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7 avril 2012

Jacques Julliard. « De la deuxième gauche à la gauche, la vraie »

Sur LE RUISSEAU


Cela fait du bruit, un péguyste qui se réveille. Surtout quand il a dormi trop longtemps. A 77 ans, on croyait Jacques Julliard définitivement assoupi dans le confort du Nouvel Observateur, indéboulonnable éditorialiste et directeur délégué à la distribution de suppléments d’âme pour bobos branchés. Eh bien, non ! Le notable vient de retomber à gauche comme on retombe en enfance. Cela couvait depuis quelque temps

Il y eut d’abord, au cœur de l’été dernier, cet appel soudain à une « social-démocratie de combat » contre la social-démocratie comme ligne de repli de la bourgeoisie d’affaires . C’était quinze jours après l’interview très complaisante et très controversée de Nicolas Sarkozy dans l’Obs, négociée et réalisée par Denis Olivennes, nouveau patron de l’hebdomadaire où il a atterri après avoir dirigé Canal + et la Fnac.

Beaucoup, dans la rédaction, ont tout de suite compris que Julliard ciblait Olivennes en dénonçant ; ceux qui feignent contre toute évidence et sans conviction de professer des idées politiques différentes » tout en ’ appartenant à la même dasse, fréquentant les mêmes milieux, partageant les mêmes vacances, les mêmes femmes ». L’arrivée à la tête du journal d’Olivennes, l’un de ces symboles de la conversion néolibérale de la gauche, technocrate passé du cabinet de Pierre Bérégovoy au management coté en Bourse, a d’autant plus réveillé Jacques Julliard qu’ils se sont côtoyés, il y a vingt ans, au sein de la Fondation Saint-Simon, céna­cle d’une « deuxième gauche qui voulait réconcilier le PS avec le marché. Mais, pour Julliard, elle a échoué d’avoir trop réussi : c’est l’argent, derrière le marché, qui a sub­jugué trop de ses ex-compagnons,

« Ce qui a tout déclenché pour moi, c’est évidemment la crise », explique-t-il aujourd’hui. Le catho de gauche formé par ses classiques de jeunesse, Bernanos, Péguy, Proudhon, ne supporte pas le pouvoir grandissant de l’argent et se sent même un peu coupable, comme il l’écrit dans I’Obs : «  L’horreur économique, nous n’avons rien fait pour la conjurer. Pis : nous avons parfois donné l’impression de la tolérer. » L’argent fou, qui sépare « le commun des mortels et une nouvelle caste de privilégiés » : « Nous sommes en train de retourner à l’Ancien Régime, c’est-à-dire de passer d’une société de classes à une société d’ordres. » Au-delà des spéculateurs, « sangsues de la société, c’est l’idée même de ce capitalisme hors sol, hors production, fondé sur la spéculation, qu’il faut déraciner, expulser des cerveaux formatés par le bourrage de crâne ultralibéral ». Denis Olivennes lui répond dans les pages de l’hebdomadaire : « Je ne crois pas qu’il faille vouer aux gémonies le supposé capitalisme financier » : « Vitupérer la mondialisation ou le capitalisme financier aujourd’hui, c’est comme pester contre l’économie de marché dans les années 70 : cela procède du même aveuglement - toujours très populaire - seulement remis au goût du jour », Au moins c’est clair. Et quand Olivennes affirme page 7 qu’Henri Proglio est un « chef d’entreprise expérimenté, peut-être le seul pour la fonction », Julliard estime page 36 qu’ "on nous prend pour des billes" en glorifiant ce « génie de la gouvernance d’entreprise, comme ils disent ».

 

Félicité par les hiérarques du PS

Mais le nouveau militantisme de Jacques Julliard dépasse les colonnes de I’Obs. Les échos internes n’ont fait que l’encourager. « Une majorité de journalistes ont été agréablement surpris par sa colère subite, explique un rédacteur. Il est clair qu’il représente mieux la ligne historique du journal qu’Olivennes, qui fait partie du même monde que Sarkozy. » Pour aller plus loin, Julliard rédige début janvier « Vingt thèses pour repartir du pied gauche ». Olivennes refuse de publier ce texte, il est vrai qu’il est plein de gros mots : « pouvoir de classe », « rassemblement populaire », « nationalisations », « rapport de force », « faillite complète de l’Europe ». Et conclut au « besoin d’hommes neufs, libres de toute compromission avec la banque et l’affairisme ».

Là, Julliard n’hésite pas à franchir la ligne jaune : il ne veut pas de Dominique Strauss-Kahn comme candidat à la présidentielle, car la gauche ne saurait être représentée par un représentant de l’establishment financier ». « Il symbolise trop cette social-démocratie de connivence et de compromission avec l’adver­saire pour incarner le renou­veau », explique aujourd’hui Julliard, qui a alors proposé son brûlot, inopportun dans I’Obs, à Libération qui le publie fin janvier sur deux pages. "Je me suis simplement dit que la gauche ne pouvait pas continuer à être aussi absente : que propose-t-elle de plus que Sarkozy contre le capitalisme financier ? Qu’est-ce qu’un homme de gauche doit faire de plus ? D’abord, commencer à ne plus réfléchir comme un banquier. "

C’est justement un « banquier de gauche », Jean Peyrelevade, qui lui répond en dénonçant le « populisme caché de]ulliard » qui " excite les foules ». Cette accusation de « populisme » fait de Julliard un arroseur arrosé - il a lui-même parfois cédé à cette facilité -, mais semble l’avoir définitivement baptisé : « Alors là, ça m’a fait bien rigoler. J’ai compris que, dès que l’on pense aux catégories populaires, ils ont peur, ils ne veu­lent vraiment plus en entendre parler ! L’invoca­tion du populisme, ça leur évite de répondre. Pey­relevade prend l’exemple des nationalisations : Il pourrait argumenter, dire que c’est inefficace ou financièrement impossible. Non : populiste.’ Ça leur suffit ! » Eh oui. Bienvenue au club !

D’autres réactions lui confirment qu’il a provoqué quelque chose : la plupart des hiérarques du PS l’appellent pour le féliciter ou demander à le rencontrer. A commencer par Martine Aubry : « Ce texte m’a beaucoup intéressée, il faut que l’on se voie vite. » Jacques Julliard n’en revient pas : « En les écoutant, j’ai été stupéfait de découvrir à quel point j’avais une image droitière, tout d’un coup dissipée par ce texte, je n’imaginais pas à quel point il y avait chez eux une telle impossibilité de débattre. Beaucoup m’ont dit que je fournissais un premier cadre d’analyse et de discussion que leur guerre interne les empêchait de produire. Tous les courants sont disponibles pour du nou­veau. Il faut tout reconstruire, car, si la deuxième gauche est morte, la première aussi ! »

Julliard a d’ailleurs été mêlé de près à ces deux décès idéologiques : il a voulu la mort de la première gauche (mitterrandiste) et il a fini par reconnaître l’échec de la deuxième (rocardienne), dont il fut un des princi­paux animateurs. Il attend toujours du PS un inventaire critique de la séquence Mit­terrand qu’il avait clos de quelques phrases féroces en 1995, en exprimant son « soulagement de voir partir le grand corrupteur dont le palais enfin de règne s’était transformé en caverne de brigands. On l’appelait Tonton pour ne pas l’ap­peler Parrain ». Mais son autocritique de la deuxième gauche semble moins expéditive et plus amnésique.

Il lui faudra quand même expliquer un jour comment un mouvement issu d’une CFDT « autogestionnaire », prônant la « société civile » contre l’Etat, a fini avec Rocard Premier ministre théorisant la « ruse avec l’opinion » pour faire passer ni vu ni connu des réformes impopulaires.

Comment un courant qui a débuté avec la grève des Lip de Charles Piaget aboutit à Pascal Lamy, patron de l’Organisation mondiale du commerce ? Pendant cette métamorphose, Julliard fut en première ligne, animant les deux revues organiques de la deuxième gauche, Faire et Interven­tion, saluant sans chagrin en 1986 la « fin du peuple », puis en 1988 la « fin de l’exception française » dans un ouvrage, la République du centre, dont Raymond Barre fera un compte rendu élogieux dans Libération. Ce livre très tendance saluant l’avènement de la « poli­tique rationnelle » était coécrit avec Pierre Rosanvallon et François Furet, ses deux complices de la Fondation Saint-Simon, club échangiste créé pour que la gauche raisonnable et les patrons éclairés s’ap­privoisent à l’intérieur d’un « cercle de la raison » dessiné par Alain Minc.

« Rosanvallon a dissous la fondation quand il a eu l’impression qu’il se faisait rouler dans la farine par Minc, et moi j’ai compris à quel point c’était un échec quand j’ai réalisé com­ment Minc se servait du vocabulaire de la deuxième gauche », précise Jacques Julliard, qui admet un bilan globalement néga­tif. « Nous avons surestimé la capacité de la société civile à se prendre en main. Nous avons sous-estime l’importance de la politique. Rocard, qui s’est mué sans s’expliquer en social-démocrate à l’allemande, a une responsabilité personnelle. Nos idées avaient triomphé, mais pas nos hommes. Elles ont servi d’alibis aux affairistes et aux mitterrandistes qui n’avaient aucune perspective pour sortir de l’échec du programme com­mun. »

L’abandon de la justice sociale reste la principale conséquence de cet échec. « Elle a été remplacée par la thématique des exclus, dans une conception charitable du social, relève Julliard. Il suffit de voir les Gracques, club d’ex-rocardiens constitué de patrons ou d’aspirants patrons d’où a disparu toute fibre sociale ! Aujourd’hui, les derniers libéraux totaux viennent de la deuxième gauche : ce que même Sarkozy n’ose plus dire, Pascal Lamy le fait en continuant à défendre le primat du mar­ché pour réformer la société ! » Ses origines populaires - fils d’un petit marchand de vin du Bugey, à 60 km de Bourg-en-Bresse - et son passé de syndicaliste expliquent, selon Julliard, sa « réaction viscérale » à l’empire de l’argent. Avec cette envie de revenir au meilleur de sa formation de méritant républicain : le rude pension­nat glacial de Nantua, l’Ecole normale supérieure, la carrière universitaire d’his­torien reconnu, spécialiste du syndica­lisme révolutionnaire. Car, bien avant l’Obs, il fut tout de même un cas rare : un intello membre du bureau national de la CFDT. La CFDT de la bonne période, celle d’Edmond Maire, qui avait bien rai­son de prôner « une lutte des classes dans le cadre démocratique » et qui avait mis en garde Julliard il y a vingt-cinq ans : « Si la deuxième gauche était je ne sais quelle volonté d’opposer une autre gauche à la gauche, ce serait une impasse. »

 

Rêve d’union syndicale

Alors il faut repartir, selon Julliard, du syndical. « Il faut l’union, et une force syn­dicale unique par la fusion de la CGT et de la CFDT, leur séparation n’a plus de raison d’être et affaiblit la gauche. » Julliard veut l’union partout, rêvant de rassemblements qui « englobent à la fois les millions de jeunes chrétiens accourus à la journée mondiale de la jeunesse (JMJ) portées par les valeurs anti­monétaires du christianisme et la nébuleuse altermondialiste et sa critique gauchiste de l’argent ». Voilà comme il parle désormais : « La situation est historiquement inédite avec des chefs politiques de la bourgeoisie affrontés aux chefs capitalistes de la bourgeoisie qui se moquent ouvertement d’eux. Il faut donc organiser des mobilisations d’opinion, sur des thèmes très concrets pour que les gens adhèrent, par exemple la taxation à 95 % ou le plafon­nement des plus hauts salaires. »

Ce n’est pas gagné : Jacques Julliard s’énerve d’apprendre que Martine Aubry est, elle aussi, intimissime... d’Alain Minc ! « Je crois que c’est précisément ce que je n’ai plus supporté d’un seul coup : cette impression que droite ou gauche au pouvoir, ce sera toujours Alain Minc au pouvoir. Il faut vraiment passer à autre chose ! »

Source: Marianne du 20 au 26 février 2010  par Eric Conan

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