PS : le rapport qui déjà disait tout... (JP Mignard)
Dans: Le Nouvel Observateur N° 2341
Au lendemain de l'élection d'Aubry,
Jean-Pierre Mignard, avait pointé dans un mémoire, tous les dysfonctionnements
du scrutin. Neuf mois après, alors qu'un livre choc relance la polémique, il
raconte au «Nouvel Obs» ses soupçons, ses colères... et même ses espoirs !
«Comment
j'ai découvert un véritable chaos électoral»
Ca a commencé dès le soir du vote. Toute la nuit nous sont remontés de
multiples témoignages faisant état de dysfonctionnements dans des sections, des
fédérations. Ici, on a autorisé à voter quelqu'un qui n'avait pas sa carte, là
on a «fait émarger un absent». Ailleurs, les résultats ne correspondent pas au
décompte des voix. Bien sûr, toutes ces protestations militent en faveur de
Ségolène Royal puisqu'elles proviennent de nos rangs. Mais je ne suis pas
binaire. Il y a certainement eu des erreurs ou des irrégularités de notre côté.
Il n'y a pas le camp de la lumière face à celui de l'obscurité, ça n'existe
pas. Ce qui est certain en revanche, c'est que le PS a organisé une élection
avec des moyens et une éthique d'une médiocrité affligeante.
Honnêtement, je ne peux pas dire qu'il y ait eu, chez les amis de Martine
Aubry, une volonté organisée de truquer les résultats. L'addition des
défectuosités ici, des négligences là, et des malhonnêtetés enfin ont abouti à
un véritable chaos électoral. Le résultat est si serré que n'importe quel juge
saisi de cette affaire aurait annulé l'élection. Le vote n'a aucune valeur
probante. C'est d'ailleurs le constat auquel nous parvenons au petit matin,
lorsque le PS rend public une avance de 42 voix pour Martine Aubry, mais décide
de renvoyer la communication du résultat final à une commission de récolement
des votes qui se réunit dès le lundi suivant
«Comment les dossiers se sont soudain
refermés»
Nous arrivons rue de Solférino le lundi matin. Personne ne sait au
juste comment a été composée la commission. Elle est présidée par un ancien
ministre de l'Intérieur, Daniel Vaillant, assisté du député Bruno Le Roux et du
parlementaire européen Kader Arif. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils
ne nous sont pas favorables sur un plan politique : tous trois ont signé la
motion de Bertrand Delanoë qui a appelé, quelques jours avant le scrutin, à
voter pour notre adversaire ! Il y a là aussi des «fonctionnaires» du PS et
enfin nos délégations : trois représentants de Ségolène Royal, trois pour
Martine Aubry, un pour Benoît Hamon. Dès le début des débats, nous évoquons les
nombreux dysfonctionnements dont nous avons eu connaissance et qui portent sur
plusieurs centaines de voix. En face de moi, Christophe Borgel [un mandataire de Martine Aubry, ndlr] a
posé lui aussi un dossier sur la table contenant, selon ses dires, de
nombreuses irrégularités venant de notre camp. Je saute sur l'occasion et
l'invite à nous les communiquer, car ils appuient ma démonstration : ce scrutin
est vicié, il faut l'annuler et convoquer une nouvelle élection. Borgel
comprend tout de suite qu'il est en train de se piéger lui-même et referme
alors son dossier. Il ne le rouvrira plus...
Très vite, je m'aperçois que cette commission tourne à vide. Il manque des
documents : 30% des fédérations n'ont toujours pas fait remonter leurs
résultats officiels rue de Solférino ! Nous avons des échanges aigres-doux. Il
y a des moments polémiques. Des moments sympathiques aussi. Daniel Vaillant
souhaite que tout cela ne se termine pas trop tard parce qu'il veut aller au
Théâtre des Deux-Anes. Nous parlons un peu du Morvan, dont nous sommes tous
deux originaires. A16 heures, tout le monde lève le camp et se donne
rendez-vous le lendemain après-midi
«Comment le PS s'est mis à ressembler au PC
bulgare»
Une course contre la montre s'engage. Nous décidons de rédiger dans
la nuit un rapport en bonne et due forme. On tape à toute vitesse. Le document
liste l'ensemble des reproches que nous pouvons faire au déroulement du scrutin
et qui, selon nous, seraient susceptibles de modifier le résultat en faveur de
Ségolène Royal. Ce n'est donc pas un travail d'enquête, ni parole d'évangile,
mais un recensement, comme on en trouve dans toutes les affaires de contentieux
électoral. Il y a des faits, mais aussi des questions qui méritent des vérifications
et des explications.
Les travaux reprennent pendant trois petites heures dans une ambiance digne de
l'ancien parti communiste bulgare. Personne ne répond point par point à notre
protestation. Il y a, ici et là, des modifications de détail. On regarde
quelques documents. Mais aucune réponse complète, aucune audition des personnes
mises en cause ou des scrutateurs, aucun examen approfondi des procès-verbaux.
Et pour cause ! La commission n'en a ni l'envie, ni les moyens, ni le temps...
Il aurait fallu au moins deux semaines de travail, et non quelques heures. On
aurait suspendu les résultats. François Hollande, qui a brillé par son absence
dans cette affaire, serait resté quelques jours de plus dans le fauteuil de
premier secrétaire. Mais non... le PS a préféré statuer en urgence pour que le
conseil national qui se réunissait le soir même tranche au plus vite.
A la fin, Daniel Vaillant reprend la parole pour expliquer que l'écart qui
séparait les candidates ne portait plus sur 42 mais sur 102 voix, par un calcul
dont on ignore toujours de quelle manière il s'est fait. Il nous explique
surtout que, même s'il subsiste une difficulté d'appréciation numérique, il
existe néanmoins une majorité politique pour régler l'affaire : celle qui a
isolé Ségolène Royal au congrès de Reims. Fermez le ban !
«Comment Ségolène a fini par céder...»
Porter l'affaire devant les tribunaux ? C'est vrai, nous avons
hésité. La compétence du juge était évidente. Et cela n'aurait pas été une
trahison de nos principes. Le juge de la République, c'est le juge de tout le
monde, y compris des partis républicains ! Nous en avons débattu jusqu'au
dernier moment. Ségolène a caressé plusieurs fois cette idée, parce qu'elle
considérait que c'était une question de principes. Et puis la décision
collective s'est imposée à tous. Aller au tribunal, c'était reconnaître que
nous n'étions même plus capables d'accepter le minimum de consensus qui faisait
que le PS pouvait continuer à vivre. C'était organiser, de facto, la scission. Nous
avons décidé de protester sans rompre.
Aujourd'hui, nous nous sommes tous piégés. La première victime, c'est Ségolène
Royal, qui peut non seulement penser qu'on lui a volé sa victoire, mais qui
doit aussi faire face à un déni de justice puisque personne n'a répondu à notre
protestation. La seconde victime, c'est Martine Aubry, qui doit affronter un
procès récurrent en usurpation. La troisième, enfin, c'est le PS, qui voit son
crédit moral entamé.
«Comment il faut tuer le vieux parti"
La publication de ce livre (1) n'a rien apporté de plus que mon
rapport. Mais il appuie de nouveau là où ça fait très mal. Il nous rappelle
qu'on ne peut pas faire litière du passé et qu'il faut se dépêcher de changer
notre culture politique. Réfléchissons à une formule qui permette de savoir ce
qui s'est passé. Pourquoi un groupe de trois personnalités, connues pour leur
autorité morale, leurs compétences professionnelles et leur indépendance, ne
ferait-il pas, dans le silence, un travail d'histoire sur cette affaire, à la
demande unanime du Bureau national ? Il ne s'agit pas aujourd'hui de revoter,
ni de punir qui que ce soit, mais de faire la lumière. Il n'y a pas
d'exemples de reconstruction sans vérité. Il faut ensuite aller plus loin et
confier à une commission indépendante, composées de personnalités membres ou
non du PS, l'organisation de nos futurs scrutins. Comment nos électeurs
accepteraient-ils de venir voter à des primaires si on ne leur en garantit pas la sincérité.
Et qu'on ne me dise pas que c'est la mort du Parti socialiste
! Ce sont des coups durs portés au vieux parti, celui qui croyait qu'on pouvait
continuer à vivre avec des règles qui datent du début du XXe siècle,
celui qui considérait que la justice était bourgeoise et que l'on pouvait
régler les problèmes entre nous. La séparation des pouvoirs ne devrait pas nous
faire peur. Nous sommes tous aujourd'hui engagés dans la défense de
l'indépendance de la
justice. C'est le moment ou jamais d'aller jusqu'au bout.
Est-ce qu'un parti qui devient plus républicain, plus démocratique cesserait
d'être socialiste ? Moi je pense qu'il le serait beaucoup plus.
(1)«Hold-uPS, arnaques et trahisons», par
Antonin André et Karim Rissouli, Editions du Moment.
Matthieu
Croissandeau
Le Nouvel Observateur