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11 mars 2011

Les Gogos et les Affranchis, ou la Théorie des Deux Mondes

 

Cela saute aux yeux des économistes, mais ils regardent ailleurs. Les politiques s'en doutent, mais préfèrent se taire, de peur d'aviver un peu plus la colère populaire. Les banquiers et autres "investisseurs" le savent et se gavent. Une question se pose à l'évidence : et si l'argent "noir" de toutes les mafias et de tous les trafics avait sauvé le système financier mondial et, donc, le monde ?

Pour les économistes, la question relève quasiment de la plus simple arithmétique. Déjà, avant la crise, il était évident qu'une partie de la spéculation était alimentée par l'argent «noir» stocké dans les paradis fiscaux, recyclée ensuite par les Hedge funds. Les premiers collectent l'argent soustrait à l'économie légale que les seconds réintroduisent en leur permettant d'y acquérir de façon légale des actifs légaux... A titre d'exemple, tout le monde sait qu'un des moteurs de la spéculation immobilière sur les côtes espagnoles, avec pour résultat des complexes touristiques vides à perte de vue, est le blanchiment de l'argent du crime organisé. Depuis, la crise nous laisse entrevoir la place insoupçonnée qu'occupe l'économie illégale dans l'économie mondiale.

Un élément d’évaluation du rôle d’amortisseur du cataclysme financier joué par les Hedge funds est la vitesse à laquelle les banques se sont refait une santé. Certes, depuis deux ans, elles empruntent quasi gratuitement auprès des banques centrales pour ensuite prêter avec des taux d’intérêt confortables. Même si l'atonie de la croissance a un impact sur la demande de crédit, les banques ont ainsi refait leurs marges et leurs trésoreries sur le dos des contribuables, des consommateurs et des entreprises. Et recommencent à distribuer des bonus à tout va ! Ce qui est étonnant, c'est qu'il y a quelques mois encore, elles se méfiaient tellement les unes des autres qu'elles en étaient à refuser de se prêter mutuellement de l'argent, ce qui est pourtant la base de leur métier... Une explication est que le gros des pertes subies l'ont été hors-bilan de la comptabilité officielle des banques. Elles sont passées du côté de leurs faces cachées, leurs filiales dans les paradis fiscaux et les Hedge funds. De fait, l'opacité de ces places financières off-shore et des Hedge funds a limité les phénomènes de propagation et de panique des marchés. Une perte que l'on ne sait pas chiffrer est une moindre perte, et pour un cours en bourse, une perte que l'on ne voit pas est une perte qui n'existe pas...

Il est impossible d’estimer précisément le nombre de Hedge funds qui ont fait faillite à travers le monde depuis 2008. Certaines estimations avancent 10 000 liquidations, d'autres 15 000, d'autres 20 000 … La réalité est qu'en l'absence d'instance de contrôle et de régulation de ces fonds spéculatifs à l'échelle mondiale, personne n'en sait rien. L’intérêt pour le système financier est qu’une partie des pertes subies par les Hedge funds l'a été sur des fonds à l'origine douteuse. Avec l'argent sale, les pertes sont comme les gains : inavouables ! Donc invisibles ! Simplement, il y a quelques "investisseurs" dont la faillite a entraîné un tragique "accident", une malencontreuse noyade … ou deux balles dans la tête, tout aussi "accidentelles"!

Instinctivement, nous avons tendance à considérer que la part de l'argent sale dans l'économie mondiale est relativement marginale par rapport aux sommes drainées par l'économie officielle et réglementée. Mais, si on additionne l'argent de la fraude fiscale à celui de la corruption, du racket, des trafics illégaux en tous genres ; armes, drogues, espèces animales protégées, sans oublier la traite humaine que représente l'exploitation de la prostitution ou de l'immigration clandestine, auxquels il faut ajouter l'argent généré par tout ce que le crime plus ou moins organisé gère, depuis les déchets en Italie jusqu'aux jeux en Asie, en passant par la spéculation immobilière partout à travers le monde, à quel part d’argent sale dans le système économique mondial arrive-t-on réellement ? Moins de 15 % ? Un quart ? Un tiers ? Plus ?

À la limite, peu importe. Ce qui est important, c'est de comprendre que la face cachée du système est partie intégrante du système ! Elle lui est consubstantielle.  En fait, il n’y a ni argent «sale», ni argent «propre», ni argent «noir», ni argent «blanc», mais que de l’argent sans odeur et sans couleur, de l’argent «trouble». Plus qu'un casino, le système financier mondial est avant tout une lessiveuse, où se mélangent allégrement économie légale et économie illégale.

La fraude fiscale en fournit le meilleur exemple. D'ailleurs, comme le font observer les banquiers, peut-on réellement parler de fraude, dès lors qu'il existe des mécanismes internationaux de circulation de l'argent qui permettent, in fine, de le soustraire légalement à l'impôt ?  Si les grandes banques, qui ont pignon sur rue, ont le droit d'ouvrir de multiples filiales dans les paradis fiscaux, dont le nom à lui tout seul résume bien l'objet, comment peut-on leur reprocher d'en profiter et d'en faire profiter leurs clients ? Dans ce contexte, il est déplacé, pour ne pas dire quasi diffamatoire, d’utiliser le terme de «fraude» pour qualifier ce que les banquiers appellent de «l’optimisation fiscale». Nuance...

Alors, «fraude» ou «optimisation» fiscale ? Comme l'a expliqué doctement l'ineffable Eric Woerth à l'occasion de l'affaire Bettencourt, on peut tout à fait mettre en œuvre des mécanismes légaux pour soustraire illégalement de l'argent au fisc... Donc, la réponse à «fraude» ou «optimisation» fiscale dépend de qui, où, quand, comment... 

Depuis le début de la crise, la simple lecture de la presse amène à une évidence ; s’il n’y a bien qu’un système, il y a aussi deux mondes. Celui des Gogos et celui des Affranchis ! Il y a un monde où il est sans cesse question de transparence, d'éthique et de morale, un monde où chacun est prié de se conformer à la Règle et à la Loi. Un monde où les perspectives de progression du pouvoir d'achat ou de valorisation du patrimoine compensent péniblement l'inflation et les aléas du marché. Et puis, il y a un autre monde, caché et opaque, où tout est permis, pourvu que cela rapporte. Un monde où échapper à la loi est la règle. Où l'éthique et la morale servent d'instrument d'asservissement des Gogos, ceux-là mêmes qui n'ont pas compris qu'il y avait deux mondes ! 


Il y a aussi ceux qui sont au carrefour des deux mondes, qui ont un pied chez les Gogos et un autre chez les Affranchis. Les banquiers, par exemple. Ils font le pont entre les deux mondes. Ils "fluidifient" le système, trouvent les "synergies" entre les règles du monde des Gogos et l'argent de celui des Affranchis. Tant et si bien que l'on ne sait plus s'ils "blanchissent" … Ou s'ils "noircissent "! À l'image de la BNP, qui vient sous les feux de la rampe annoncer, en fanfare et la main sur le cœur, qu'elle liquide ses filiales dans les paradis fiscaux, tout en rédigeant des notes internes faisant de la gestion de patrimoine des particuliers fortunés, c'est-à-dire de «l'optimisation fiscale», sa priorité de développement à l'international ... Le jour, on joue du violon aux Gogos, et la nuit on fait fructifier l'argent des Affranchis

Pour les amateurs de comique froid, il n'y a rien de plus hilarant qu'un banquier français justifiant les bonus accordés à ses traders. Il se balance sur un pied pour dire qu'il comprend l'incompréhension des Gogos. Puis, il bascule sur son autre pied pour expliquer à demi-mot qu'il existe un "ailleurs", un autre monde, "terrible", avec d'autres règles. Un monde où les bonus qu'il distribue à ses traders sont normaux, voire même modestes. Et que s'il ne le fait pas, ses meilleurs éléments iront dans cet "ailleurs" et sa Mecque, Singapour, paradis du trader, où la crise n'existe pas !  En tout cas, pas pour les banquiers …

Pour les Affranchis, le bilan de la crise n’est pas si mauvais que cela. Certes, certains ont beaucoup perdu, mais c’est très relatif : ils avaient aussi beaucoup gagné ! Récemment, la veuve d'un ancien associé de Madoff, l'escroc de Wall Street, a restitué sept milliards de dollars au liquidateur judiciaire chargé d'indemniser les victimes (soit plus de 5,2 milliards d'euros). Elle n’est pas pour autant sur la paille. Contrairement à Madoff, très peu de gérants de fonds ont eu à rendre de comptes, alors que l’ensemble du système financier international a fonctionné dans une logique de cavalerie. Dans ce système, financer des dettes par la création de nouvelles dettes, n’était pas l’exception mais bien la règle. On appelle cela, la «titrisation». Sur le fond, le seul tort de Madoff est d’être mauvais en math. Si au lieu de fonctionner «à l’ancienne», il avait utilisé les modèles mathématiques développés par les petits génies de l’industrie financière, il ne dormirait pas en taule aujourd’hui.

De même, si suite à la crise, les gouvernements ont imposé de nouvelles contraintes de gestion aux banques, ils n’ont pas pour autant remis en cause les deux piliers essentiels sans lesquels le monde des Affranchis n’existerait pas : les paradis fiscaux et les Hedge funds.

Manifestement, la Politique et l’Argent ont passé un compromis. Au terme de ce Yalta, les premiers ont imposé des règles censées prévenir la faillite d’un acteur qui ferait courir un risque systémique aux marchés. Ces mesures ont été mal accueillies par l'industrie financière. Elle les a acceptées de mauvaise grâce et à une seule condition : pas de réglementation contraignante sur les Hedges funds et pas de bannissement des paradis fiscaux de l’économie officielle. En préservant ces deux piliers, les banques se donnent les moyens de continuer ce qu’elles faisaient avant, par d’autres voies. La seule chose vraiment nouvelle pour elles, c'est la nécessité de créer elles-mêmes de plus en plus de Hedges funds ... c'est-à-dire la multiplication de fonds d'investissement qui échappent à toutes les mesures de contrôle et obligation de transparence imposées aux entreprises cotées en bourse et aux banques elles-mêmes... Les mêmes causes produisant rarement autre chose que les mêmes effets, l'avenir nous dira, à l'occasion de la prochaine crise, si les mesures de protection prises par les gouvernements ne sont pas autant de lignes Maginot...

Pour les Affranchis, il y a enfin une excellente nouvelle due à la crise : l’affaiblissement substantiel des Etats, qui se sont surendettés pour sauver le système financier. Pour faire face à la dette, ils vont devoir vendre les bijoux de famille ! Cela sent les privatisations tous azimuts. Comme toujours dans ces cas-là, il va y avoir des affaires à faire pour les Affranchis sur le dos des Gogos. Et ce dans tous les domaines : éducation, santé, transports, infrastructures ; cela va être la fête au village ! Premières victimes du dépeçage, les salariés en général et les fonctionnaires en particulier. Cela tombe bien, ils font partie du monde des Gogos.

En attendant et alors que le risque d'une explosion globale du système financier semble écarté, au point que tout continue comme avant, on se dit que les Affranchis ont encore de beaux jours devant eux et peuvent dormir tranquilles. En tout cas, ce n’est pas les socialistes qui risquent de les réveiller. À la lecture des textes pondus tout au long d'une année consacrée à des conventions plus avariées que diverses, les socialistes sont à des années-lumière de la théorie des deux mondes. Pourtant, les Gogos ont beau être des Gogos, ils savent qu’il existe un autre monde. Ils ont le sentiment que les socialistes ont peur de leur dire la vérité. Et qu’ils en sont donc complices... C'est dommage, car les Gogos votent...

Ce texte est une version raccourcie de celui mis en ligne sur le Blog de la Bise de Malik. Pour lire la version intégrale, tapez sur le net «bise de malik» ou utilisez  le lien http://bisedemalik.wordpress.com

Sur la dualité du monde, la Bise recommande vivement à ses lecteurs un excellent documentaire intitulé «Let’s Make Money». Malgré quelques longueurs, c’est une extraordinaire enquête sur le capitalisme d’aujourd’hui.

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Commentaires
M
Il devient évident que les économistes ultralibéraux ne sont plus seuls,même s'il conservent les bonnes places dans les médias.Des économistes prof d'université souvent expriment une tout autre vision du fonctionnement de l'économie.François Morin a publié fin 2006 un livre intitulé "le mur de l'argent" où il décortique cette finance et ses anomalies ,les dérivés.Livre très technique mais accessible quand même.François Morin vient de publier "un monde sans Wall treet".Il s'agit d'un livre plus politique ,un véritable programme pour une gauche responsable et cohérente.Effectivement sans faire un minimum de ménage dans la finance aucune promesse ne peut être tenue.A lire sans modération et faire circuler ces propositions.Je cite le livre d'Ervé kempf,"l'oligarchie çà suffit vive la démocratie" .Pan-flet vivifiant.
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