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5 avril 2011

une note sur le livre de Piketty, Landais et Saez sur la "Révolution Fiscale".

Révolution fiscale: de la confiture pour des cochons ?

 Cela fait une bonne semaine que je me tâte sur le fait de faire une  note sur le livre de Piketty, Landais et Saez sur la "Révolution Fiscale". Pourquoi? En général, je préfère chercher un sujet qui soit un peu en marge de l'actu ou qui aborde celle-ci sous un angle différent. Or, la sortie de ce livre a connu une couverture médias, télé comme journaux, très importante. Le bouquin figure dans la liste des 10 meilleures ventes françaises, ce qui n'est pas réellement habituel pour un livre économique (il est vrai qu'il ne fait que 133 pages et ne coûte que 12.50€). Tous les politiques ou presque sont amenés à se positionner par les interviewers sur l'analyse de Piketty et consors. Bref, pas vraiment besoin de moi pour en parler ... L'autre raison, c'est que j'aime quand même assez tremper ma plume dans l'acide et que la lecture du livre (et du site qui y est lié) m'entraînerait plutôt à être dans la laudation. Néanmoins, j'ai décidé de mettre ces réserves de côté et de revenir sur quelques points qui m'ont paru fondamentaux.

 

L'approche


La première partie s'attache à dresser un état des lieux et notamment à faire le point sur les revenus des français. L'originalité de l'approche est qu'elle est "top-down" alors qu'on voit plus généralement des analyses "bottom-up". Je m'explique: habituellement, on peut voir des chiffres sur les salaires, ainsi que les pensions, les allocations (chômage, familiales, ...), les aides, les revenus du patrimoine. Il faut alors sommer tout ceci pour avoir une vue moyenne des revenus des français, avec tous les risques d'oublis de situations particulières ou de difficulté à obtenir des chiffres fiables. Piketty (je désigne via son seul nom les 3 coauteurs) fait l'inverse: il part du PIB et redescend la chaîne pour aboutir au revenu moyen d'un français adulte: 2.800€/mois. Le chiffre vous paraît énorme par rapport à ce qu'on peut voir habituellement (revenu moyen, median) ? C'est logique car il intègre aussi bien les revenus du travail que les revenus du capital, les aides, les allocations, tout type de revenus. Par ailleurs, ce n'est pas parce que vous avez un revenu de 2.800€ mensuel que ce revenu arrive réellement sur votre compte. Les cotisations sociales (CSG, chômage, maladie, ...) sont prélevées à la source: vous n'en voyez donc jamais la couleur.


Deuxième point fort, moins original mais plus fondamental: prendre les impôts dans leur intégralité, c'est-à-dire en s'appuyant sur la notion de prélèvement obligatoire (PO). Les PO, c'est la masse des impôts directs, indirects mais aussi des cotisations sociales que nous sommes obligés de payer (d'où leur nom), que ce soit à l'Etat, à la sécu ou aux collectivités locales. C'est aussi ce chiffre, rapporté au PIB, qui permet de faire des comparaisons internationales. En France, 49% du PIB est collecté en PO (45% si l'on enlève les transferts sociaux). Ce qui veut dire que, globalement, nous reversons la moitié de nos revenus à la collectivité en échange des infrastructures, de l'ordre et la sécurité, d'un certain nombre d'assurances ou encore de la solidarité. Au passage, comme le note fort justement Piketty, ce simple fait rend ridicule l'argument en faveur du bouclier fiscal. «Personne ne doit reverser plus de 50% de ses revenus à l'Etat», disait N.Sarkozy. La réalité, c'est que tout le monde (en moyenne) verse quasiment 50% de ses revenus à l'Etat. Ce chiffre est dans la moyenne haute des pays développés, superieur à la moyenne de l'UE et nettement au-dessus d'Etat comme les USA mais inférieur aux pays scandinaves notamment. Piketty postule que ce niveau de PO résulte de consensus informels de sociétés qui ne bougent que très lentement. Malgré les changements de majorité, le taux de PO français n'a guère plus bougé depuis 1/4 de siècle ! 


Autre point fondamental rappelé par Piketty: personne ne paie l'impôt à notre place. Une partie des impôts sont payés par les sociétés, l'autre par les particuliers. Mais au final, tout est payé par les citoyens puisque l'entreprise va répercuter les impôts payés sur les salariés et/ou les consommateurs. Et les revenus du capital de l'entreprise (dividendes, plus-values) sont aussi au final destinés à des personnes physiques qui sont taxées. En clair, les tenants de la démago version «il faut faire cracher les entreprises» en sont pour leurs frais... Le seul cas où le paiement par les entreprises n'est pas neutre, c'est en cas de déséquibilibre tel que la France posséderait beaucoup plus d'entreprises implantées à l'étranger que les étrangers n'en possèdent en France (ou l'inverse). Or, Piketty montre que, pour la France, les participations croisées avec l'étranger sont globalement équilibrées.

Révolution et révolution

Je ne vais pas faire le résumé du livre ici: il est assez court et pédagogique pour être lu par tous, une bonne partie de l'information est disponible sur le très performant site web associé et je ne voudrais pas altérer la pensée des auteurs. L'idée maîtresse est malgré tout de montrer que, si l'on additionne tous les prélèvements obligatoires, on se forge une idée du "qui paye quoi en impôts" assez éloignée des fantasmes:

  G1-1

Source : www.revolution-fiscale.fr

On voit tout d'abord que les classes les plus pauvres, dont l'image veut qu'elles ne contribuent pas à l'impôt (car elles ne paient pas l'impôt sur le revenu) et sont au contraire consommatrices de l'aide d'Etat reversent 40% de leur revenu à celui-ci. On a ensuite un vaste "ventre mou" compris entre 1.700 et 10.000€ bruts par mois où les individus reversent presque la moitié de leur revenu à l'Etat. Là où le vrai problème se situe, c'est que pour les 1% les plus riches, le taux d'impôt total se met à baisser pour tendre vers les 30% seulement pour les plus fortunés. En clair, tout en haut de l'échelle, l'impôt n'est plus progressif mais régressif. 

Que proposent les auteurs ?

  1. Ils considèrent tout d'abord que la CSG et l'Impôt sur le Revenu (IR) font doublon. Considérant que l'IR rapporte de moins en moins, notamment à cause d'une multiplicité de niches fiscales, qu'il n'est pas prélevé à la source et souffre d'une assiette trop faible, ils pronent sa suppression pure et simple. Et une refonte de l'impôt sur le revenu dans un seul impôt qui serait la CSG mais sous une forme progressive (alors qu'actuellement la CSG est une "flat tax").
  2. Qu'il faut passer d'une mode de calcul "par tranches marginales" à un taux effectif. Actuellement, on déduit 10% de ses revenus puis on paye un taux de 5.5% sur une partie, 14% sur une autre partie, etc. Système incompréhensible et incompris d'une bonne partie des français (avec par exemple la peur de "sauter une tranche" qui est totalement infondée). Les auteurs proposent d'appliquer un taux sur l'ensemble des revenus. Le calcul est ainsi hyper simple (Impôt = revenu X taux).
  3. Ils proposent une suppression totale du "quotient conjugal", c'est-à-dire que le fait que le contribuable soit marié, PACSé ou célibataire n'ait plus d'influence sur l'impôt. Je ne peux qu'agréer au vu de mes prises de position sur le sujet sur ce blog. Les auteurs poussent plus loin en pronant la suppression totale du "quotient familial", c'est-à-dire que les enfants ne soient plus pris en compte dans le calcul de l'impôt mais que les allocations familiales prennent en charge la globalité de l'aide aux familles.
  4. La suppression intégrale des niches fiscales. Là encore, mes prises de positions antérieures me poussent à acquiescer. Cependant, la ligne proposée est extrêmement radicale. Elle l'est à dessein, la position de Piketty étant que l'on est allé trop loin (plus de 500 niches) pour faire du sur mesure. Tabula rasa, donc. Mais quid des effets induits ? Les niches fiscales à destination de la Corse ou des DOM-TOM sont des injustices flagrantes mais si l'argent ne va plus outre-mer, ne court-on pas aux émeutes là-bas ? Il y a donc à mon sens un point aveugle ici dans le livre.
  5. Enfin, considérant que la CSG est déjà prélevée à la source et les simplifications drastiques opérées, les auteurs demandent une retenue de l'impôt à la source. Cela semble assez raisonnable bien que les difficultés techniques aient été un peu éludées dans le livre.

Au global, le terme "révolution" peut prêter à confusion. Certains pourraient penser qu'il s'agit d'un grand soir fiscal où les riches vont être étrillés au profit des autres ou encore d'une levée massive d'impôts complémentaires. Or, il ne s'agit que d'un déplacement de 1% du PIB (15 Mds€ annuels) et à recettes égales pour l'Etat. Le terme de révolution s'applique sur la méthode et la transparence qui en découlent, pas sur les impacts financiers.

Quel statut dans le débat ?

A sortir un tel livre à 15 mois de la présidentielle, on se doute bien que les auteurs avaient pour ambition de peser dans le débat politique. Piketty est notoirement connu pour être proche du PS, on pouvait donc s'attendre à un petit guide à l'intention de celui-ci, voire carrément la plateforme programmatique du PS en terme de fiscalité clef-en-main. Pourtant, les thèses développées dans le livre me semblent bien moins connotées que cela. Comme je l'ai noté plus haut, il n'est pas ici question de ponctionner massivement les riches mais de rétablir une certaine progressivité dans l'impôt. Peu de politiques à droite peuvent directement se déclarer opposés à cet objectif. L'importance des transferts riches/pauvres proposés par les auteurs sont d'une ampleur limitée (1% du PIB) et donc pas de nature à faire se lever les (maigres) foules du NPA. Par ailleurs, le livre et le site proposent différents barêmes classés à gauche (très redistributifs) comme à droite (moins redistributif voir pas du tout - "flat tax"): la réforme peut donc tout à fait être appliquée dans des visées très différentes. Enfin, les auteurs ont pris soin de faire des propositions à prélèvement égaux. Il n'est ici ni question d'augmenter les impôts (tropisme de gauche) ni de les baisser (tropisme de droite). Piketty considère que le niveau de PO est correct mais élevé et que l'augmenter encore serait problématique. Il a donc très habilement évité ce clivage idéologique (plus que factuel au vu des politiques menées) entre droite et gauche.


Le résultat est extérêment habile: le livre fournit une excellente base pour la campagne de gauche mais sans laisser place à la facilité. Celui qui prône une hausse d'impôts à tout va et une taxation massive des plus riches ne pourra prétendre s'être inspiré du livre! Quant à la droite, il lui sera difficile de rejeter le texte en bloc de bonne foi: elle ne peut ici s'appuyer sur ses arguments habituels face à la gauche en matière budgétaire et fiscale ("la gauche augmente les impôts, elle pense qu'en taxant les riches tout va se résoudre, ...").

Il est donc intéressant de voir quelles ont été les réactions des politiques jusque-là. Je ne prétendrai pas à l'exhaustivité, loin de là, mais quelques exemples sont toutefois intéressants. Christine Lagarde, interrogée par Nicolas Demorand dans «C Politique», n'a pu que rétorquer que Piketty était un proche du PS et que ça n'était pas «sa tasse de thé». Argument de haute volée... avant de se réfugier derrière un «la feuille de route que m'a confiée le président». Copé trace un chemin opposé en relançant la TVA sociale (pour des considérations sans doute plus politiciennes qu'économiques). Benoît Hamon, quant à lui, a fait montre de son habituelle modestie: pour lui, les auteurs ont confirmé ce que lui et le PS savaient déjà. Hamon avait l'«intuition quasi-divine» et Piketty a eu la gentillesse de faire les quelques calculs derrière. Personnellement, cela m'a rappelé Ségolène Royal déclarant que Obama avait tout pompé sur elle pour organiser sa campagne victorieuse. Martine Aubry, elle, a eu un réflexe de récupération: «Piketty ? mais oui, on travaille avec lui depuis des années, il est de chez nous». Oubliant les "quelques" divergences entre l'embryon actuel de programme du PS et le projet du livre. Finalement, c'est certainement un François Hollande qui est le plus proche des idées présentées en prônant notamment la fusion IR/CSG (et de façon relativement précise, non comme un mot balancé au milieu d'un discours) depuis un certain temps déjà.

Il est quand même assez navrant qu'un livre, qui a été conçu comme une réflexion globale et citoyenne, non dénuée d'arrières-pensées politiques certes (mais peut-on l'être ?), entraîne un débat aussi pauvre chez les politiques. Thomas Piketty l'avouait à demi-mots sur France Inter en expliquant que le livre était finalement plus destiné aux citoyens qu'aux politiques et que l'objectif était d'obliger ces derniers à se positionner de façon claire et précise sur les enjeux fiscaux. Certes, mais entre les citoyens et les politiques, il faut une courroie de transmission. Pour l'écologie, en 2007, cette courroie s'appelait Nicolas Hulot avec son pacte écologique qui avait été signé par les candidats majeurs des deux bords. Le résultat de cette action est en demi-teinte: il y a bien eu un Grenelle de l'écologie mais les mesures concrètes sont assez faibles (si bien que le sieur Hulot envisage cette fois-ci de se présenter). Piketty pourrait jouer le même coup avec un pacte fiscal à faire signer par les différents candidats, libre à eux ensuite de bouger les curseurs sur la base de la réforme. Las, Piketty et ses amis n'ont pas présenté de programmes en prime-time sur TF1 et ne vendent pas de gel douche ... Et s'ils bénéficient d'un réel buzz médiatique actuellement, ils sont et resteront trop inconnus du grand public pour pouvoir réellement peser. Dommage pour la démocratie.

 

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Commentaires
J
les sujets aussi. A traiter en leur temps, en leur heure, en leur lieu.
Répondre
C
... reste à savoir si ça peut changer quelque chose.<br /> <br /> Vision décoiffante des fondamentaux de toute question d'inégalité sociale, par un vieux profane, en toute simplicité : <br /> <br /> http://claudec-abominablepyramidesociale.blogspot.com
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