Ce que décidera DSK
Ira, ira pas ? Aujourd’hui à la tête du Fonds monétaire international, DSK entretient le suspense sur son entrée en lice pour la présidentielle.
06.01.2011 | Christopher Dickey, Tracy McNicoll | Newsweek
- Etats-Unis
- Newsweek
© Dessin de Mix & Remix (Lausanne) pour Courrier international.
Pour le moment, Dominique Strauss-Kahn dirige le monde. A 61
ans, il n’a jamais été autant adulé, ni n’a jamais pu aussi bien
affirmer sa vision centriste des affaires politiques et économiques.
Ministre des Finances de Lionel Jospin [de 1997 à 1999], il était
manifestement en désaccord avec les idéologues de son parti. Il a
pourtant convaincu les siens d’accepter l’euro, privatisé massivement,
réduit les impôts et autorisé les stock-options. Aujourd’hui, il est à
la fois à la tête du système financier international et en tête des
sondages en France. Ce qui lui pose un problème : doit-il rester au
Fonds monétaire international (FMI) jusqu’à l’expiration de son mandat,
fin 2012, ou démissionner et se présenter à la présidentielle ? L’heure
tourne.
Le grand rival de Sarkozy
Ses amis et collègues, qui demandent à conserver l’anonymat pour
s’exprimer franchement, sont convaincus qu’il entrera tôt ou tard en
campagne. “Il fait bien attention à ne rien laisser paraître, car, à la moindre indication de ses intentions, il devra quitter le FMI”, confie un ami qui le connaît depuis des décennies. L’une de ses connaissances féminines fait remarquer qu’il est “au régime en ce moment”,
le signe selon elle qu’il projette de faire des apparitions télévisées.
Plus substantiel, un ancien conseiller laisse entendre que DSK
annoncera sa candidature en juin, après le sommet du G20 qui doit se
tenir en mai en France et qu’il pourrait “utiliser comme rampe de lancement”.
Mais être candidat n’est pas la même chose que devenir président. DSK le
sait pertinemment, lui qui s’est misérablement montré incapable
d’obtenir l’investiture du PS en 2007. Et le FMI a pris tant
d’importance ces deux dernières années [avec la crise économique] qu’il
sera difficile d’y renoncer, d’autant que DSK semble avoir une bonne
chance d’effectuer un deuxième mandat. Il n’est donc pas injuste de se
demander si la France est un terrain de jeu assez vaste pour lui. De
fait, même Nicolas Sarkozy s’est rendu compte que la présidence
française était plus limitée et contraignante que souhaité. Il [n’avait]
qu’une hâte : que Paris prenne la présidence du G20 – avec l’espoir de
voler la vedette à DSK.
Parfois, il semble que Sarkozy et DSK soient nés pour s’affronter : ils
ont tous deux grandi hors de l’élite traditionnelle française et se sont
frayé un chemin jusqu’au sommet. Le père de l’actuel président était un
immigré hongrois ; Strauss-Kahn, issu d’une famille juive, a passé son
enfance au Maroc. Aucun des deux n’a fait l’ENA (DSK y a enseigné).
Sarkozy a cependant montré à maintes occasions qu’il était un
authentique génie cynique de la politique, alors que DSK a encore
beaucoup à prouver. “Je ne suis pas absolument convaincu qu’il soit un grand homme politique”, confie Gérard Grunberg, chercheur au CNRS et spécialiste du PS. “Ni qu’il soit capable de mener une grande campagne électorale.”
Si DSK décide de sauter le pas, il risque de se retrouver confronté à
nombre de problèmes politiques et personnels qui l’ont gêné par le
passé. Le moindre de ses soucis sera sa réputation de coureur de jupons.
Ce genre d’histoire laisse en général de marbre les électeurs français
et il faut souligner que Sarkozy, marié trois fois, a eu de multiples
liaisons. Plus problématiques – et probablement fatales – pour ses
ambitions présidentielles sont les relations que DSK entretient avec le
PS. Lui, l’économiste de gauche modéré, est connu pour défendre des
politiques impropres à lui assurer le soutien de la gauche – voire de
l’extrême gauche. Pour l’instant, son poste au FMI ne lui permet pas de
s’exprimer sur l’actualité française, et rester au-dessus de la mêlée ne
lui nuit manifestement pas dans les sondages. Ses amis et ses ennemis
en sont réduits aux devinettes – que ferait Dominique ? – sur la
question des retraites, par exemple. En déclarant que la retraite à
60 ans ne devait pas être considérée comme un “dogme”, DSK a donné lieu à
d’innombrables interprétations, pour la plupart favorables.
Une série de handicaps
Tout se compliquera dès qu’il entrera en campagne. En 2006, en lice pour
l’investiture du Parti socialiste, DSK avait de façon insistante mais
peu crédible adopté la rhétorique de l’extrême gauche. Lui qui a
privatisé à tour de bras quand il était ministre s’est soudain mis à
prôner la “nationalisation temporaire” d’entreprises stratégiques.
Résultat : il a perdu la confiance des électeurs du centre sans gagner
celle des éléments les plus à gauche de son parti. Et Ségolène Royal lui
a été préférée. “Strauss-Kahn a un vrai talent pour se disqualifier
lui-même”, confie un de ses anciens collègues. Pour Grundberg, DSK sera
plus libre d’exprimer sa vision centriste en 2011 qu’il ne l’était en
2006, mais il restera confronté à cette gauche du PS et aux nombreuses
factions extrémistes qui peuvent toujours jouer un rôle important dans
les urnes. “Il n’est pas si simple de faire campagne contre sa base”,
souligne Grunberg. Dans l’intervalle, d’autres candidats socialistes se
préparent. DSK doit donc se décider rapidement, si ce n’est déjà fait.
C’est une décision difficile – même si beaucoup de politiques rêveraient
de connaître pareil embarras.