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27 juin 2010

Réforme des retraites: le chantage financier auquel l'Elysée a cédé



 

Mediapart. Le 20 Juin 2010 Par Laurent Mauduit 

  

http://www.mediapart.fr/journal/france/200610/reforme-des-retraites-le-chantage-financier-auquel-lelysee-cede 

  

Quand le ministre du travail, Eric Woerth, a présenté, mercredi 16 juin, la réforme des retraites dessinée par le gouvernement et arbitrée par Nicolas Sarkozy, cela est aussitôt apparu au grand jour: les mesures d'austérité annoncées pour redresser les comptes des régimes de retraite pèseront lourdement sur les salariés, mais peu sur le capital et les plus hauts revenus. Parce que le chef de l'Etat en a décidé ainsi. Mais aussi parce qu'il s'est mené dans les coulisses du pouvoir une lutte âpre: selon des informations confidentielles dont dispose Mediapart, le gouvernement avait l'intention, initialement, de taxer davantage certains produits d'épargne. 

  

Mais des banquiers et des assureurs consultés par l'Elysée ont brandi la menace que les grands établissements financiers français pourraient cesser d'acheter de la dette française, si le projet voyait le jour. Face à ce qu'il faut bien appeler un chantage, le gouvernement a donc renoncé à ce projet. D'où la taxation a minima du capital qui a finalement été insérée dans la réforme. 

  

Quand la réforme a été dévoilée, Mediapart a en effet souligné dans un «parti pris» (voir notre article Le travail accablé, le capital épargné) et dans un « édito vidéo » (que l'on peut visionner ci-contre) que le dispositif gouvernemental était très déséquilibré. 

  

Un rapide examen des efforts demandés aux uns et aux autres permet d'en rendre compte. La mesure prévoyant le relèvement de 60 ans à 62 ans de l'âge légal du départ à la retraite, mesure phare du projet gouvernemental, rapportera à elle seule près de 19 milliards d'euros, à l'horizon de 2018, selon les projections du gouvernement. Or, par comparaison, la totalité des recettes nouvelles qui pèseront sur les hauts revenus ou sur le capital n'atteindra que 3,7 milliards d'euros en 2011 et 4,6 milliards d'euros en 2020. 

  

Comme l'établit le tableau réalisé par le gouvernement (la version intégrale du plan peut être téléchargée ici), il sera donc demandé cinq fois plus au travail qu'au capital. Pour être précis, et isoler les mesures spécifiques nouvelles qui vont peser sur le capital, il faut même déduire des 4,6 milliards les taxes qui seront à la charge des ménages fortunés et ne retenir que celles à la charge des entreprises. Dans ce cas, on parvient à un partage des efforts encore plus déséquilibré: en face des 19 milliards d'euros qui seront à la charge des salariés, on ne trouve que 2,650 milliards d'euros à l'horizon de 2020 qui seront à la charge des entreprises. Dans ce mode de calcul, le rapport n'est donc plus de un à cinq mais de un à huit. 

  

La fiscalité dérogatoire de l'assurance-vie 

L'iniquité de ce dispositif se confirme quand on examine le plan dans le détail. Prenons à titre d'exemple les stock-options. Au travers de cette réforme, le gouvernement avait l'occasion de moraliser ce système. A de nombreuses reprises, la Cour des comptes l'y avait d'ailleurs invité. Et de l'affaire Elf jusqu'à l'affaire Antoine Zacharias-Alain Minc, l'opinion, qui avait été légitimement choquée par des scandales en cascade, avait pesé dans le même sens. Or, on voit ce que prévoit le gouvernement: une mini-taxe qui rapportera tout juste 70 millions d'euros en 2011. Autant dire rien du tout. La totalité des plus-values potentielles du seul Bernard Arnault, patron de LVMH, sur ses stock-options est actuellement évaluée à près de 100 millions d'euros.  

  

La mesure sur les retraites-chapeau – autre scandale qui défraie périodiquement les milieux du CAC 40 – ne vaut guère mieux: elle générera elle aussi moins que rien. Tout juste 110 millions d'euros. 

  

Quant à la dernière mesure, celle prévoyant de relever de 40 à 41% le taux marginal de l'impôt sur le revenu, elle ne fait pas plus illusion. D'abord son gain est aussi maigre: 230 millions d'euros. Et surtout, il s'inscrit dans une logique d'affichage. Car, en France, les vraies inégalités sont beaucoup plus celles face au patrimoine que celles face aux revenus. En supprimant presque totalement les droits de succession en 2007, et en relevant de 1% le taux supérieur de l'impôt sur le revenu, Nicolas Sarkozy sait donc pertinemment ce qu'il fait: il a offert, dans le premier cas, un gros cadeau aux plus grandes fortunes, et va soumettre à une mini-taxe des contribuables parmi lesquels figurent d'abord les cadres. 

  

Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il pris le risque de présenter au pays une réforme à ce point inéquitable? En vérité, ce n'était pas son intention initiale. L'Elysée a longtemps envisagé d'insérer dans sa réforme d'autres taxations, et tout particulièrement sur l'épargne. Un dossier tout particulièrement est à l'examen depuis de longues semaines, celui de l'assurance-vie. 

  

Durant des années, ce produit d'épargne a profité d'une situation fiscale dérogatoire confinant au scandale. Jusqu'à 1997, les revenus tirés de l'assurance-vie étaient en effet exonérés de l'impôt sur le revenu. Et ces produits d'épargne étaient même totalement exonérés de droits sur les successions. Avant cette date, d'immenses fortunes se sont souvent investies pour permettre à des héritages de se transmettre en franchise totale d'impôt. Mais après cette date, l'assurance-vie – en tout cas les nouveaux contrats souscrits, et non les anciens – est entrée dans le champ de l'imposition, même si elle a continué à profiter d'une situation dérogatoire, très favorable aux plus hauts revenus. 

  

Pébereau et Castries à la manœuvre 

Actuellement, le régime fiscal de l'assurance-vie est le suivant. Si un épargnant décide de sortir de son contrat dans les quatre premières années, il paie 35% d'impôt sur ces gains, auxquels s'ajoutent 12,1% de prélèvements sociaux. Entre quatre et huit ans de détention, l'imposition est abaissée à 15%, plus les 12,1% de prélèvements sociaux. Et au-delà de huit ans, l'impôt n'est plus que de 7,5%, plus les 12,1% de prélèvements sociaux, au-delà d'un abattement de 4.600 euros pour un célibataire et de 9.200 euros pour un couple. 

  

Durant des semaines, le gouvernement caresse donc secrètement le projet de durcir la fiscalité sur l'assurance-vie. Les schémas à l'étude consisteraient à relever avant quatre ans le taux d'imposition de 35% aux alentours de 38%, entre quatre et huit ans de 15% à environ 18%, et au-delà de huit ans de 7,5% actuellement à environ 10%. Dans un premier temps, l'intention du gouvernement était d'étudier ces relèvements éventuels pour les insérer dans le projet de loi de finances pour 2011. Néanmoins, dans un second temps, l'Elysée s'est pris à penser que ces dispositions pourraient être bienvenues dans le cadre de la réforme des retraites, pour convaincre l'opinion du caractère équilibré du projet. 

  

Mais l'affaire s'est mal passée. Car deux grands patrons, le président de conseil de BNP Paribas, Michel Pébereau, et le patron d'Axa, Henri de Castries, ont dit à l'Elysée sur-le-champ tout le mal qu'ils pensaient du projet. Or, le banquier et l'assureur présentent tous deux la même caractéristique: ils sont des proches de Nicolas Sarkozy. Ils ont l'un comme l'autre contribué à l'élaboration du volet économique du programme de Nicolas Sarkozy, quand il était candidat à l'élection présidentielle. Et depuis 2007, ils font partie des quelques grands patrons que le chef de l'Etat consulte périodiquement. 

  

Le banquier et l'assureur ont donc exprimé leur opposition à ce projet. Et ils ont fait savoir à l'Elysée que si le projet voyait le jour, les grandes banques et compagnies d'assurance françaises n'achèteraient plus de la dette française. Le chantage a marché: en ces temps troublés où la dette publique française est de plus en plus scrutée par les marchés financiers et les agences de notation, l'Elysée a préféré faire machine arrière. 

  

La colère du banquier et de l'assureur s'explique. Avec un encours de 1.400 milliards d'euros, l'assurance-vie est depuis longtemps une manne pour les établissements financiers, gage de très gros profits. Or, depuis quelques mois, les rendements de l'assurance-vie baissent. Et, dans le même temps, le Livret A que le gouvernement a scandaleusement maltraité va voir mécaniquement son taux progresser: au terme du mécanisme d'indexation, le taux devrait passer de 1,25% actuellement à 1,50% ou 1,75% au 1er août prochain. Le rendement du Livret A, le produit d'épargne favori des Français, devrait cesser d'être négatif. Cette évolution devrait donc faire un peu plus d'ombre à l'assurance-vie. 

  

Près de 29% de l'assurance vie s'investit en dette souveraine 

Du coup, on comprend mieux les protestations véhémentes des deux grands patrons sarkozystes. Et la menace de ne plus financer la dette de l'Etat. Car l'encours colossal de 1.400 milliards d'euros d'assurance-vie se diffuse en réalité dans toute l'économie: près de 54% va s'investir dans les entreprises, en actions pour un tiers, en obligations pour les deux tiers. Mais près de 28% ou 29% de cet immense pactole financier va par ailleurs s'investir en dette souveraine – qu'il s'agisse de la dette française ou de la dette d'autres grands pays européens. 

  

Dans le chantage des financiers, il y a donc une interprétation soft: ils ont tout bonnement alerté la puissance publique qu'une ponction fiscale complémentaire sur l'assurance-vie aurait pour effet de diminuer d'autant les fonds susceptibles de s'investir en dette souveraine. Mais comme les modifications fiscales, pour des raisons de constitutionnalité, peuvent difficilement avoir un effet rétroactif, ce seraient les nouveaux contrats d'assurance-vie qui pourraient faire l'objet du relèvement envisagé des taux d'imposition. Dans cette hypothèse, l'impact éventuel sur l'investissement en dette souveraine ne serait donc que microscopique. 

  

A notre connaissance, ce n'est pas cette menace sur les nouveaux contrats que le banquier et l'assureur ont brandi. Ils ont plus généralement fait valoir qu'en cas de relèvement de la fiscalité, tous les grands gestionnaires d'assurance vie modifieraient leur politique d'investissement. Au détriment de l'Etat. Les banquiers et les assureurs ont-ils pour autant gagné la partie? Dans l'état calamiteux dans lequel se trouvent les finances publiques, le projet pourrait revoir le jour, comme c'était initialement prévu, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2011. 

 

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