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12 avril 2011

"Nous y sommes" Par Fred Vargas

 

(Un texte à faire suivre ... Bonne lecture !)

 

 

 

Nous y voilà, nous y sommes.

Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.

Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.

Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités

d'insouciance, nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un

quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine. Nous avons

construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides àl'eau, nos

fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les

mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous

sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui

clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert,

acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est

bien amusés.

On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire

fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu. Franchement on s'est marrés.

Franchement on a bien profité.

Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de

sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de

terre.

Certes.

Mais nous y sommes.

A la Troisième Révolution.

Qui a ceci de très différent des deux premières ( la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.

« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.

Oui.

On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).

Sauvez-moi ou crevez avec moi

Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.

Peine perdue.

Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.

Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, - attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille- récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).

S'efforcer.

Réfléchir, même.

Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.

Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.

Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.

Pas d'échappatoire, allons-y.

Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.

A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie -une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut-être.

A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.

A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

 

 

 

Fred Vargas

Archéologue et écrivain

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Commentaires
J
les nuages dont tu parles se fichent pas mal des serres, puisque les aliments seront nourris par des choses qui viennent de l'extérieur. De plus une serre n'arrête pas la radioactivité :-) Sinon on aurait mis une serre autour de Fukuschima.<br /> <br /> Ceci dit la culture hors sol n'est pas forcément sous serre, juste parfois protégée par des filets assez larges, qui laissent passer le soleil dont une plante a besoin pour faire sa bio-chimie et parfois par rien du tout.<br /> <br /> Mais je parle évidemment là de culture hors-sol qui respecte les lois de la nature.<br /> <br /> Ce n'est évidemment pas le cas de toutes les cultures hors sol que l'on trouve dans les super-marchés et dont les aliments ne contiennent absolument plus rien de nutritif, mais des ajouts peu recommandables.<br /> <br /> Mais au vu de ce qui se passe sur la planète, il est fort probable que ce sera la seule nourriture possible du futur... ou à défaut des pillules, grrrrr
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J
sous serre elles ne reçoivent pas les retombées atmosphériques qui trimbalent des nuages de matières déplaisantes et qui nous tombent dessus avec la pluie?
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J
La culture hors-sol n'est pas forcément mauvaise. Tout dépend avec quoi on nourrit les plants...<br /> <br /> Même si tous les ingrédients de la terre, bactéries, minéraux etc... sont essentiels, à Tahiti par exemple, pas mal de culture hors sol sont nourries exclusivement avec de la bourre de coco (fibre) qui contient tout cela à elle seule. C'est le cas pour la vanille, les tomates, etc...<br /> <br /> Et c'est une nourriture parfaitement naturelle et gratuite, puisque des milliers de coco tombent tous les jours sur le sol :-)
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J
avaient ces fraises, en comparaison de celles qui aujourd'hui sont cultivées hors sol...
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J
La Fontaine était un visionnaire. Nous avons chanté, nous avons dansé...<br /> <br /> Et maintenant... ?<br /> <br /> C'est un très beau texte. Quand j'étais petite, toute petite, enfin pas tant que ça, je ramassais du crottin de cheval sur la route avec ma mère-grand, pour nourrir les fraisiers.
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