Qui est vraiment DSK?
Philippe Simonnot
dans MARIANNE
Dominique Strauss-Kahn -capture d'écran - Dailymotion - BFMTV
Ce n’est pas d’aujourd'hui que l’on s’interroge sur la vraie nature de Dominique Strauss-Kahn. Le 18 janvier 2010, dans Libération,
Jacques Julliard écrivait que la gauche ne saurait être représentée par
un représentant de l’establishment financier. Julliard expliquait
qu’élire un candidat incapable d’établir un rapport de forces avec les
représentants du milieu dont il serait issu conduirait aux mêmes
impasses et aux mêmes désillusions que l’alliance centriste. Ce
sociologisme un peu court étonnait de la part d’une des grandes plumes
et grandes consciences de gauche. Plus affligeant est le néo-pétainisme
larvé de Christian Jacob. Le patron des députés UMP vient d'affirmer que
le possible candidat socialiste à la présidentielle n'offrait pas « l'image de la France, de la France rurale, de la France des terroirs et des territoires, de la France qu'on aime bien ». En traitant le directeur du Fonds monétaire international d’ « affameur des peuples », Jean-Luc Mélenchon exploite la même veine.
C’est
pourquoi nous voudrions rappeler que DSK a été un disciple de l’École
de Chicago. Peut-être cela permettra-il de calmer les esprits et de
relever le niveau du débat ? Il se trouve que la thèse, cachée, oubliée,
de doctorat ès sciences économiques que Strauss-Kahn a soutenue à la
fin de ses études, et qu’il a publiée sous le titre Économie de la famille et accumulation patrimoniale (PUF, 1977) est directement inspirée de Gary Becker, comme le révèle Le jour où la France sortira de l’euroOn
ne se marie pas avec n’importe qui ; on ne souhaite pas indifféremment
beaucoup ou peu d’enfants et nous pouvons dire que tout se joue comme si
des motivations économiques résumaient une bonne part des variations
observées dans les attitudes des ménages » (p. 277). Une prémonitoire auto-psychanalyse économique de l’amour !
(Michalon édition novembre 2010). L’économiste le plus sulfureux de
l’Université de Chicago, théoricien du « capital humain », prix Nobel en
1992, Becker a appliqué le raisonnement économique à des domaines qui
jusque-là lui étaient étrangers, par exemple l’éducation, le crime, mais
aussi le mariage, ou la « production » des enfants. Et l’on retrouve
sous la plume de DSK des réflexions typiquement beckeriennes, jargon
compris. Ainsi le futur époux d’Anne Sinclair pouvait-il écrire : «
Au-delà
de ce mystère privé que nous nous garderons bien de scruter, force est
de reconnaître que l’École de Chicago, dont s’inspire le docteur
Strauss-Kahn, n’a pas beaucoup de points communs avec le socialisme, ni
même avec la social-démocratie. La foi dans l’efficience des marchés y
est aussi entière que la détestation de l'État.
Les
Strauss-Kahniens, qui se gardent bien de rappeler la source néo-libérale
d’inspiration de leur champion, mettent en avant le fait, à tout bout
de champ comme brevet de gauche, qu’il serait l’« inventeur des 35
heures ». On n’a rien entendu de la bouche de DSK sur ce thème depuis
fort longtemps. C’est Martine Aubry qui a fait les lois réduisant à 35
heures la durée légale du travail en France, les célèbres et justement
nommées lois Aubry, Strauss-Kahn restant dans une prudente réserve, fort
critique dans les coulisses, quand la « Dame des 35 heures » se
battait en première ligne.
Une autre fortification, derrière
laquelle Strauss-Kahn s’abrite quand il s’exprime (rarement) sur ses
convictions est que son socialisme à lui, c’est « le marché plus la justice sociale »,
que pour répartir des richesses, il faut d’abord les produire, etc,
etc. C'est ce qu'il a répété lors de son dernier passage à Paris. Mais
Sarkozy ne dit pas autre chose. Même l’extrême-droite ne dit pas autre
chose. Comme l’a déclaré récemment le patron du FMI, en personne, à
propos de la Grèce : la plupart des gens comprennent qu'il n'y a pas
d'autre voie - que celle que je préconise.
La plupart des gens, c’est suffisant pour gagner une élection, non ?