La finance islamique
Par Marc Vignaud
Une banque islamique pourrait bientôt s'implanter en France © AFP PHOTO/KARIM SAHIB
Mercredi 18 novembre, Palais Brongniart. Paris-Dauphine, une des 10 meilleures universités européennes, inaugure son master de finance islamique, six mois après la fermeture de sa formation-vedette pour futurs traders. Dans quelques mois, la Qatar Islamic Bank, établissement islamique, pourrait ouvrir une succursale dans l'Hexagone. Une première alors que les grandes banques françaises ont déjà investi ce segment dans le Golfe, à Bahreïn notamment, par le biais d'une marque de BNP Paribas et Calyon.
Dans un contexte de crise financière, la finance
islamique séduit. Ses règles basées sur la loi islamique - la charia -
se sont révélées un atout de taille. Non seulement elle interdit les
placements dans les secteurs considérés "illicites", comme l'alcool, le
porc, la prostitution et le jeu, mais elle prohibe également le
versement d'intérêts et la spéculation. Seuls les investissements sur
les actifs tangibles sont autorisés. Résultat, le secteur est resté à
l'écart de la titrisation des crédits "subprimes" américains et les
actifs gérés de façon "charia compatible" à travers le monde ont
atteint le montant record de 840 milliards d'euros d'actifs dans le
monde, selon Moody's. En France, dans le secteur immobilier, "3 à 5
milliards de stocks d'actifs sont financés de manière charia
compatible", relève Anouar Hassoune, spécialiste risque crédit chez
Moody's et professeur à Paris-Dauphine.
Lagarde multiplie les initiatives
Une manne financière qui irrigue toutefois davantage la City de Londres
et la place de Genève que celle de Paris. Faute d'une réglementation
financière suffisamment adaptée aux instruments financiers islamiques,
la France peine à attirer les liquidités venues des pays du Golfe.
Selon un rapport publié pour Europlace fin 2008, Paris pourrait
pourtant, au prix de quelques réformes simples, "acquérir le leadership
mondial compte tenu de la proximité culturelle de la France avec les
pays musulmans" et de l'importance de la communauté musulmane. Un
sondage Ifop pour l'Association d'innovation pour le développement
économique et de l'immobilier, réalisé au printemps 2008 sur un
échantillon représentatif de la population, montre que 55 % des
musulmans français, soit plus de 2,5 millions de personnes, sont
intéressés par une "offre bancaire compatible avec leurs convictions
religieuses ou éthiques".
Ce potentiel d'expansion de la finance islamique
n'échappe pas à Bercy. Depuis sa prise de fonction, en juin 2007, la
ministre de l'Économie, Christine Lagarde, a régulièrement évoqué la
nécessité de développer cette branche financière. Lentement, mais
sûrement, elle a adapté la législation, notamment par des dispositions
fiscales permettant de "mieux accueillir" les investisseurs immobiliers
respectant les règles de l'éthique musulmane. La locataire de Bercy a
même rencontré des présidents de banques islamiques. En novembre
dernier, elle les invitait au ministère en présence d'élus et de
dirigeants d'entreprises. Parmi les convives : Carlos Ghosn. Le
président de Renault-Nissan y a souligné l'intérêt pour les entreprises
françaises de diversifier leurs sources de financement. Mais, pour
l'heure, les montages conformes à la charia pour lever des fonds sont
"coûteux", avec des "aspects légaux très complexes", relevait-il. Les
obstacles à l'émission de "sukuks", ces obligations islamiques pour
lesquelles le souscripteur reçoit une partie des profits de son
investissement et qui constituent un des produits les plus dynamiques
de la finance islamique, freinent l'intérêt des investisseurs, selon
les spécialistes.
Des réticences au nom de la laïcité
Les ajustements législatifs nécessaires ne vont pas sans résistance, à
droite comme à gauche. En octobre, des députés socialistes ont fait
bloquer une modification du Code civil permettant à un détenteur de
sukuks de "pouvoir se prévaloir d'un droit de propriété des
actifs-supports" au nom du principe de laïcité. "Il ne faut introduire
ni les principes de la charia, ni l'éthique du Coran, ni le droit
canon, pas plus que le Talmud ou la Torah. C'est inacceptable",
justifie Henri Emmanuelli, député PS des Landes.
Anouar Hassoune tempère et souligne que ces
réticences "ne sont pas l'apanage de la France". "Tous les nouveaux
marchés de la finance islamique ont au départ eu une réaction de
méfiance, voire de rejet." Selon lui, "la finance islamique n'est pas
là pour islamiser la France, elle est là pour moraliser les
transactions financières. Elle n'appartient pas aux musulmans, c'est un
compartiment supplémentaire de la finance socialement responsable". Un
constat qui sonne aussi comme un argument marketing sur lequel
pourraient rebondir les établissements français pour séduire le plus
grand nombre, à une époque où le "socialement responsable" a le vent en
poupe, et où la crise a écorné l'image des banques.