge sur l'identité des "délégués supplémentaires" envoyés par les grosses villes gonfler le corps électoral. Qui sont-ils ? Sur la base de quels critères sont-ils choisis ? Quelle légitimité ont-ils ? La réponse n'est pas forcément belle à voir.

En fait, dans les grandes agglomérations, les membres du conseil municipal ont le droit de désigner qui bon leur semble, souvent des personnes "sûres" de leur entourage, dont ils savent qu'elles glisseront le même bulletin qu'eux dans l'urne. Ainsi, on recrute une sœur, un mari. Et quand il faut fournir plusieurs dizaines, voire centaines de noms, on pioche parmi les militants de son parti. Les fédérations, d'ailleurs, fournissent directement des listings...

L'exemple de Toulouse est éloquent. Compte tenu du nombre important d'habitants, la cité s'est vu attribuer 427 "places" dans le collège des "grands électeurs" de Haute-Garonne. A côté de ses 69 conseillers, la municipalité a donc désigné fin juin 358 "délégués supplémentaires". Dans les deux listes, beaucoup de noms se recoupent, illustrant le système de cooptation générale : Elisabeth Belaubre (conseillère de Toulouse) côtoie ainsi Pablo Belaubre (délégué) ; idem pour Stéphane et Jean Carassou ; quant au patronyme "de Veyrinas", on le retrouve chez Françoise, Anne-Marie, Olivier, François et Sophie....

«Chacun fait sa tambouille»

François et Amandine Chollet sont père et fille. Le premier siège au conseil municipal dans les rangs UMP, la seconde étudie en fac de médecine. «Je suis fière de voter aux sénatoriales, c'est un honneur», déclare par téléphone la "grande électrice", 23 ans, ravie d'avoir été "enrôlée" et de servir ses idées. Mais quelle légitimité?

« Tous les partis font pareil, admet Jean-François, de la fédération PS de Haute-Garonne. Le conseil municipal répartit les 358 places de délégués à la proportionnelle, en fonction du poids des différents groupes politiques. Ensuite chacun fait sa tambouille. Au PS, on remplit notre quota avec des militants et des proches, qui voteront à coup sûr socialiste. Enfin le conseil se réunit pour valider le tout.» Une fois désignés, les "gagnants" sont tenus de participer le jour J aux sénatoriales, sous peine d'amende. «Comme le scrutin se déroule toujours un dimanche, on a parfois du mal à trouver des volontaires», précise Jean-François. Dans ce cas, une secrétaire ou un chauffeur peuvent faire très bien l'affaire... Le principe du suffrage universel indirect perd soudain de sa superbe.

Et c'est partout pareil en France. Certes, les élus locaux restent majoritaires parmi les grands électeurs, mais la part des "délégués supplémentaires" peut atteindre des proportions étonnantes dans certains départements. Ainsi en Gironde, ces derniers représentent tout de même 8,3% du collège électoral, d'après les calculs effectués par Mediapart. Dans l'Hérault, c'est 11,1%. En Ille-et-Vilaine, 8,5%. Dans le Finistère, 7,1%. En Côte-d'Or, 7,3%. Et dans les Bouches-du-Rhône, 30,8% ! Évidemment, dans les zones rurales, pauvres en villes de 30.000 habitants, le taux chute, jusqu'à 3,02% dans l'Aube et même 0,91% dans les Côtes-d'Armor.

Mais au niveau national, impossible de savoir combien de grands électeurs ne sont pas d'abord des élus locaux. «Si vous trouvez le chiffre, dites-le-moi!» souffle même un responsable du groupe PS au Sénat. Ni la haute assemblée ni le ministère de l'intérieur n'ont cette donnée en stock.

Après des heures de comptage, on peut simplement affirmer que ce chiffre "mystère" avoisine 9,6% dans un échantillon de 12 départements choisis par Mediapart (parmi ceux appelés à renouveler leurs sénateurs le 21 septembre). Un résultat étonnant, qui égratigne – voire entaille – la légitimité des parlementaires en question.

À gauche, ces derniers éludent systématiquement le problème, pour une raison simple: le PS réclame depuis des années une augmentation importante du nombre de "délégués supplémentaires" en France, afin de mieux représenter les villes dans le collège des grands électeurs et d'en finir avec le poids écrasant des petites communes, traditionnellement ancrées à droite. C'est le meilleur moyen, pour les socialistes, d'emporter un jour le Sénat, qui leur échappe depuis 1958.

Au printemps dernier, lors de la discussion sur la réforme des institutions, le PS avait ainsi déposé une proposition de loi en ce sens, finalement rejetée sans rémission par la majorité. Dans l'hémicycle, l'un des orateurs UMP, Hugues Portelli, avait eu beau jeu d'affirmer que la multiplication des "délégués supplémentaires" constituerait «un gigantesque tour de passe-passe»: «Au lieu et place des représentants des collectivités territoriales, issus des assemblées locales, [on] substituerait les délégués des partis», «des militants désignés par les appareils», «sans que ceux-ci détiennent la moindre légitimité démocratique».

Et son collègue Jean-René Lecerf (UMP) de rappeler, à la tribune, les bases de la Constitution: celle-ci «dispose que le Sénat est élu au suffrage universel indirect, donc élu par des élus [locaux]». En théorie, pas par la fille de l'adjoint au maire... En théorie seulement

Le Sénat, institution méconnue, méritait bien une série d'articles, à la veille des élections organisées dans 38 départements métropolitains et 5 collectivités d'outre-mer, dimanche 21 septembre.

Pour Mediapart, il ne s'agit pas de soupeser les chances de tel ou tel candidat (la gauche devrait grignoter environ 10 sièges supplémentaires), mais de poser les questions qui fâchent, quant à l'utilité et la légitimité démocratique de cette maison bicentenaire. D'après un sondage Ifop-Profession politique, en date du 10 septembre, 60% des 1006 personnes interrogées estiment le Sénat "utile à l'équilibre des pouvoirs", mais seulement 28% le jugent "représentatif de la population" et 25% "moderne"...

 

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