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25 octobre 2011

François Hollande, ce fauve

Challenge pour les news magazines: construire une success story fissa avec Hollande en héros.

 

Par DANIEL SCHNEIDERMANN dans LIBERATION

François Hollande, lors de la convention d'investiture du PS samedi. (AFP/JOEL SAGET)
 

Dur métier, journaliste politique. Il faut imaginer la tête des confrères des hebdos, après la primaire socialiste. Défi de la semaine : construire une success story, une histoire de winner, bien charnue, avec des meurtres, du suspense, du sang sur les murs, des rebondissements, comme on les adore dans les pages politiques des hebdos. Tu as deux heures. Et le héros, chef, qui doit être le héros ? François Hollande. Pardon, chef, c’est une blague ? Non non, François Hollande, il a gagné la primaire, t’es au courant ? Tu te débrouilles comme tu veux, tu me le transformes en fauve, en Zeus, en Jupiter, en Apollon, en Neptune, tu as carte blanche, mais c’est la couve de la semaine, et six pages. Je veux qu’il crache le feu.

Dur métier.

L’Express propose donc «Hollande intime» (Dieu, les femmes, les enfants, le foot, les amis, les secrets, les mensonges, les blessures). Dans une formulation toute en perversité compassionnelle dont il semble avoir le secret, le Point se demande en couverture «Est-il si mou ?» Mais le plus enthousiaste est l’Obs, qui promet toutes les révélations sur «le conquérant». A savoir, «ses réseaux, sa compagne, son plan pour battre Sarkozy» (espérons que le numéro ne tombera pas sous les yeux de Sarkozy). A la lecture, il est manifeste que les rédacteurs en chef, dopés comme d’habitude par les sondages, se sont donnés à fond. Les intertitres résumant les journées de l’entre-deux tours claquent comme des communiqués militaires : «dimanche 9 octobre, la peur change de camp», «lundi 10 octobre, le coup de gueule des grognards», «mercredi 12 octobre, l’opération Ségolène, la neutralisation d’Aubry», «jeudi 13 octobre, la lutte finale». Enfin, parachevant la victoire, «vendredi 14 octobre, le ralliement de Montebourg».

Si poussé à l’incandescence soit il, l’art du titre ne suffit pourtant pas. Tout bon storytelling suppose… des histoires à raconter. En tête de liste, forcément, les rapports du conquérant avec le chef de guerre adverse, Nicolas Sarkozy. Comment ces deux-là se croisent (pardon, se «flairent», attention à ne pas abandonner en route le registre grands fauves) depuis quinze ans, dans les loges de maquillage des débats de seconde partie de soirée, où les délèguent les supergrands fauves. Acmé de cet exercice de flairage mutuel : leur impitoyable échange télé de 1999, avec des citations que l’on peut se préparer à subir à un rythme régulier, dans les six mois qui viennent. Nicolas Sarkozy : «Celui-là, il est toujours gentil au début, et après ça se gâte.» François Hollande : «Vous gentil, vous ne l’êtes ni au début ni à la fin.» On en tremble d’émotion. C’est du Homère, du Shakespeare, du Racine.

Et ce n’est pas tout. Il y a aussi la scène de l’humiliation aérienne. Sarkozy parvenu à l’Elysée, invite Hollande dans son avion : «Je t’ai bien niqué en te piquant les radicaux de gauche.» Et surtout (Hollande vient de rompre avec Royal) : «Tu fais quoi cet été ? Moi je vais manger des glaces en Italie avec Carla.» L’auteur de l’article tire la morale de l’épisode : «Ces humiliations-là, parce qu’elles étaient inutiles, ont profondément modifié le regard de Hollande sur celui dont il entend demain prendre la place, au sommet de l’Etat.» Entre fauves, on ne se vanne pas. On s’humilie, avec de vraies humiliations recyclables, qui pourront resservir dans les rééditions de la saga.

Dans le documentaire animalier, les amours du grand fauve constituent toujours un morceau de choix. Là encore, les ingrédients de base pourraient sembler peu excitants : un politicien quinqua refait sa vie avec une jeune journaliste politique. Mais sous la plume des consœurs de la première dame potentielle, l’histoire, en deux phrases définitives, rejoint Autant en emporte le vent, au rang des grandes sagas de tous les temps : «C’est une histoire exceptionnelle. Elle a tout emporté», confie à l’Obs la Future. Point n’est besoin d’en dire plus. Tout est dans ce tout.

Il se trouve que Valérie Trierweiler, comme nombre de ses confrères, twitte. Après une prestation médiocre de Hollande et Fogiel sur M6, elle a twitté par exemple : «Journaliste politique, c’est un métier.» Ah, quel tweet ! Ce tweet n’est pas seulement une réaction de mauvais caractère, c’est un geste politique décisif. D’ailleurs, la compagne du conquérant ne saurait être banalement dotée d’un caractère de cochon. Elle est «à fleur de peau et lucide», ce qui est tout de même plus chic (l’Obs). Encore plus chic, «elle a des aspérités qu’elle va devoir gommer. Il y a du cristal en elle, qui peut briller, qui peut éclater» (Philippe Labro, écrivain et ex-rédacteur en chef de la dame, cité par l’Obs). Ce qui n’est pas près d’éclater, c’est la bulle de la flagornerie politique.

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