Ségolène Royal : «présidente, l'engagement d'une vie» ENTRETIEN. VIDEO.
Bien que distancée dans les sondages, la présidente de Poitou-Charentes, candidate aux primaires du PS pour l’élection de 2012, estime que rien n’est encore joué.
Entretien coordonné par Henri Vernet, Philippe Martinat, Rosalie Lucas et Éric Hacquemand Avec la collaboration d’Elisabeth Kastler-Le Scour Photos : Delphine Goldsztein | Publié le 20.01.2011, 07h00
SIège de notre journal (sAint-ouen, seine-saint-denis), mardi. Ségolène Royal : « Je suis une femme libre. Je ne suis liée à aucun réseau. […] Je ne suis liée à aucune puissance d’argent. »
Ségolène Royal ne lâche rien. La candidate aux primaires du PS accélère le rythme de sa campagne. Mardi, la présidente de Poitou-Charentes est ainsi venue à la rencontre de nos lecteurs pour un échange de deux heures, sans concession. Y compris quand les micros se coupent. La présidentielle ? « C’est un don de soi, il faut accepter de prendre des coups.
La prise de risques fait partie de l’engagement politique », dit-elle en allusion à ceux qui, comme Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry, hésitent à se lancer dans la bataille. Les mauvais sondages ne la freinent pas. « Quand l’offre sera stable, alors ils auront un sens », lâche-t-elle. En attendant, elle avance, avec pour modèle François Mitterrand. Un de nos lecteurs lui offre d’ailleurs un livre, « François Mitterrand, l’histoire d’une vie ». Et, quand vient le moment de se séparer, un autre lui glisse un petit mot d’encouragement : « En français, on dit m… ! »
DAMIEN LEFEBVRE. Les 35 heures sont décriées à droite, mais
aussi dans votre camp par Manuel Valls. Faudra-t-il réaménager ce
système?
SÉGOLÈNE ROYAL. Remettre en cause les 35 heures, qu’est-ce que cela veut
dire? Cela signifie une baisse du pouvoir d’achat, puisque 35 heures,
c’est la durée légale de travail. Cela veut dire que les heures
supplémentaires seraient moins payées. Est-ce acceptable? Je ne le crois
pas. Le principal défi à relever est celui du chômage, chômage des
jeunes et chômage des seniors. Penser que la remise en cause
artificielle de la durée légale du travail (la durée réelle avoisine les
38- 39 heures) est une solution pour régler le problème de l’emploi, ce
n’est pas acceptable. En revanche, faire en sorte que le contenu du
travail soit plus productif, avec des salariés bien motivés, bien
rémunérés, bien en phase avec l’intérêt de l’entreprise, cela oui. Ce
qui est très important dans les discussions collectives, qu’il faut
reprendre, c’est l’amélioration des relations sociales dans
l’entreprise.
FATIMA RODRIGUES. Je travaille dans des services publics, je
n’ai connu que des contrats précaires et des conditions de travail
intolérables. Le suicide est une réalité. Que dites-vous de ces
non-renouvellements de fonctionnaires et de cette précarité?
On voit dans le service public la même chose que dans le secteur privé :
l’augmentation du stress au travail, le malaise, la pression sur les
salariés. La question de l’organisation du travail est essentielle. On
nous dit qu’il faut faire des économies, donc diminuer le nombre de
fonctionnaires. Mais quand les services publics ne fonctionnent plus, il
y a des coûts très importants. Prendre une mesure aveugle et uniforme
consistant à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux qui part à la
retraite, ce n’est pas une bonne façon de gouverner. Il faudrait
identifier les services publics où on a besoin de davantage de
personnes, comme les services de santé, de sécurité… Et d’autres où on
peut faire effectivement des économies, redéployer les fonctionnaires.
C’est ce qu’il faudrait faire intelligemment, plutôt que des coupes
claires dans le service public.
FATIMA RODRIGUES. Et pour les suicides?
C’est un aspect dramatique. Il y a une prise en compte insuffisante de
la qualité de vie au travail. C’est une question clé pour que la France
redevienne plus compétitive. Il faut que les gens, en se levant le
matin, soient heureux d’aller au travail. Il faut identifier, sur le
lieu de travail, les raisons pour lesquelles on est malheureux. Pourquoi
il y a du stress. Les solutions sont la prévention, l’écoute. Et si on
considérait enfin que dans une entreprise, les problèmes humains sont
aussi importants que les problèmes financiers, on n’aura plus cette
accumulation de drames dans le monde du travail.
JULIE GAY. Envisagez-vous de nationaliser des services et des entreprises?
Pour qu’une société fonctionne bien, il faut que l’Etat intervienne
quand c’est nécessaire. On subit aujourd’hui le désordre international,
la crise financière, une guerre économique, une guerre sur les monnaies.
On se demande si on a encore prise sur ce qui se passe en France, sur
notre destin. Le contrepouvoir, par rapport à la mondialisation, c’est
le rétablissement d’un Etat fort. S’il fallait citer un seul exemple de
nationalisation, ce serait la création d’une banque nationale de prêt
aux petites et moyennes entreprises. Aujourd’hui c’est la région qui est
obligée de prêter aux PME. Pour la voiture électrique, les banques ne
sont même pas venues investir sur ce secteur, pourtant d’avenir. C’est
moi, en tant que présidente de région, qui ai été obligée de rentrer au
capital d’une entreprise privée, de garantir des prêts.
LOUIS DE MAILLARD. La zone euro est en crise. La Chine achète la dette de la Grèce... Est-ce une ingérence ou une chance?
C’est un danger qui doit nous pousser à réagir. Quand la Chine achète la
dette grecque et en même temps achète le port du Pirée, c’est un vrai
questionnement. Il faut réagir très vigoureusement. Il y a un accord
entre les Etats-Unis et la Chine, qui ont des intérêts convergents. Les
dettes américaines sont compensées par les liquidités chinoises. Cela
favorise le pouvoir d’achat des Américains, puisqu’il y a des échanges
commerciaux à bas prix. L’Europe subit cette alliance au-dessus de nos
têtes. Et il n’y a aucune raison de baisser les bras.
ROMAIN GSELL. Quelles mesures prendrez-vous pour accélérer l’accession à la propriété de la classe moyenne ?
C’est un problème crucial. Le candidat de 2007, et président actuel,
avait promis de créer une France de propriétaires. Que voit-on
aujourd’hui? Une spéculation immobilière anarchique. Pourquoi? C’est lié
à la réforme des retraites. Avec la diminution du niveau des pensions,
le chômage, les gens se disent : « Il faut être propriétaire de notre
logement pour avoir une sécurité. » Et ils se disent aussi : « On va
prendre des retraites privées pour compléter. » Il y a une logique
scandaleuse de privatisation du système de retraite qui profite encore
aux banques, aux fonds de pension, aux amis du pouvoir en place. Où les
fonds de pension, qui reçoivent les cotisations des gens, placent-ils
l’argent? Ils achètent notamment des immeubles. Tout cela fait monter
les prix de l’immobilier. Les revenus moyens qui se font prendre un bout
de leur retraite et qui placent leur argent sont doublement pénalisés.
Ils donnent leur argent aux banques et aux fonds de pension pour avoir
des retraites privées complémentaires, et ils subissent en retour la
hausse du coût du logement. Vous voyez ce cercle vicieux. C’est
inadmissible. Il faut limiter et contrôler les placements dans
l’immobilier.
FRANCINE SERPOSSIAN. Les profs sont surdiplômés , mais ne sont pas formés sur le plan pédagogique. Quelle serait la solution?
La décision qui vient d’être prise de supprimer l’année de formation
rémunérée des enseignants est dramatique. On ne peut pas lâcher les
jeunes qui ont juste les qualifications requises. Enseigner, c’est autre
chose. Une des premières urgences à faire en 2012, c’est de rétablir la
formation professionnelle. C’est-à-dire les mettre dans des classes, au
moins une année, en tutorat avec un autre enseignant. Quand il y a deux
adultes dans la classe, je peux vous dire d’expérience — puisque j’ai
été ministre de l’Enseignement scolaire — que l’ambiance est totalement
différente. Les élèves sont davantage tenus. Mais c’est un tabou de dire
qu’il faut deux adultes dans les classes.
RENÉ BOURDON. Si un socialiste devient président , rétablirez-vous vraiment la retraite à 60 ans?
Oui, malgré les ricanements ou les dénigrements qu’on a entendus. Je
regrette que le Parti socialiste n’ait pas été plus clair et plus
pédagogique pour donner une issue politique au mouvement et pour dire :
« Voilà ce que l’on peut faire, voilà ce que l’on ne peut pas faire. »
On n’a pas bien expliqué aux gens ce dont il s’agissait. Si à 60 ans
vous avez vos 41 ans de cotisation, il n’y a aucune raison de vous faire
travailler au-delà. Il y a des gens qui sont usés à l’âge de 60 ans,
les ouvriers, les ouvrières, qu’on les laisse vivre tranquilles la
retraite qui n’est déjà pas énorme. On a cru qu’on allait dire à tout le
monde : « Vous partez à la retraite à 60 ans. » Ce n’est pas cela. Et
puis la première des priorités, c’est de lutter contre le chômage des
seniors. Dans les entreprises, si on veut accueillir des jeunes, il faut
garder les anciens en leur disant : « Vous allez travailler une partie
du temps et, l’autre partie, vous allez vous occuper du jeune stagiaire,
de l’apprenti, du jeune en alternance. Vous allez être son tuteur. »
Dans ma région, je suis en train de démontrer aux entreprises que c’est
leur intérêt de faire cela, j’ai donc conditionné toutes les aides
économiques à l’obligation de prendre des jeunes. Au début, elles ont
renâclé, et après elles se sont dit : « C’est évident, tout le monde y
gagne. »
KRIM KHERRAR. On s’aperçoit maintenant que la Tunisie était une dictature, mot que l’on n’a jamais entendu depuis vingt ans!
Il y a encore une semaine, le gouvernement français défendait la
Tunisie en disant : « Mais non, ce n’est pas une dictature, regardez la
situation des femmes. » Mais c’est Bourguiba qui avait fait progresser
les droits de la femme en Tunisie. Et ce qui est très grave, c’est la
réaction de Michèle Alliot-Marie qui propose d’envoyer les forces de
l’ordre pour soutenir la police de Ben Ali. C’est vraiment odieux. On
sait qu’elle a des liens particuliers avec la Tunisie, où elle est très
souvent. Elle l’a avoué, d’ailleurs, qu’elle avait des liens très
personnels avec la Tunisie. Du coup, cela aveugle. Le président de la
République aussi a défendu jusqu’au bout Ben Ali. Il a accueilli la
famille en catimini jeudi. Et personne ne fera croire que Ben Ali n’a
pas demandé de venir en France. Je pense que le gouvernement a eu très
peur du soulèvement dans les cités. C’est tout. Sinon, Ben Ali serait
ici.
ROMAIN GSELL. Voyez-vous dans la réserve des autorités françaises la grande hypocrisie liée aux intérêts d’Etat ?
Il y a plus que cela, il y a des connivences. Je ne sais pas de quelle
nature, mais il y en a. Le premier voyage officiel de Nicolas Sarkozy
hors d’Europe, c’est Ben Ali. C’est quand même énorme. Quelle est la
source de cette connivence? Ce serait bien qu’on puisse l’éclairer.
KRIM KHERRAR. Pour avoir une chance d’être élue en 2012, êtes-vous prête à tout sacrifier ?
(Rires.) Tout sacrifier, je ne sais pas ce que vous entendez par là. En
tout cas, c’est l’engagement d’une vie. Bien sûr, c’est une pensée
constante parce qu’il faut déployer une puissance d’action, d’attention,
d’engagement. Cela demande des sacrifices, c’est évident.
LOUIS DE MAILLARD. La compétition des primaires risque-t-elle d’occulter le débat d’idées?
Dans une élection, il y a un choix de personnes, donc il faut aussi
l’assumer. Il faut trouver un juste équilibre. C’est très difficile
parce que le système médiatique met en scène les guerres d’ego. Quand je
présente mes vœux, on me dit : « Elle a fait exprès de choisir le même
jour que la première secrétaire du Parti socialiste. » Alors que c’est
fixé depuis un an et demi. On est mis en scène à notre corps défendant
dans des compétitions personnelles. Si c’est moi qui suis désignée, je
ferai au mieux pour être élue avec l’expérience de la campagne de 2007.
Et si ce n’est pas moi, je n’aurai ni amertume ni regret, et on se
rassemblera autour de celui ou de celle qui sera désigné(e).
JULIE GAY. Quelle serait votre équipe?
La réponse est très simple : l’ensemble des dirigeants du Parti
socialiste. Mais j’espère que l’on s’élargira aux écologistes, aux
centristes, aux sarkozystes déçus, aux gaullistes, à tous les
Républicains, aux communistes, aux radicaux ou sans-étiquette,
c’est-à-dire à tous les gens qui ont envie vraiment que la France se
relève.
FATIMA RODRIGUES. On entend souvent dire : « Elle n’est pas crédible. » Comment nous donner envie de voter pour vous?
C’est vrai qu’il y a un procès en non-crédibilité. On dit la même chose
du président Lula au Brésil, un ancien ouvrier tourneur-fraiseur. C’est
le seul chef d’Etat qui a réussi à mettre les banques au pas parce qu’il
n’était pas lié aux puissances d’argent. Moi, je suis une femme libre.
Je ne suis liée à aucun réseau. Du coup, on cherche à décrédibiliser la
personne. C’est une logique très connue dans le combat politique.
Ensuite, il y a l’aspect féminin. Cela n’a pas été évident en 2007 que
les Français se projettent dans un président de la République femme.
FATIMA RODRIGUES. Pourquoi vous en veut-on? Parce que vous êtes différente?
Moi, je ne suis liée à aucun clan. Les Français ont besoin d’autre
chose. Même si je dois traîner ces reproches, ces procès d’intention, je
garde toute mon énergie, toute ma confiance, toute ma détermination.
Dans les primaires, il faut que le peuple vienne. Je rendrai le pouvoir
au peuple. Je ne suis liée à aucune puissance d’argent.
RENÉ BOURDON. Vous allez être confrontée
pendant les primaires à François Hollande, votre ancien compagnon.
Comment vivez-vous cette situation?
J’avoue que la situation n’est pas banale… mais il faut prendre du
recul. Ma façon de faire, c’est de ne pas me préoccuper des autres
candidats. Je les respecte, mais je ne m’en occupe pas. Je fais ce que
j’ai à faire, je dois le faire, avec le sens des responsabilités qui
sont les miennes et l’expérience que j’ai acquise. Je ne m’adresserai
qu’aux Français, sans regarder derrière moi.
VIDEO. Ségolène Royal face à nos lecteurs
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