Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Visiteurs
Depuis la création 1 378 975
Newsletter
9 octobre 2008

Ségolène Royal est-elle de gauche ou de droite? Par Armand Bozynski, sociologue

Sur LE POST.FR  Par Pusiher                             

Ségolène Royal est de loin la personnalité la plus atypique et la plus originale du PS. Rien de ce qu'elle fait ne s'inscrit dans les codes et dans la doxa de son parti. Il y a sans cesse chez elle une volonté lancinante de se distinguer des autres ténors qu'elle juge trop frileux, trop timorés et pour tout dire ringards. Elle entend, elle, incarner le nouveau socialisme, aussi bien en terme d'image qu'en terme doctrinal. Un socialisme qu'elle souhaite débarrassé de ses vieux dogmes et de ses vieux rites. Un socialisme qui ose, qui innove et qui n'a pas peur de prendre des risques, quitte à brouiller les lignes.

Les thèmes mêmes qu'elle développe - la démocratie participative, l'ordre juste, la France métissée, la fraternité, etc - se démarquent de ceux habituellement traités par ses camarades socialistes. Là où les autres privilégient les grandes questions économiques et sociales, elle fait le choix des questions sociétales. La où les autres parlent d'idéologie, elle parle des valeurs morales. Et sur ce point elle n'est pas du tout en décalage, car on voit bien que derrière la crise internationale se cache aussi une crise morale: une société où il n'y a plus de règles, d'éthique, d'équité génère les pires comportements individualistes et prédateurs. Ségolène Royal pense qu'il faut d'abord s'appuyer sur des valeurs morales avant d'apporter des réponses économiques et sociales à la collectivité. D'où son concept très controversé de ''l'ordre juste''. La démarche peut être jugée intéressante pour les uns ou totalement réactionnaire pour les autres. Pour ma part, je ne la trouve pas ridicule. Bien au contraire. Dans son meeting du Zénith, lorsque fait scander le mot ''fraternité'', Ségolène Royal est au coeur même du discours humaniste que la gauche a abandonné depuis des années au nom des réalités économiques et qui en ce temps d'incertitudes sociales peut trouver un écho auprès des catégories sociales les plus défavorisées.

A vrai dire Ségolène Royal est tiraillée entre un double héritage qu'elle ne parvient pas pour l'heure à traduire en un corps de doctrine: les valeurs jugées de droite (la famille, la nation, l'ordre, l'autorité, la valeur travail, le sens de l'effort) héritées de son milieu social et les valeurs jugées de gauche (l'égalité, la justice, la solidarité, la fraternité, etc) qui ont forgé sa personnalité de femme politique. De hauts responsables socialistes n'hésitent d'ailleurs pas à l'accuser, à mots couverts, de ne pas être véritablement de gauche. En tout cas on l'a entendu pendant la présidentielle lorsqu'elle a fait sa proposition d'encadrer militairement les primo-délinquants. Dans ce cas que dire de son autre proposition qui était celle de créer des ''jurys citoyens'' et qui constitue tout sauf une mesure de droite?

Comme François Mitterrand (avec qui elle accumule les traits de ressemblance), Ségolène Royal a parfaitement compris que la France est un pays sociologiquement de droite, mais qui est cycliquement séduite par un discours de gauche. En renvoyant l'image de la Madone, elle joue sur le registre de l'affiliation à la France éternelle, mariale et catholique. Donc une figure de droite. En revanche, en transgressant les codes de son parti, en s'opposant à l'ordre établi des éléphants, elle renvoie incontestablement l'image d'une femme de gauche rebelle. Cette gauche qui est censée incarner le mouvement et qui combat le statu quo. C'est tout cela qui fait que Ségolène Royal n'est pas une femme de gauche classique. Il y a chez elle la volonté d'incarner à la fois Jeanne d'Arc, c'est-à-dire cette France éternelle, immuable, enracinée dans son histoire millénaire et Olympes de Gouges (personnage révolutionnaire qu'elle admire) qui symbolise la France en pleine évolution, la France radicale.

Maniant l'audace avec des accents de témérité, Ségolène Royal trace un sillon qui peut paraître de prime abord sinueux, paradoxal, mais il y a derrière son attitude un fond de cohérence: réveiller un Parti socialiste qui depuis la disparition de François Mitterrand paraît comme endormi, déconnecté de la société. Et elle a en partie réussi car jamais le PS n'a jamais été dans un tel état d'effervescence que depuis sa soudaine irruption sur le devant de la scène politique et médiatique. Cela est à mettre à son crédit, même si on peut déplorer son côté clivant.

Comme François Mitterrand, Ségolène Royal polarise les débats internes, obligeant ses rivaux à se positionner non par rapport à eux-mêmes, mais par rapport à elle. Les réactions de ses camarades sur son meeting du Zénith traduisent cette incapacité qui est la leur à prendre de la hauteur par rapport à ce qu'elle peut faire. Ils ne peuvent s'empêcher de la critiquer car ils se rendent bien compte qu'ils ne suscitent pas le même intérêt, le même désir. Prenez le cas de Bertrand Delanoë. C'est un maire très populaire, personnalité politique préférée des Français. Cependant on constate que ses déplacements sur le terrain, dans le cadre de la campagne pour le congrès, ne suscite ni enthousiasme ni ferveur. Peu de militants viennent assister à ses réunions publiques. Ce décalage est frappant entre la bonne image dont il jouit dans l'opinion et l'indifférence relative qu'il suscite auprès des militants. A l'inverse, Ségolène Royal paraît en perte de vitesse, mais sa capacité à enthousiasmer la base et à remplir les salles demeure intacte. Cette dichotomie est difficilement explicable si on ne saisit pas les ressorts psychologiques du peuple français. Bertrand Delanoë – fidèle à la conception républicaine du pouvoir – joue la carte de la compétence et de la raison, là où Ségolène Royal joue la carte de l'incarnation et du désir. Or on sait que les Français – bien que fiers de l'héritage légué par la Révolution et le siècle des Lumières - ont conservé une certaine nostalgie de la monarchie. Et il n'est pas étonnant de constater que la Constitution de Vème République – qui traduit cette ambivalence – soit le texte constitutionnel qui ait le plus duré. Mitterrand qui l'a longtemps combattue s'en est finalement fort bien accommodé, car il était lui-même un personnage monarchique. Ségolène Royal symbolise dans l'imaginaire de beaucoup de nos concitoyens l'image d'une reine qui aspire à gouverner la France. Cela lui confère indiscutablement une aura que de nombreux analystes politiques qualifient de ''mystique'', d'irrationnelle et qui dépasse totalement ses camarades socialistes.

Les journalistes prédisent à Ségolène Royal un congrès délicat, en raison de l'hostilité croissante qu'elle susciterait auprès des cadres. Je ne partage pas tout à fait cette analyse. Les mentalités ont changé au PS. Avant les militants obéissaient sagement aux directives des patrons des fédérations et votaient comme on le leur demandait. Les primaires de 2006 ont montré que ces derniers ont conquis un certaine autonomie par rapport à leurs dirigeants. En clair, ils ne veulent plus se voir imposer leurs choix. Et Ségolène Royal a parfaitement su cerner cette nouvelle attitude et n'hésite pas à s'en servir contre les éléphants. Son pari est très clairement de jouer la base contre l'appareil. Et rien ne dit qu'elle ne peut pas réussir. Si sa motion arrive en tête le 6 novembre, elle pourra crier victoire et obliger ses rivaux à négocier avec elle. Dans tous les cas, je ne crois guère à son effondrement soudain auprès des militants. Les études sur le terrain montrent qu'elle conserve un socle solide de partisans qui la rendent pour l'heure incontournable. La seule chose qui pourrait durablement ruiner ses chances pour la présidentielle serait une défaite aux régionales. Or là encore, l'ex candidate a joué à fond la carte de l'incarnation. Quand on parle de la région Poitou-Charentes, tout de suite on voit l'image de Ségolène Royal.

Armand Bozinsky, sociologue et chercheur au CNRS

.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Derniers commentaires
Archives
Publicité