Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Visiteurs
Depuis la création 1 378 957
Newsletter
18 février 2011

Comment DSK a sauvé le monde

Ludovic Lamant sur MEDIAPART


 

On n'en pouvait plus d'attendre. Le premier texte à la gloire des années Strauss-Kahn à la tête du Fonds monétaire international (FMI) sort en librairie ce jeudi 17 février, alors que le candidat mystère aux primaires socialistes est attendu à Paris en fin de semaine, pour participer au G-20 des ministres des finances, et, accessoirement, au JT de France-2 dimanche soir. Signé par la journaliste Stéphanie Antoine, DSK au FMI (Le Seuil, 17,50 euros), au sous-titre explicite («Enquête sur une renaissance»), raconte comment un «homme neuf» va s'emparer d'une «institution dépassée» pour sauver, «seul, ou presque, contre tous», le monde de l'abîme.

 

 

Ce traité d'héroïsme s'ouvre sur une phrase déjà culte («La première fois que j'ai rencontré Dominique Strauss-Kahn, c'était au bar de l'hôtel Lutétia à Paris») et se clôt sur une note d'espoir à peine voilée – que DSK devienne «président de la République française». Entre les deux se déploie un récit autorisé (pas moins de 16 entretiens avec le patron du FMI, si l'on a bien compté, sur trois ans), à l'écoute des exploits du «MD» (pour managing director), et parsemé d'encarts people (mention spéciale à l'escale argentine, où le couple DSK-Sinclair «s'arrête un instant Plaza Dorrego pour goûter l'improvisation rythmée des danseurs de tango»).

De l'entrée en campagne du socialiste français, en juin 2007, dans la foulée de la démission surprise de l'Espagnol Rodrigo Rato, jusqu'au «sauvetage» de la Grèce au printemps 2010 par une aide groupée de Bruxelles et du FMI, Stéphanie Antoine, journaliste à France-24, témoigne d'un enthousiasme à toute épreuve.

Ce «séducteur hors pair», «grand amateur d'échecs» et qui, entre autres talents, «comprend l'espagnol», a réussi sa mission plutôt deux fois qu'une: non seulement l'institution, née des accords de Bretton Woods en 1944, est de retour au centre de la scène internationale («IMF is back!», s'exclame-t-on au chapitre 5), mais elle s'est «démocratisée» et «humanisée». Ce n'est pas pour rien que les gardes du corps de DSK le surnomment «Benefactor» (Bienfaiteur)...

Faut-il recommander une telle hagiographie? Le lecteur avide de mieux comprendre les rouages du FMI en temps de crise peut sans doute passer son chemin. Par contre, ce DSK au FMI est une pierre de plus, efficace, dans le patient storytelling que se construit le probable futur candidat à la candidature. Le socialiste français y fait le bilan de ses années à Washington, et se présente, sans trop de gêne, en héritier inspiré de Keynes («Mon Keynes à moi met l'entrepreneur au cœur de la Théorie générale»). Il retient surtout, parmi ses trophées, «le triplement des ressources financières» de l'institution, obtenues au G-20 de Londres, en avril 2009, ou encore l'idée d'accorder aux pays pauvres des prêts à taux zéro, financés par les plus-values faites sur les ventes d'or.

«Rupture» et «pragmatisme»

 

En creux, trois techniques rhétoriques s'affinent, pour glorifier les années américaines du DSK-probable-futur-candidat.

1 - Exagérer la rupture

Il y aurait donc un avant et un après-DSK à Washington. Quitte à exagérer le poids d'un seul homme face aux lourdeurs d'une institution portée par environ 2600 salariés. Au passage, les économistes qui n'avaient rien vu venir de la crise des «subprime» sont toujours en poste... Au-delà des discours nouveaux, les éléments de continuité sont nombreux, en particulier en matière de «conditionnalité» – c'est-à-dire des conditions fixées par le FMI pour octroyer des prêts.

Une étude d'un centre de réflexion anglo-saxon, le CEPR, publiée en octobre 2009, a passé au crible 41 accords conclus par le FMI en pleine tempête financière. Conclusion du prestigieux think tank: dans 31 cas, le Fonds a imposé des recettes à l'ancienne, de type «procyclique», c'est-à-dire des mesures d'austérité budgétaire et/ou de lutte contre l'inflation, prises en période de récession. Preuve que la période des «ajustements structurels», si elle est révolue dans les discours de «DSK», ne l'est pas encore dans la pratique de l'institution. En Grèce comme en Irlande, deux des interventions les plus spectaculaires des derniers mois, le FMI a toutefois fait attention à apparaître plus «coulant» que l'Allemagne et l'Union européenne.

2 - Puisque les temps sont exceptionnels, l'homme à la tête du FMI est forcément exceptionnel

Le raisonnement est douteux, mais il alimente, une fois encore, le mythe du grand homme à la barre, en pleine tempête. DSK se débat avec la plus grave crise économique depuis 1929, et parvient à initier «un moment exceptionnel de coopération internationale». Hyper-concentré sur ces nobles objectifs, il fut à peine déstabilisé, nous dit-on, par ce que la journaliste nomme pudiquement «l'affaire» – la révélation, en octobre 2008, par le Wall Street Journal d'une relation entre DSK et l'une des ex-salariées du Fonds, Piroska Nagy, et les soupçons de harcèlement sexuel et d'abus de pouvoir qui le visèrent alors. Les communicants d'Euro RSCG, l'une des trois agences qui organisent la communication du FMI (budget annuel, 1,1 million d'euros), a déminé l'affaire: DSK en est finalement sorti blanchi.

3 - Réformer le FMI est tellement difficile que chaque micro-avancée est déjà un pas de géant

Autrement dit: il faut se montrer réaliste et revoir, si nécessaire, ses prétentions à la baisse. C'est ainsi qu'il conviendrait de juger les très lents transferts des droits de vote au sein du FMI, des pays développés et sur-représentés, aux grands pays émergents comme la Chine. En mars 2008, ce déplacement portait sur à peine 2,7% des voix... «La machine est activée», commente Stéphanie Antoine. Nouvelles micro-avancées aux G-20 de Pittsburgh, en 2009, puis de Séoul, en 2011. Conclusion de la journaliste: «La démocratisation du FMI est sur la bonne voie.» Sauf que les droits de vote restent très à l'avantage de l'Europe (France, Italie, Royaume-Uni surtout) et des Etats-Unis, dans un monde qui a pourtant «basculé» au Sud. 

Etrangement, ce récit très sage, qui tait les questions les plus sensibles (le fait que le FMI se trouve de plus en plus concurrencé, par exemple, par le Conseil de stabilité financière, mis en avant par le G-20), oublie de mentionner certains des débats théoriques les plus intéressants, comme celui lancé début 2010 par Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, sur les éventuels bienfaits de l'inflation en temps de crise. 

MEDIAPART

Lire aussi (abonnés) : DSK, l'annonce et le «storytelling» du sauveur de Washington 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Derniers commentaires
Archives
Publicité