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15 janvier 2011

Un fonctionnaire suspendu pour avoir créé Wikileaks 13

Louise FESSARD sur MEDIAPART

Cadre au conseil général des Bouches-du-Rhône, Philip Sion, 39 ans, a voulu marcher dans les traces de Julian Assange et de Stéphane Hessel en lançant le 1er janvier 2010 Wikileaks 13, «site de l'indignation citoyenne», destiné à recevoir des documents sur la gabegie et les pratiques illégales des collectivités du Grand Marseille. «Marchés bidon, emplois fictifs, pistons : les gens le savent mais c'est rarement écrit et appuyé par des documents», explique à Mediapart cet ingénieur en réseaux et télécommunication, passionné d'informatique.

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    Philippe Sion.

    Philippe Sion.© (LCM)

     

    Le 4 janvier, après la diffusion d'un reportage sur La Chaine Marseille où le fonctionnaire dévoilait son identité, le Conseil général l'a suspendu de ses fonctions pour non-respect de son devoir de réserve, «dans l'attente d'un conseil de discipline». Le fonctionnaire conserve son traitement mensuel (2.200 euros) mais pas ses primes (900 euros supprimés). La collectivité territoriale lui reproche d'avoir «diffusé des informations pouvant porter atteinte ou susceptibles de porter atteinte à l'institution départementale ainsi qu'à des élus et fonctionnaires». Au point que, convoqué mardi matin par sa hiérarchie, Philip Sion s'est vu prié de quitter immédiatement les lieux.

    «Dans les heures qui ont suivi, ils m'ont coupé le mobile», raconte le cadre, défendu par la FSU et qui s'attend à perdre son emploi. Une sévérité qui tranche avec le traitement réservé, dans une autre institution socialiste, au directeur adjoint de la propreté de la Communauté urbaine de Marseille, Michel Karabadjakian. Mis en examen le 30 novembre pour «trafic d'influence et corruption passive» dans l'enquête sur les marchés publics des Bouches-du-Rhône, le fonctionnaire a simplement été relevé de ses fonctions hiérarchiques.

     

    Devant le succès médiatique du nouveau Julian Assange marseillais, le président du conseil général Jean-Noël Guérini a contre-attaqué lors de ses vœux à la presse ce vendredi 7 janvier, estimant, que l'institution était «victime d'une tentative de chantage». Cette fois-ci le conseil général n'a pas hésité à distribuer aux journalistes un document interne : dans un mail adressé le 20 décembre à Rémy Barges, directeur de cabinet du président, Philip Sion, qui se présente comme un «cadre inemployé du CG13», menace de mettre en ligne Wikileaks 13, si la mission d'aménagement numérique et de concertation citoyenne qu'il propose (budget estimé à 300.000 euros) ne lui été pas confiée au 1er janvier. «Venant de Philip Sion, ce n'était pas du tout du chantage, assure Anne-Claude Thevand, ancienne élue socialiste marseillaise qui joue les attachées de presse pour le fonctionnaire, quelque peu débordé par la tournure des évènements. Il leur a tendu la main plusieurs fois pour travailler différemment, mais pour faire avancer les choses au conseil général, il faut se lever de bonne heure!»

    En ligne de mire du conseil général, la mise en ligne in extenso sur Wikileaks 13 de l'enregistrement sonore d'une commission administrative paritaire (CAP) en date du 14 décembre, chargée de décider de l'avancement des fonctionnaires. La bande-son, plutôt brouillonne et difficilement compréhensible, témoigne, selon l'intéressé, du rôle du syndicat FO dans les promotions pistonnées et de la présence au sein de l'institution d'une trentaine de cadres errants «payés juste pour être présents et contraints au silence». 

    «J'ai commis une erreur, c'est contraire au droit de mettre en ligne la CAP mais, en tant que fonctionnaire, j'ai aussi l'obligation de dénonciation : la CAP est le moteur interne d'une collectivité. Comment le reste peut-il être intègre si tout est faussé dès le départ ?», se justifie Philip Sion. Entré comme contractuel au conseil général en 2002, l'ingénieur territorial s'est retrouvé «au placard» il y a trois ans parce qu'il faisait «remonter trop de choses». Jean-Noël Guérini évoque «une succession de manquements professionnels intervenus tout au long de l'année 2010». 

    Philip Sion s'était déjà fait repérer en juillet 2010 comme un dangereux adepte des logiciels libres pour avoir eu l'impudence de recommander «le poste de travail libre» à l'élu de la Ville de Marseille en charge du numérique, Daniel Sperling. «Non-respect du devoir de réserve» et conflit «entre sa fonction au sein du conseil général et ses activités privées» notamment «au sein d'associations comme l'April (association de promotion du logiciel libre, ndlr)», avait alors alerté le directeur informatique de Marseille dans un courrier à son homologue du conseil général, supérieur hiérarchique de Philip Sion.

    Quelques semaines plus tard, en septembre 2010, la ville décidait d'écarter GNU/Linux, un temps envisagé, au profit du système d'exploitation de Microsoft, Windows 7, qui sera installé d'ici 2014 sur ses 6.000 ordinateurs. 

          

       
  • Don Quichotte

    Philip Sion a quelque chose d'un Don Quichotte, idéaliste et naïf, quand il appelle sur Europe-1 jeudi soir « tous les responsables des collectivités territoriales de Paca, Jean-Noël Guérini, Jean-Claude Gaudin, Eugène Caselli, Maryse Joissains, à réfléchir à créer une association à but non lucratif sur la loi de 1901, totalement apolitique, qui s'appellera Wikileaks 13».

     

     

    Passé par le Modem, ce père de famille a finalement déchiré sa carte «dégoûté par la politique». «Lors de l'inauguration d'un club seniors pour les retraités de Saint-Jérôme en 2009 (dans le nord de Marseille), j'avais suggéré un accès Internet, raconte-t-il. Le collaborateur d'un conseiller général socialiste m'a balancé: “Google, j'en ai rien à foutre ! Ici, c'est pour donner des goûters et des lotos à des vieux!”»

    Alors, il milite au sein de son Comité d'intérêt de quartier (CIQ). Et compte sur la création de «vigies citoyennes» et le travail collaboratif pour changer la politique. «On a tous les outils technologiques pour faire travailler les citoyens ensemble, analyse cet adepte de la transparence. C'est plus simple pour un politique d'avoir deux ou trois têtes en face de lui qu'il peut espérer convaincre, de façon presque physique, en les touchant, en leur parlant. Mais face à 1.000 personnes, les politiques sont noyés. Pourquoi ne publie-t-on pas sur internet, par exemple, la liste d'attente pour les HLM, afin de mettre fin aux passe-droits ?»

    Et de plaider une dernière fois : «Oui, le conseil général des Bouches-du-Rhône fonctionne, mais avec une dépense incroyable de l'argent public, des gens qui se font laminer parce qu'ils n'adhèrent pas à ce système, des prestataires trop payés, des connivences, imaginez ce qu'on pourrait faire sans tous ces ralentisseurs !» Les cinq autres collaborateurs de Wikileaks 13, tous fonctionnaires dans des collectivités territoriales de Paca, ont préféré garder l'anonymat. Face à l'afflux de documents postés sur le site, ce dernier promet de nouvelles publications tous les mardis.

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