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11 juillet 2009

De notre envoyée spéciale à Eldorado do Carajás

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    De notre envoyée spéciale à Eldorado do Carajás (Brésil)

    Pour une fois, l'orage est bienvenu. La terre si souvent craquelée sous le soleil du Pará, dans l'Amazonie brésilienne, est devenue boue. Une aubaine pour le groupe de jeunes membres du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre, plus connu sous l'abréviation MST. Ils doivent préparer une «mistica», une cérémonie en l'honneur de ceux qui sont tombés au combat pour la terre. Nous sommes sur la route d'Eldorado do Carajás, un village du Pará, là où, le 17 avril 1996, la police militaire a tué à bout portant dix-neuf paysans sans terre qui réclamaient de meilleures conditions de vie.

     

     

    Rescapé, Miguel Pontes, la quarantaine, se souvient : « Les flics sont arrivés, ils ont commencé à tirer en l'air, nous n'avons pas bougé, jamais nous n'aurions pensé qu'ils étaient près à nous tuer.» La troupe fait feu, visant en priorité les jeunes hommes aux allures de chefs. Miguel s'effondre, une balle dans la jambe. Malgré le temps, la douleur est intacte. Il s'en tire bien. Hormis ses dix-neuf compagnons tués, de nombreux blessés ont été contraints de subir une amputation. La plupart attendent toujours une indemnisation de la justice. Quant aux donneurs d'ordre de la hiérarchie politique et policière, ils sont libres. Leurs avocats ont multiplié les appels en attendant qu'ils atteignent 70 ans, âge auquel ils ne pourront plus être emprisonnés.

     

     

    Treize ans plus tard, à Eldorado do Carajás, des adolescents, le corps enduit de boue, comme surgis de terre, entament la cérémonie, sur les lieux de la fusillade, là où la route fait un «S». Ils investissent une arène faite de dix-neuf troncs de châtaigniers brûlés. C'est un artiste qui les a récupérés, usant de leur force symbolique. En théorie, il est interdit de couper cet arbre, représentatif de cette région d'Amazonie. Les éleveurs et grands propriétaires détournent la loi en brûlant la terre. Le châtaignier reste debout, mais meurt. Il n'est plus qu'une carcasse dans le paysage. Au bout de quelques minutes, d'autres jeunes paysans entrent en scène, une rose rouge à la main. Ensemble, ils se recueillent, avant de déclamer : «Les puissants peuvent tuer une, deux, même dix roses, mais ils ne peuvent empêcher l'arrivée du printemps.» Une métaphore limpide pour assurer que les sans-terre continueront la lutte. Ensemble, les jeunes plantent dix-neuf arbres, un pour chaque victime, comme un pari sur l'avenir.

     

    En 1996, le massacre d'Eldorado do Carajás a fait l'effet d'une bombe, donnant un visage, dans le monde entier, aux sans-terre brésiliens. Le mouvement était né douze ans auparavant, à Sarandí, dans le Rio Grande do Sul, l'Etat le plus au sud du pays, connu pour sa tradition sociale – c'est sa capitale, Porto Alegre, qui accueille en 2001 le premier Forum social mondial. A l'époque, à la veille du rétablissement de la démocratie, les occupations de terre par des paysans sont fréquentes, mais isolées. Les militants de la Commission pastorale de la Terre (CPT), une aile progressiste de l'Eglise catholique, commencent à organiser cette main-d'œuvre rurale. Ils sont influencés par le mouvement ouvrier qui a donné naissance en 1980 au Parti des travailleurs (PT) – la formation de Lula – et, trois ans plus tard, à la Confédération unique des travailleurs (CUT), aujourd'hui la principale centrale syndicale du pays.

                       

                      
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    Un prête-nom possède des terres de la surface du Portugal

                         

     

    «Notre objectif était clair», se souvient João Pedro Stedile, principal porte-parole d'un mouvement qui se targue toutefois de n'avoir ni chef, ni hiérarchie : «Créer un mouvement de masse au niveau national, qui puisse se battre pour la réforme agraire, et pour une société plus juste et égalitaire.»

     

    Joao Pedro Stedile, principal porte-parole du mouvement des sans-terre

     

    La revendication prend. Le Brésil est l'exemple le plus caricatural, en Amérique latine, de la concentration foncière. En 1985, date du dernier recensement agricole, 35.000 familles (1% de la population) détenaient 44% de la terre cultivable du pays. Ces «latifundios», sont le plus souvent acquis de façon illégale, confisqués par des puissants locaux qui falsifient les titres de propriété. On appelle ces faussaires les «grileiros», parce qu'à l'origine, ils contrefaisaient les documents en les plaçant un temps dans une boîte pleine de grillons. Le papier en sortait taché et grignoté, témoignage des décennies passées dans un coffre familial. Il se trouvait toujours un juge pour en reconnaître l'authenticité.

     

    Dans l'Etat du Pará, justement, un certain Carlos Medeiros (numéro de carte d'identité : 92093-Spp/PA) est ainsi propriétaire, depuis les années 1970, de 9 millions d'hectares – la surface du Portugal. Un héritage de deux cultivateurs portugais, prétendent ses avocats. L'ennui, c'est que Carlos Medeiros n'a jamais existé. C'est un prête-nom qui permet à une poignée de propriétaires locaux de s'approprier la terre publique.

     

     

    C'est ce type de terres que cible le mouvement des sans-terre. «Ils choisissent toujours des terres, prétendues privées, mais qui sont en fait volées à l'Etat, avec la complicité des politiques et des magistrats locaux, eux-mêmes grands propriétaires», explique Jean-Pierre Leroy, un Français installé depuis trente ans au Brésil et qui travaille sur la préservation de l'Amazonie au sein de l'ONG Fase.

     

    La méthode du MST est toujours la même. Investir une terre qui devrait faire l'objet d'expropriation par l'Etat, soit parce que son titre est falsifié, soit parce que la productivité est très basse, et l'occuper. Les familles montent alors un campement («acampamento», dans le vocabulaire du mouvement), qui, lorsqu'il n'est pas délogé, peut durer plusieurs années jusqu'à l'attribution d'un titre de propriété. Il se transforme alors en «assentamento», ensemble de terres cultivées de façon collective, par le biais de coopératives. Ils le payent cher. Tombés sous les balles de la police ou le plus souvent de tueurs à gage, plus de 1800 militants de la réforme agraire sont morts ces trente dernières années. Pratiquement aucun cas n'a été résolu par la justice.

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