Le 29: Ce n'est qu'un début !
Le nouvel Observateur
J Julliard
Ce n'est qu'un début !
Une grève revendicative ? Non. Une révolte contre un monde devenu fou et cupide, indécent et irresponsable
Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne
s'en aperçoit»,
avait fanfaronné Nicolas Sarkozy le 6 juillet dernier devant le conseil
national de l'UMP. Encore une idée que le président va devoir réviser.
L'appel de toutes les organisations syndicales, de la plus radicale à
la plus modérée, à la mobilisation interprofessionnelle de masse du 29
janvier, avec l'appui de 69% des Français, a une signification majeure
qui dépasse le cadre des revendications particulières. C'est la colère
du monde du travail devant une crise dont il est le dernier à porter la
responsabilité mais le premier à supporter les conséquences. Cette
crise n'a pas éclaté inopinément un beau jour dans un ciel serein.
Depuis longtemps, les plus lucides attiraient l'attention sur le
financement de l'expansion par une fuite en avant vertigineuse dans
l'endettement, sur fond de profits non moins vertigineux. Cette crise a
des responsables.
«Qui est responsable ? Les banques, évidemment, qui ont
oublié que le coeur de leur métier était d'évaluer les risques, et qui, pis
encore, les ont transférés à d'autres. Mais les pouvoirs publics également : ils
ont conduit des politiques à courte vue, et, surtout, ils ont été des
régulateurs déficients.
«Qui
est coupable ? En arrière-fond, c'est un modèle idéologique, libéral et
anglo-saxon qui a failli. On ne peut impunément se préoccuper exclusivement du
profit à court terme.»
Voilà ce qu'écrivent Matthieu Pigasse et Gilles Finchelstein (1). L'un
est vice-président de la banque Lazard, l'autre directeur de la
Fondation Jean-Jaurès. Ce sont des hommes pondérés. Le diagnostic est
implacable. Ils rejoignent la déclaration commune des syndicats qui
demandent la réglementation de la sphère financière pour mettre un
terme à la spéculation, aux paradis fiscaux, aux mouvements erratiques
de capitaux. La grève de jeudi n'est pas, ou pas seulement, une grève
revendicative; elle n'est pas, ou pas seulement, une grève contre le
gouvernement; la globalisation était inévitable. C'est une grève contre
le capitalisme libéral. Contre un monde devenu fou et cupide, indécent
et irresponsable.
Qu'il
ait fallu, la semaine précédente, déployer des trésors de diplomatie et
une pointe d'intimidation pour faire lâcher prise aux banquiers,
accrochés à leurs bonus comme des huîtres à leur rocher, voilà qui
dépasse l'imagination. L'Etat aurait prêté à fonds perdus à des banques
pour leur permettre, entre autres, de rémunérer grasse ment dirigeants
et actionnaires coupables d'imprudences, de mauvaise gestion, de
spéculation aveugle ! Outre un salaire fixe, respectivement de 1,25
million d'euros et 750 000 euros, MM. Daniel Bouton et Philippe Citerne
ont perçu, au titre de 2007, 2 millions d'euros de bonus... Il me
semble qu'au titre de 2008 ils mériteraient un malus d'une
somme au moins équivalente, compte tenu de leur gestion de la Société
générale. Mais, fort heureusement, le malus n'existe pas pour les
banquiers. Il est réservé aux petits salaires.
L'affaire du Collier
de la reine ne suffit pas à elle seule à déclencher la Révolution
française. Mais elle apparut comme le symptôme d'une fracture
irrémédiable dans la société d'Ancien Régime. Eh bien, nous en sommes
au collier de la reine ! La moindre des choses, beaucoup de banquiers
en conviennent en privé, serait de nationaliser le système bancaire,
afin de contrôler l'argent public qui leur a été prêté. Ce serait un
moindre mal.
Car on ne saurait considérer ce qui est en train de se
passer comme un accident, une parenthèse à refermer au plus vite, ainsi
qu'on nous le susurre benoîtement. Tiens donc ! A l'image des
staliniens qui n'ont jamais pensé que le «culte de la personnalité»
exigeait une révision d'ensemble du système communiste, nos libéraux,
une fois refermé le cycle du chômage, de l'appauvrissement, des
faillites, ne songent qu'à une chose : recommencer comme avant. Voilà
pourquoi, avant qu'il ne fût trop tard, il était temps que le mouvement
social se remette en route. Ce n'est qu'un début.
(1)«Le Monde d'après. Une aise sans précèdent», Pion.
Jacques Julliard
Le Nouvel Observateur