Tribune sur la jeunesse publiée par Marianne2.
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Les
« jeunes générations », celles qui, selon le sociologue Louis Chauvel,
sont nées à partir des années 1960 et suivantes (parce que ce sont
celles qui ont, les premières, connu un lourd chômage des jeunes, ou
parce que, né lui même en 1967, il aime à se considérer encore parmi la
jeunesse !), sont largement privées de représentation politique, voire
durablement marquées par l’abandon mutuel qui caractérise les rapports
entre leurs vies et la politique…
Dans ce contexte, le
regain d’intérêt du monde intellectuel, médiatique, et dans une
certaine mesure politique, que semble susciter la question de la place
et de l’avenir des jeunes générations dans notre société, et dont
témoigne encore « le grand débat » que Le Monde consacre à cet enjeu
dans son édition du 4 janvier 2011, est salutaire.
Mais, de
même qu’un train, un clivage peut en cacher un autre ! S’il est
probablement pertinent de réfléchir aux antagonismes d’intérêts entre
des jeunes sacrifiés et des seniors nantis, il serait absurde de
considérer que tous les jeunes sont sacrifiés, et plus encore de penser
que tous les seniors sont nantis. Surtout, la tentation de cette
superposition abusive entre le clivage générationnel et le clivage de
classes, ne permet pas de percer à jour l’enjeu central, pour les
citoyens de ce XXIe siècle commençant, ni donc d’aller aux solutions
essentielles.
Qui n’a jamais discuté avec les vieilles
retraitées agricoles survivant grâce au minimum vieillesse, et qui
peuplent nos hameaux, ou avec les rescapés d’une longue vie ouvrière,
qui vivent chichement leur retraite dans les bourgs et les faubourgs,
pourrait interpréter abusivement l’assertion de Louis Chauvel contre
ces vieux « possédants français, accumulant de l’assurance-vie et des
logements vides, tout comme leurs grands-parents serraient leurs
lingots » : la plupart de nos parents et grands-parents n’ont pas plus
de logements vides ni d’assurance vie que de lingots ; plutôt, dans le
meilleur des cas, un livret A péniblement conservé, en guise d’épargne
de précaution…
Méfions-nous donc des amalgames hâtifs. Le
« décryptage » du Monde du 4 janvier n’y verse pas, mais la lecture
superficielle qui pourrait en être faite y conduirait. D’autant que
l’intérêt des « possédants », les vrais, actionnaires mondialisés des
fonds d’investissement et firmes transnationales, est précisément de
brouiller les pistes, et de diviser pour régner.
De la même
manière, on a sciemment confondu le problème du moule de reproduction
des élites sociales que sont les grandes écoles, avec celui de la
« diversité » en leur sein, un concept qui permet tous les glissements
de sens… Pour aboutir trop souvent à des politiques de quotas,
cache-sexe du statu quo, plutôt que de réformer en profondeur le
système scolaire dans le but de permettre une meilleure égalité des
conditions offerte à tous, du plus jeune âge jusqu’à l’issue de la
formation initiale, et de mettre ainsi l’excellence à égale portée de
l’effort, d’où qu’on vienne. Jean-Yves Autexier, alors élu MRC de
Paris, avait raison de souligner, dès les années 1990-2000 « qu’on a
plus de peine à trouver un travail quand on s’appelle Ali que quand on
s’appelle Alain ». Mais ce n’était pas pour justifier une politique de
quotas, meilleure garante de la perpétuation d’une quasi cooptation des
élites sociales entre elles. D’ailleurs, il est difficile, aussi,
d’accéder à Sciences Po quand on est le fils d’un paysan de l’Allier,
ou d’un ouvrier du décolletage haut-savoyard, toute blanche que soit sa
peau ! Mais face à cela, nul projet de « démocratisation »… Ali est
devenu alibi.
Gardons-nous donc de ces clivages qui
occultent la question sociale. On ne peut se satisfaire d’un clivage
simpliste entre « jeunes = sacrifiés » et « vieux = nantis ». A
fortiori, la réponse ne saurait consister à déshabiller les vieux pour
habiller les jeunes ! L’enjeu est surtout de comprendre pourquoi ce qui
était possible lorsque nos « vieux » étaient « jeunes », jusqu’à la
fin des années 1970, semble interdit aux jeunes d’aujourd’hui.
Quelle
est cette « régression du système social dans son entier » dont parle
Louis Chauvel ? D’où vient elle ? Comment la pallier ?
On
ne saurait faire ici abstraction du problème central de la
mondialisation néo-libérale, de la destruction de toutes les règles du
jeu monétaire et commercial mondial, de l’abolition de toutes les
barrières de protection de notre système social, ni de la
financiarisation de notre économie, telles qu’elles ont été mises en
œuvre constamment par les oligarchies depuis les années 1970.
«
Trente-cinq ans après l’extension du chômage de masse, la jeunesse a
servi de variable d’ajustement », constate lucidement Louis Chauvel.
Chômage, précarité, activité non ou sous payée telle que les stages,
découlent de cet équilibre de sous-emploi gravissime, sur lequel a
débouché la mondialisation néo-libérale et son corollaire, une nouvelle
division internationale du travail : l’exploitation dans les pays à
faibles coûts de main d’œuvre et à armées de réserve infinies, le
chômage de masse ailleurs.
Or c’est bien cette évidence que
semble éluder Louis Chauvel dans sa tribune, quand il affirme que, pour
résoudre le problème du chômage des jeunes, « il faudra passer par le
double tranchant de la fluidification du droit du travail et de
l’obligation d’embauche faite aux employeurs ». « Fluidifier le droit
du travail », c’est ajouter de la précarité à la précarité. Ce n’est
pas répondre aux problèmes de petits patrons aux carnets de commandes
trop vides, aux donneurs d’ordre trop exigeants sur les prix, aux
banques insuffisamment coopératives… Et pour les grands patrons, à part
l’effet d’aubaine, le « droit du travail » plus « fluide » n’apportera
rien qui motive davantage d’embauche : les profits resteront plus
juteux du côté de l’exploitation des petits Chinois ! Quant à
« l’obligation d’embauche », comment l’imposer à une petite entreprise
exsangue, ou à une firme transnationale qui n’a qu’à appuyer sur un
clavier pour délocaliser ?
De même, le problème de la
« dette massive de consommation empêchant des politiques publiques
ambitieuses d’investissement », pointé par le sociologue, ne se règlera
pas que par la taxation qu’il propose, et qui paraît souhaitable, des
résidences secondaires dans le tissu urbain… Quid des profits
mirobolants des grandes entreprises transnationales qui exploitent sans
vergogne aux quatre coins du globe ?
Bien sûr, il est
indispensable de pallier « l’état de pauvreté de l’université low
cost », ou encore de mettre enfin en œuvre ce « plan de long terme de
constructions collectives et de qualité » contre « la crise du
logement ».
Mais où sont les marges de manœuvre à recouvrer
à cette fin ? Du côté de l’intervention publique, pour drainer
l’épargne populaire, les compétences, les richesses de nos territoires,
vers la réindustrialisation de la France. Du côté de la politique
monétaire : l’Euro fort est un boulet au pied de notre économie ; voilà
un legs désastreux de nos parents et grands-parents ! Accordons-leur
que Maastricht a été voté de peu, et qu’on peut admettre que la moitié
d’entre eux ait parié sur cette construction européenne, dont on leur
avait annoncé tant de fruits vertueux… Du côté des règles commerciales,
à rétablir, avec une protection intelligente de notre modèle social,
de nos emplois, de nos savoir-faire : le libre échange aveugle, voilà
encore un legs désastreux qu’on n’est pas obligé de subir plus
longtemps !
Maintenant qu’il est patent que la récolte est
mince, voire pourrie, changeons la donne de cette construction
européenne et de cette mondialisation néo-libérales !
Rien
ne dit que les seniors aient plus à y perdre qu’à y gagner ; mais tout
assure que ce combat de longue haleine est celui des jeunes
générations, en tous cas de la majorité sociale.
Dans la
même édition datée du 4 janvier, le Monde met notamment en valeur, à
rebours de l’idée centrale d’un dossier intitulé « pourquoi l’école
française ne corrige-t-elle pas les inégalités », l’expérience de Tarek
Bestandji, jeune homme de 27 ans sorti de Sciences Po Paris, où il
avait été admis par le biais des fameuses « conventions ZEP ». Il sert
aujourd’hui les intérêts du cabinet états-unien
Pricewarterhouse-Coopers, et ne veut surtout pas, lit-on, s’engager en
politique. Ce Tarek, comme tous les Alis ou Alains de Clermont-Ferrand
ou Montfermeil, ne risque pas ainsi de changer l’ordre établi, de
donner une chance à sa génération, un avenir à la France….
Mission accomplie pour Sciences Po et saluée par le Monde ?
Patrick TRANNOY, 30 ans
Conseiller National du Mouvement Républicain & Citoyen
Vendredi 7 Janvier 2011
Patrick TRANNOY