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30 décembre 2009

L’enseignement confessionnel fait école

Reportage

A l’occasion des 50 ans de la loi Debré sur les relations entre l’Etat et le privé, plongée dans un complexe scolaire juif tenu par les Loubavitch.

     


     

Par VÉRONIQUE SOULÉ

    Debout sur une estrade au milieu de la cour, des écolières récitent au micro des versets de la Bible en hébreu. Les centaines d’élèves rassemblées les acclament. L’école juive Beth Hanna, dans le XIXe arrondissement de Paris, célèbre Hanouccah, la fête des lumières. Le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, est venu, au septième jour, allumer les sept lumières de la Menorah, le chandelier juif à huit branches de plusieurs mètres de haut installé dans la cour. Et monte pour ce faire sur la grue que l’on a fait venir pour la circonstance. Les enseignantes distribuent les beignets traditionnels.

    Le complexe scolaire Beth Hanna est le plus grand établissement juif de France, et sans doute d’Europe. De la maternelle au lycée, il compte quelque 1 800 élèves, uniquement des filles à partir du primaire. Le bâtiment de six étages a été construit au début des années 90 pour rassembler les élèves disséminés dans des préfabriqués depuis les années 80. Tenu par les Loubavitch, un mouvement orthodoxe, l’établissement est sous contrat avec l’Etat, qui finance les salaires des enseignants. Les professeurs doivent y suivre les programmes scolaires du public. Et théoriquement, les matières confessionnelles ne sont pas obligatoires.

    «Motivation». Les élèves viennent de tout Paris mais aussi des Yvelines, de l’Essonne, etc. Certains font jusqu’à deux heures de trajet par jour. Le directeur, André Touboul, petit homme souriant en kipa et barbe blanche, explique que la demande ne cesse de croître : «Nous essayons de ne refuser personne car les familles sont très motivées». Du coup, certaines classes comptent jusqu’à 30 élèves. Les écoles juives - très religieuses comme celle-ci ou plus libérales - sont en pleine expansion. Elles accueillent plus de 30 000 élèves aujourd’hui. On estime par ailleurs qu’un tiers des enfants juifs sont scolarisés dans ces établissements, un autre dans le privé catholique, le dernier tiers dans le public.

    Pas le droit de sortir. André Touboul avance plusieurs explications. «D’abord, nous sommes une école avant tout, affirme cet ancien prof de maths, fils d’enseignants, et nous avons de très bons résultats.» Le taux de réussite au bac - dans les séries S (scientifique) et ES (économique et sociale), l’école n’ayant pas de L (littéraire) - tourne autour de 90-95 %. «Et pour y arriver, plutôt que de sélectionner nos élèves, nous préférons les faire redoubler.» Il y a aussi, comme toujours dans le privé, le souci des parents de voir leurs enfants mieux encadrés. A Beth Hanna, les élèves sont demi-pensionnaires et n’ont pas le droit de sortir. Avec les études religieuses qui occupent trois heures tous les matins, du lundi au vendredi, ils commencent à 8 h 45 et finissent à 16 h 30 pour le primaire, à 18 heures pour le secondaire.

    Enfin, ajoute André Touboul, les familles, même peu religieuses, souhaitent que leurs enfants aient un enseignement confessionnel, connaissent les textes bibliques, les fêtes juives, l’hébreu - la seconde langue vivante au collège. «Les enfants de familles loubavitch sont moins d’un quart, estime-t-il. Nous accueillons aussi des traditionalistes» [des juifs peu pratiquants qui marquent surtout les grandes fêtes, ndlr]. Conformément à la vision loubavitch, l’école est rythmée par les règles et les fêtes juives. La cantine prépare des repas casher. Il est interdit d’apporter de la nourriture de l’extérieur.La tenue vestimentaire est stricte : uniforme bleu marine, chasuble pour les petites et jupe pour les grandes, avec un chemisier blanc. Le règlement intérieur du primaire exige que «les élèves portent des collants ou mi-bas, des jupes couvrant les genoux, des manches couvrant les coudes, les cheveux attachés». Celui du secondaire précise que «les élèves doivent ranger leurs affaires de sport dans un sac opaque, fermé, destiné à cet effet et non dans un sac plastique». De plus, «la tenue de sport (survêtement, manches longues et baskets) doit impérativement rester cantonnée au gymnase. Pour toutes les sorties vers les toilettes ou autres, les jeunes filles doivent remettre leur jupe».

    «contre nature». Officiellement, les établissements sous contrat doivent accepter les élèves de toutes confessions. Mais on voit mal dans ce cadre des familles non juives inscrire leurs enfants. De même, toujours selon la loi, il n’y a pas obligation à ce que les enseignants soient juifs. «Ce n’est pas une règle mais généralement ils le sont, car ils doivent vouloir marquer les fêtes comme nous le faisons», souligne le directeur. A défaut de mixité confessionnelle, les Loubavitch vantent la mixité sociale. Une partie des élèves, issus du XIXe, l’un des derniers quartiers populaires de la capitale, sont de milieu modeste. D’autres, au contraire, très aisés. Les frais de scolarité, en fonction des revenus, vont de la gratuité à 200 euros par mois, explique le directeur. Comme pour toutes les écoles sous contrat, l’Etat paie un «forfait» annuel - environ 200 euros par élève du secondaire - pour l’entretien des bâtiments. La région, elle, a rejeté la demande de l’école. «Il y a eu une alliance contre nature entre le Front National et les Verts, ces derniers au nom de la laïcité», explique André Touboul qui dénonce une «discrimination».

    La grande fierté des Loubavitch est de voir revenir une première génération formée par l’école. Anna, enseignante de 23 ans coiffée d’une perruque - ce qui signifie qu’elle est mariée - a fait toute sa scolarité dans les établissements loubavitch du quartier. Elle a décroché son bac, puis a passé un an dans un séminaire du mouvement au Canada. Revenue, elle enseigne, le matin, les matières religieuses aux primaires.

    Photos Jean-Michel Sicot

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