Sarkozy et son oeuvre de contrôle du net
Sur "le BLOG DE FAMILLE EGGER"
"Le président de la
République française actuel a un plan". C’est la première phrase du
livre de François Bayrou, Abus de Pouvoir, et l’on peut la vérifier au
moins en ce qui concerne le contrôle du net. Depuis la loi DADVSI (1)
où il était président de l’UMP et ministre de l’intérieur, Nicolas
Sarkozy a déployé son plan pour contrôler le net. Il a commencé à
l’appliquer avant-même la loi Hadopi (2), et prévoit de le parachever
avec la Loppsi (3). Dans cet article exceptionnellement long, Numerama
tente un décryptage du net selon Sarkozy.
Petit à petit, les
pièces du puzzle s’assemblent et l’image se révèle sous nos yeux. Le
projet de loi Création et Internet n’a pas encore été promulgué que
déjà le morceau suivant s’apprête à faire son apparition. Projet de loi
après projet de loi, décret après décret, nomination après nomination,
Nicolas Sarkozy prépare méthodiquement les moyens pour le gouvernement
de contrôler Internet… et les internautes.
Lundi, Le Monde a publié un excellent article
sur la prochaine loi d’orientation et de programmation pour la
performance de la sécurité intérieure (Loppsi, ou Lopsi 2), qui montre
ce que prévoit le nouveau texte commandé par Nicolas Sarkozy :
installation de mouchards électroniques sans vérification de leur
légalité par les services de l’Etat, légalisation des chevaux de Troie
(4) comme mode d’écoute à distance, création d’un super-fichier
"Périclès" (5) regroupant de nombreuses données personnelles (numéros
de carte grise, permis de conduire, numéros IMEI des téléphones
mobiles, factures…), création d’un délit d’usurpation d’identité,
pouvoir de géolocaliser les internautes, …
Sans cesse repoussée,
la loi est attendue de pieds fermes par Nicolas Sarkozy. C’est
d’ailleurs en partie elle qui a justifié l’obsession du Président à
maintenir contre vents et marée la loi Hadopi. Car "le président de la
République actuel a un plan". Pour le comprendre, il nous faut
accumuler les pièces à conviction. Certaines relèvent très certainement
de la paranoïa, d’autres sont véritablement réfléchies par le Président.
Mises
bout à bout, elles laissent peu de doute sur la volonté de Nicolas
Sarkozy de contrôler le net, aussi bien dans son contenu que dans son
infrastructure.
Au commencement, Nicolas Sarkozy voulu devenir Président
Très
tôt dans sa carrière politique, Nicolas Sarkozy n’a eu qu’une obsession
: devenir président de la République. Et une vision : pour y parvenir,
il fallait contrôler les médias. Maire de Neuilly-Sur-Seine, il
s’efforce de faire entrer rapidement dans son cercle d’amis proches les
Martin Bouygues, Lagardère (père et fils) et autres Dassault (6) qui le
conduiront par leur amitié complice au sommet du pouvoir. C’est
d’autant plus facile que ces capitaines d’industrie, propriétaires de
médias, dépendent pour l’essentiel de leurs revenus des commandes de
l’Etat.
Entre amis, on sait se rendre des services…
Toute
cette énergie de réseautage a été mise au service de son ambition
présidentielle. En 2007, c’était la bonne. Première tentative, première
victoire. Mais Nicolas Sarkozy a eu chaud. Il avait négligé Internet. A
quelques points près, François Bayrou - qui a au contraire beaucoup
misé sur Internet pendant la campagne - passait devant Ségolène Royal
au premier tour de la Présidentielle, et c’est le leader du MoDem qui
se serait retrouvé à l’Elysée.
Il serait faux toutefois de
prétendre que Nicolas Sarkozy, qui s’était assuré le soutien du
bloggeur Loïc Le Meur (à l’époque le plus influent), (7) s’est aperçu
trop tard du pouvoir du net. Fraîchement élu, le président Sarkozy
n’avait pas tardé à demander "l’avènement d’un internet civilisé",
prônant une "campagne de civilisation des nouveaux réseaux". Le coup de
Trafalgar du refus de la Constitution européenne par les Français avait
montré pour la première fois au monde politique les limites des médias
traditionnels face à Internet, où l’opposition au texte européen fut
virulente. Les amis de Nicolas Sarkozy dans les grands médias et
l’industrie culturelle l’ont très vite convaincu qu’il fallait faire
quelque chose. Lui pour conserver le pouvoir, eux pour limiter cette
concurrence gênante. C’est Renaud Donnedieu de Vabres (RDDV) qui s’est
chargé des basses oeuvres, sous l’oeil attentif de son président de
l’UMP et ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy.
DADVSI et HADOPI : les premières pierres vers le filtrage
Derrière les apparences d’une première loi contre le piratage sur Internet, comme l’avait prédit le journaliste américain Dan Gillmor,
c’est une alliance à trois qui s’est formée entre le pouvoir politique,
le pouvoir médiatique et l’industrie culturelle. A peine la riposte
graduée (déjà) adoptée, RDDV avait prévenu que la loi DADVSI "n’est que
le premier d’une longue série d’adaptations de notre droit à l’ère
numérique", et qu’il comptait bien s’attaquer "un jour au problème de
la presse et de l’Internet". C’était en 2006.
Affaibli par la
débâcle de DADVSI, le ministre de la Culture n’a pas eu le temps de
mettre son projet en application. Mais l’idée d’accorder un label à la
presse professionnelle en ligne et de doter les sites de presse d’un statut particulier opposé aux blogs
était née. Nicolas Sarkozy l’a mise en application cette année. Le tout
en permettant à la vieille presse papier de bénéficier par ailleurs de substantielles aides de l’Etat, contraires à la libre concurrence, pour investir le net.
Avec
la loi Hadopi, qu’il a maintenu jusqu’à mettre en péril la cohésion du
groupe UMP, le chef de l’Etat a réussi à imposer à tous les foyers
français l’installation d’un "logiciel de sécurisation",
qui, sous la forme d’un mouchard, aura pour but de filtrer les sites
internet et certains logiciels. Soit de manière franche, en bloquant
l’accès à des contenus ou des protocoles. Soit de manière plus
sournoise, en mettant en place un système qui met en avant les sites
labellisés par l’Hadopi ou par les ministères compétents, pour mieux
discréditer les autres. Les sites de presse professionnels feront bien
sûr partis un jour des sites labellisés, tandis que la multitude de blogs ou de sites édités par des journalistes non professionnels verront leur crédibilité mise en doute.
Pour
le moment on ne sait rien du périmètre des caractéristiques imposées
par l’Etat aux logiciels de sécurisation, et c’est bien là sujet
d’inquiétudes. Il suffira d’étendre par décret la liste des
fonctionnalités exigées pour que la censure se fasse de plus en plus
large et précise, hors du contrôle du législateur ou du juge.
LOPPSI : le filtrage imposé aux FAI
Si
elle prévoit la création de ce logiciel de sécurisation, et suggère
fortement son installation, la loi Hadopi ne fait cependant pas de son
installation une obligation. Le risque d’inconstitutionnalité serait
trop fort. Il faut donc compléter le tableau, en organisant un filtrage
au niveau de l’infrastructure du réseau. C’est le rôle de la loi
Loppsi, chapeautée par Michèle Alliot-Marie.
Entre autres choses, la Loppsi va imposer aux FAI une obligation de filtrage de résultat.
Ils auront le devoir de bloquer l’accès à des sites dont la liste sera
déterminée par l’administration, sous le secret. Ce qui n’est pas sans poser d’énormes problèmes
dans les quelques pays qui ont déjà mis en place cette idée. Là aussi,
une fois mis le pied dans la porte, sous prétexte de lutter contre la
pédophilie (une tentation du pathos contre laquelle il faut résister), il suffira d’étendre la liste des exceptions qui donnent droit au filtrage. Ici pour les maisons de disques victimes de piratage, là pour les sites de presse suspectés de diffamation, ou pour les sites de jeux d’argent qui ne payent pas leurs impôts en France. La liste n’aura de limites que l’imagination et l’audace des gouvernants.
Encore
faut-il que ces idées de contrôle du net puissent se mettre en place
sur le terrain, ce qui nécessite des hommes et des femmes peu
regardants. C’est dans cet art que Nicolas Sarkozy excelle le plus.
Le choix des hommes, le triomphe des idées
Dès
2006, Nicolas Sarkozy a compris qu’il aura besoin de verrouiller son
gouvernement et les télécoms pour mettre en place son plan de contrôle
d’internet. Christine Boutin, qui avait été une farouche et
convaincante opposante à la loi DADVSI fin 2005 (au point de faire
basculer le vote de certains députés UMP pour la licence globale), et
qui avait défendu l’idée d’un internet libre, s’est ensuite mue dans un silence confondant
à la reprise des débats en mars 2006. En échange, et entre temps, elle
a reçu la promesse de Nicolas Sarkozy d’entrer au gouvernement après
les élections présidentielles si elle mettait sa langue dans sa poche.
Les deux ont tenu parole.
Président de la République, Nicolas
Sarkozy a ainsi composé son gouvernement de manière à accomplir son
oeuvre sans opposition interne. Nadine Morano à la Famille, et Michèle
Alliot-Marie à l’Intérieur, n’ont pas eu besoin de forcer leur nature
pour prêcher la censure de certains sites Internet ou le filtrage des
sites pédophiles ou terroristes. Porte-parole de l’UMP, pilotée par
l’Elysée, le lobbyiste Frédéric Lefebvre ne passe plus une semaine sans
se confondre en invectives contre Internet, et réclamer le filtrage.
En plaçant l’ex-socialiste Eric Besson au numérique, Sarkozy pensait
peut-être aussi paralyser les critiques à la fois de son propre camp et
de l’opposition, tout en s’assurant le soutien d’un homme qui a troqué
ses convictions pour son ambition. En le remplaçant par Nathalie
Kosciusko-Morizet, plus rebelle, Sarkozy a pris un risque. Mais il fait
aussi un pari. Celui que son frère Pierre Kosciusko-Morizet, président
des deux plus gros lobbys français du numérique hostiles au filtrage,
serait moins audible dans son opposition si sa soeur est systématiquement suspectée de collusion
lorsqu’elle défend le même point de vue. Ce qui n’a pas manqué lorsque
PKM a prêché, dans le vide, un moratoire sur la loi Hadopi.
Il a
fallu aussi convaincre dans les télécoms. Free, à la nature frondeuse,
reste le plus difficile à manipuler pour Nicolas Sarkozy. Il a
toutefois trouvé une arme : la quatrième licence 3G.
L’opérateur
sait qu’elle va être rapidement indispensable pour continuer à
concurrencer Bouygues, SFR et Orange, qui peuvent tous proposer des
offres regroupant ADSL et mobile. Mais elle est dépendante de la
volonté du gouvernement. Très rapidement, Christine Albanel a fait comprendre à Free
qu’il devrait être obéissant pour espérer accéder à la fameuse licence.
Depuis, le dossier ne cesse d’être repoussé sous des prétextes fumeux,
et Free a mis de l’eau dans son vin contre Hadopi et contre le
filtrage, dans l’espoir de ne pas hypothéquer ses chances d’avoir accès
à la téléphonie mobile.
Pis, Nicolas Sarkozy a fait nommer numéro deux de France Telecom
Stéphane Richard, le directeur de cabinet de Christine Lagarde, qui ne
compte "que des amis" dans la commission qui déterminera le prix de la
quatrième licence 3G. L’homme aura également pour mission de mettre en
oeuvre le filtrage chez Orange, qu’il dirigera d’ici deux ans.
Le contrôle des institutions ayant leur mot à dire sur le filtrage
Enfin,
Nicolas Sarkozy s’est également assuré de contrôler les institutions
qui pourraient lui faire de l’ombre. La CNIL, qui s’est opposée à
l’Hadopi, n’aura pas le droit de siéger au sein de la haute autorité.
Les amendements le proposant ont été refusés. Elle n’a pas non plus eu
le droit de publier son avis contre la loi Hadopi, et les deux députés
commissaires de la CNIL, tous les deux membres de l’UMP, ont voté pour
la loi. L’un des deux, Philippe Gosselin, a même été un farouche
défenseur de la loi à l’Assemblée, et sans doute au sein de
l’institution. Dans son dernier rapport annuel, la CNIL a dénoncé l’omerta imposée par le gouvernement, et son manque d’indépendance, notamment financière.
Plus
directement, Nicolas Sarkozy a également évincé l’autorité de
régulation des télécommunications (Arcep) des études sur le filtrage,
auquel elle était hostile. Redoutant que l’autorité ne reste trop à
l’écoute des professionnels des télécoms et des internautes, le
président de la République a récemment mis à la tête de l’Arcep
Jean-Ludovic Silicani, l’ancien président du Conseil de la propriété
littéraire et artistique (CSPLA). Un homme notoirement favorable au
filtrage et à la lutte contre le P2P. Le CSPLA, rattaché au ministère
de la Culture, compte par ailleurs parmi ses membres le Professeur Sirenelli,
à qui le gouvernement confie quasiment toutes les missions juridiques
liées au filtrage depuis quatre ans, avec un résultat certain.
Finalement, c’est au niveau européen que Nicolas Sarkozy compte ses plus forts adversaires. Il a entamé un bras de fer avec le Parlement Européen
sur l’amendement Bono, et exerce un lobbying intense sur les Etats
membres pour qu’ils refusent de marquer dans le marbre le principe du
respect de la neutralité du net, contraire au filtrage. Il peut compter
sur le soutien de Silvio Berlusconi, propriétaire de médias, qui met en
place exactement le même plan en Italie. Mais il redoute l’opposition des députés européens.
D’où
l’importance des élections européennes du 7 juin prochain. De leur
résultat dépendera peut-être la réussite ou l’échec du plan mis en
place par Nicolas Sarkozy.
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1) DADVSI : Droit d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’information
(2) Loi HADOPI
: Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des
Droits sur Internet - rebâtisée " Loi Création et Internet" : LCI,
également nommée "Riposte graduée" ou encore Loi Olivienne
(3) Cheval de Troie
(4) LOPPSI : Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure
(5) Fichiers PERICLES
(6) Martin Bouygues : TF1, Bouygues Telecom - Lagardère : Hachette, Filipacchi Medias, France Télécom - Dassault : Le Figaro, TV Magazine, Journal des Finances, Indicateur Bertrand
(7) Loïc Le Meur