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4 août 2011

Règle d'or : le gadget inutile et dangereux de Sarkozy

 

Dans une lettre rendue publique, le Président invite les parlementaires à voter l’inscription de la « règle d’or » de l’équilibre budgétaire dans la Constitution. Une nouvelle manifestation de son goût immodéré pour les gadgets inutiles, dangereux et anti-démocratiques, juge Jacques Sapir.

 


(Dessin - Louison)
(Dessin - Louison)
La lettre que le Président Nicolas Sarkozy a envoyée aux députés et sénateurs pour les enjoindre de voter l’inscription de la « Règle d’Or » de l’équilibre budgétaire dans la Constitution est une nouvelle manifestation de son goût immodéré pour les gadgets inutiles, dangereux et anti-démocratiques.

La volonté de mettre les règles économiques hors d’atteinte du pouvoir politique est une constante dans l’histoire politique récente(1). C'est une démarche que l’on retrouve à la fois dans les tentatives récentes aux États-Unis d’inscrire l’interdiction du déficit budgétaire dans la Constitution ou en Allemagne dans les considérations monétaires gravées dans la Loi fondamentale. Mais elle repose tout d’abord sur une idée fausse, une compréhension erronée de ce qu’est une Constitution.

Dans une Constitution en effet, on trouve à la fois des clauses structurelles et des clauses de droit (2). Les clauses structurelles sont des règles organisatrices, qui évitent que certaines questions ne soient interminablement rediscutées à chaque occurrence. Ces règles dépendent cependant du contexte dans lequel elles ont été prises. Ceci était bien vu par des auteurs, comme Thomas Jefferson ou John Locke, pour qui les décisions d'une génération ne pouvaient enchaîner la suivante (3). Les clauses de droit visent quant à elles à exclure du choix majoritaire certaines décisions dans le dessein de protéger les droits individuels. Mais ceci ne saurait s’appliquer à des règles budgétaires qui concernent directement le lien social fondamental que constitue le consentement à l’impôt.
 
Rien ne justifie donc une telle mesure, qui n’est qu’un gadget de politicien visant à semer la discorde chez ses principaux adversaires.

Ensuite, vouloir limiter l’action discrétionnaire du gouvernement en matière budgétaire est une idée dangereuse. Elle peut d’ailleurs conduire à la catastrophe comme le montre l’exemple de l’Autriche dans les années 1920 et 1930 (4). Ce pays avait connu immédiatement après le premier conflit mondial une grave crise hyper inflationniste. Les gouvernants avaient cru bon de devoir introduire dans la nouvelle Constitution du pays l’interdiction de tout déficit budgétaire. Cependant, Il arriva à la fin des années 1920 que le système bancaire autrichien connut une crise grave. Le gouvernement autrichien fut ainsi obligé de recapitaliser dans l’urgence le principal établissement financier. Il n’y avait rien de plus normal et cette mesure était parfaitement nécessaire à la crédibilité du système des paiements. Seulement, pour prendre une telle mesure, le gouvernement autrichien dû prévoir en cours d’exercice des dépenses supplémentaires. Ceci mit le budget en déficit. Il fallut alors enfreindre la Constitution.
 
Pour ne pas provoquer de crise politique le gouvernement décida de tenir secrète cette décision. Mais, le secret fut naturellement éventé, détruisant rapidement la réputation du gouvernement et du pays dans le contexte de la montée de la crise de 1929, et conduisant à une nouvelle crise monétaire grave. Le déficit budgétaire consenti pour recapitaliser le système bancaire autrichien était pourtant en réalité insignifiant et bien incapable à lui seul d’induire une déstabilisation massive.

On le voit ici : pour s’acheter à bon compte une réputation monétaire, les autorités autrichiennes s’étaient mises dans une situation les privant de capacité de réaction face à de nouvelles crises. Ceci renvoie à l’incertitude fondamentale qui existe en économie et dont nul ne saurait s’émanciper.

Pour qu’un système de règles constitutionnelles puisse remplacer une telle action discrétionnaire, il faudrait soit que la totalité des crises futures aient été prévues et inscrites dans les règles. Mais, pour avoir une assurance en la matière, il faudrait aussi que l’on connaisse le déroulement de ces crises à venir. En d’autres termes, le recours à la règle constitutionnelle en économie, sauf à proférer des hypothèses d’omniscience, ne fait pas disparaître le risque d’incertitude radicale. Par contre, en omettant d’organiser une voie de sortie par la reconnaissance de la légitimité de l’action discrétionnaire, elle même issue d’un pouvoir démocratique, ce recours à la règle constitutionnelle institue une incertitude supplémentaire, celle sur les conséquences de l’émergence de la solution à la crise.

Enfin, c’est une idée qui est profondément anti-démocratique. Les règles, et au premier lieu les règles budgétaires, renvoient nécessairement à des structures sociales. Vouloir les disjoindre du contrôle que la représentation de la société (la Parlement) peut exercer sur elles revient à vider de son sens la démocratie.

L'analyse que S. Holmes propose (5) montre que certaines règles d'omission inscrites dans une Constitution peuvent être déstabilisantes. Ainsi, toute règle qui tend à pérenniser une discrimination, ou un mode de coordination (et une règle budgétaire est un mode de coordination) est mauvaise; toute règle qui laisse les agents libres de leurs modes de coordination est bonne.

La cohérence d’une société hétérogène est le produit d’une démarche politique consciente de ses membres (6). La question de l’État prend dès lors toute son importance et avec elle celle de la démocratie. Toute tentative pour limiter la démocratie met dès lors en cause la stabilité de la société.

Si cette mesure de « constitutionnalisation » d’une règle limitant le déficit budgétaire devait être adoptée, non seulement serions-nous confrontés à une atteinte évidente aux principes de la démocratie, mais – et surtout – nous aurions la garantie d’être confrontés à terme à une crise bien plus grave quand nous ne pourrions plus respecter cette règle.

(1) Elle commence en fait chez F.A. Hayek in La Route de la Servitude, (1944), Paris, PUF, 1985.
(2) C.R. Sunstein, « Constitutions and Democracies: an epilogue », in J. Elster et R. Slagstad, Constitutionalism and Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 (1988), p. 327-356.
(3) T. Jefferson, « Notes on the State of Virginia », in Writngs - edited by M. Peterson, New York, Library of America, 1984. John Locke, Two Treatise of Governments, New York, Mentor, 1965, Livre II, ch. 8.
(4) A. Schubert, The Credit-Anstalt Crisis of 1931, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
(5) S. Holmes, "Gag-Rules or the politics of omission", in J. Elster & R. Slagstad, Constitutionalism and Democracy, op.cit., pp. 19-58.
(6) J. Sapir, Les économistes contre la Démocratie, Paris, Albin Michel, 2002.


Jacques Sapir est directeur d’études à l’EHESS.
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