Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Visiteurs
Depuis la création 1 378 953
Newsletter
30 juillet 2012

« Le Fond de l'air est rouge » de Chris Marker, les années rebelles

 Le fond de l'air est rouge (Grin without a Cat) Le film

 

http://youtu.be/wzKGOBNXi6g

http://youtu.be/q4tksCx2gUk

http://youtu.be/dZ-wg_CieUM

http://youtu.be/IEhrSJ6W5s8

http://youtu.be/fRSDE3o4NDA

http://youtu.be/tlHGP4JTa5Y

http://youtu.be/6kEtiB_LTIk

http://youtu.be/tlHGP4JTa5Y

http://youtu.be/L9FF7DEK0QM

10  http://youtu.be/OouYZkPjGqA

 

 *******

« Le fond de l’air est rouge »

par Ignacio Ramonet, décembre 1977  Sur Le monde diplomatique

Depuis ses premiers films, Chris Marker nous a habitués à recevoir la réalité documentaire au travers du filtre sensible de ses émotions. Il n’exprime jamais le point de vue d’un appareil ou d’un parti ; l’avancée de l’histoire, il parvient à la saisir dans l’hésitation des hommes, la fragilité des gestes. Il se veut un témoin concerné et son œuvre supporte, avec une élégance reconnue, sa solitude de cinéaste de fond.

******

 

« Le Fond de l'air est rouge » de Chris Marker, les années rebelles
Publié le 15/04/2008 à 14h00

L’affiche originale de ’Le Fond de l’air est rouge’ de Chris Marker.

Des images de Potemkine, teintées rouge sang, font lien avec des signes de victoire ou de protestation des manifestations contre la guerre du Vietnam, puis sur les marches où plonge le landau d’Eisenstein, il semble qu’on retrouve assise une jeune manifestante de 68.

 » Le Fond de l’air est rouge » [diffusé mardi soir sur Arte, à 23h00] commence par une leçon de montage, qui est à la fois une illustration du titre choisi par Chris Marker en 1977, et un commentaire visuel de son projet en lui-même : raconter en trois heures dix années d’histoire de la gauche mondiale, de la mort du Che en 1967 à la rupture du Programme commun en 1977, comme le journal intime d’un magnifique échec. C’est la mort et la mélancolie qui dominent ce paysage révolutionnaire de crépuscule, telle une chronique lyrique de la défaite d’une idée et des disparitions successives des grands héros de la révolte.

La diffusion, puis l’édition DVD, du « Fond de l’air est rouge » surgit au moment où la France, et pas seulement la gauche, se souvient de Mai 68, quarante ans plus tard, trente années après le film de Marker. Et l’heure n’est plus à la mélancolie, à cette tristesse créatrice telle que l’a conçue Chris Marker. D’un côté, ce sont plutôt des accents nostalgiques et revendicatifs, ceux des « anciens » , des témoins, qui reprennent rituellement tous les dix ans le postulat commémoratif : 68 a changé la France, tirons-en quelques bonnes leçons pour ne pas trop changer au présent. De l’autre, on entend le scepticisme, le discours de l’oubli volontaire, voire celui de la liquidation d’un héritage présenté comme indigne, celui où puiserait une France qui ne voudrait pas travailler, qui s’opposerait à la modernité libérale, qui mettrait de la rigidité là où le pouvoir en place voudrait voir souplesse, fluidité, circulation et communication accélérées.

Un regard historique au ras de l’archive

Hors de ce double discours de filiation et de refus, voici quelques voix isolées refusant les idées convenues, quelques livres au milieu d’une floraison de mots creux, et ce sont généralement des historiens et des historiennes (1) qui, avec une certaine myopie volontaire du regard, replongent dans les archives et les événement pour faire voir, à nouveau frais, un mouvement dont la plupart des interprétations n’ont pas encore été données.

Chris Marker, d’une certaine façon, a initié cette tendance-là : le regard historique sur les années 68, au ras de l’archive et de l’image, même s’il l’a proposé à sa manière : en poète du montage des plans et du rapprochement des images. C’est pourquoi ce « Fond de l’air est rouge » en édition DVD est un retour plus que bienvenu, indispensable à la chronique de ces quarante ans de Mai 68.

Les images de Potemkine reviennent comme un leitmotiv tout au long de la première heure du « Fond de l’air est rouge » , intitulée « Les Mains fragiles. 1. Du Vietnam à la mort du Che » . Elles sont montées successivement avec trois enterrements, ceux des morts de Charonne en 1962, celui de Gilles Tautin, à Flins en 1968, celui de Pierre Overney, dont le cercueil est porté par de jeunes maoïstes au poing levé en 1972, image devenue classique de la fin du militantisme maoïste en France. Ce sont les événements morbides d’une génération qui donne un sens à son histoire dans l’Histoire.



En novembre 1977, lorsque sort « Le Fond de l’air est rouge » , Chris. Marker a 56 ans. Le grand documentariste vient de traverser dix années de militantisme, dont plus de trois entièrement consacrées au travail sur son film somme. Il a donné naissance en décembre 1967 au collectif SLON (Société de Lancement des Œuvres Nouvelles, en russe « éléphant » ), coopérative de cinéastes et d’opérateurs illustrant les conflits sociaux en cours et réalisant des « magazines de contre-information » , puis au Groupe Medvedkine réunissant des « cinéastes ouvriers » .

Le second disque du DVD d’Arte, intitulé Sixties, propose heureusement certains des films témoins de cet art formidablement juste de l’engagement chez Chris Marker : « A bientôt j’espère » (avec Mario Marret) qui fonde le « film d’usine » propre aux années 68, Puisqu’on vous dit que c’est possible sur l’aventure autogestionnaire des ouvriers de Lip, ou « La Sixième face du Pentagone » (avec François Reichenbach), pamphlet libertaire et estudiantin sur l’action directe des jeunes américains anti-impérialistes.

« Après tout, c’est peut-être bien ça la dialectique ? “

Pour ‘ Le Fond de l’air est rouge’ , commencé après le coup d’Etat militaire au Chili, le 11 septembre 1973, Marker utilise nombre de documents et de rushes issus de ces deux collectifs, qu’il rapproche d’images d’actualité. Marker définit lui-même son travail comme un ‘montage des attractions’, étincelles politiques (la société du cinéaste se nomme ISKRA - ‘ étincelle’ en russe) produites par la confrontation des images du passé et du présent, de la fiction et du document, des silences, des sons, des huit voix off et du commentaire, des témoignages et du direct, de la couleur et du noir et blanc, de l’amitié et des adversités.

Ce travail considérable empile et soude les images les unes aux autres comme une forme de ‘ montage feuilleté’ : avers et revers d’une même réalité, montrés ensemble, qui restituent de la profondeur aux événements, loin du sens univoque que prend toute réalité lorsqu’elle est présentée par exemple par l’information-spectacle télévisuelle. Marker explicite ce projet en disant :

” J’ai voulu construire ce dialogue enfin possible entre toutes ces voix que seule l’illusion lyrique de 68 avait fait se rencontrer un court moment. Le montage restitue à l’histoire sa polyphonie. Chaque pas de ce dialogue imaginaire vise à créer une troisième voix produite par la rencontre des deux premières. Après tout, c’est peut-être bien ça la dialectique ? “

” Le Fond de l’air est rouge » est également polyphonique en ce sens qu’il s’apparente aussi bien à un travail collectif qu’à un journal intime, à la chronique de la « troisième guerre mondiale » vue par deux générations de gauche qu’à un collage d’actualités et de documents sous copyright rouge.

« Mai 68 et tout ça… »

Au début de la deuxième heure de film apparaît le général de Gaulle sur le petit écran. « L’année 68, je la salue avec satisfaction parce que… » Il disparaît d’un coup sans avoir pu finir sa phrase, comme si un brusque pied de nez de l’histoire s’était vengé de cette assurance gaullienne, jetant des dizaines de milliers d’hommes et de femmes de gauche dans les rues de cette année-là.

 » Mai 68 et tout ça… » titre Marker, tandis que le visage de Daniel Cohn-Bendit prend la place et occupe la Sorbonne, le 3 mai : « Je crois que c’est la première fois que nous voyons cela… ! “ Le film reste une heure sur les barricades du quartier latin, et le ton fait alterner évocation épique des élans et des amours insurgés avec la visite du folklore désormais suranné d’un petit musée de la révolution. C’est un moment d’histoire suspendue, porté par un espoir de changement social et une révolte sincère contre un ordre désuet, mais c’est aussi le comble des illusions de la gauche et le paroxysme de ses tensions et de ses divisions.

En fait, la bataille est déjà perdue, mais ni la gauche ni les étudiants ne veulent le savoir, ainsi que le commente Marker :

” Les appareils politiques traditionnels ont déjà commencé de sécréter les anticorps qui leur permettront de survivre à la plus grande menace qu’ils aient rencontrée sur leur chemin. Et, comme la boule de bowling de Boris Karloff dans Scarface qui abat encore des quilles sur sa lancée alors que la main qui l’a jetée est déjà morte, toutes ces énergies et ces espoirs accumulés dans la période montante du Mouvement aboutiront à l’éclatante et vaine parade de 1968, à Paris, à Prague, à Mexico, ailleurs… »

« Béjart-Vilar-Salazar… » : une erreur historique de 68 

Ce malentendu est illustré par le déplacement que le film opère de Paris à Avignon, de mai à juillet 1968, quand les insultes des jeunes gauchistes pleuvent sur Vilar, le fondateur et réformateur d’un festival qu’il avait lui-même offert à la gauche et à la jeunesse. Maldonne et mauvaise cible : « Le Mouvement a enfin trouvé son ennemi principal : Jean Vilar. Et par la même occasion le slogan le plus stupide d’une époque pourtant compétitive : “ Béjart-Vilar-Salazar…”

Cette “ erreur historique” de 68 est au cœur du projet de Marker, qui se sent solidaire de Vilar et vise, dans “ Le Fond de l’air est rouge” , à réconcilier les générations de la gauche dans une mémoire commune, réparatrice même si elle est contradictoire. Il s’agit de se souvenir ensemble des espoirs et des échecs, comme une déploration collective, un récit des origines communément partagé. Ce film ouvre un espace de commémoration rouge dont 68 est la pierre de touche puisque l’année même de toutes les tensions et de toutes les contradictions.

Dix ans plus tard, quand sort “ Le Fond de l’air est rouge” , la réconciliation est possible, la fracture peut être réduite. Toutes les voix off du film, celles de Signoret, Montand, Semprun, Périer, Debray, Marker lui-même, qui racontent et témoignent, appartiennent ainsi à la génération pré-68, celle qui a traversé le stalinisme, qui a milité contre la guerre d’Algérie. Ces voix d’une génération prennent en charge le récit de la suivante, celle qu’on voit à l’image, qui milite contre la guerre du Vietnam, dresse les barricades de 68, et va perdre ses batailles et ses illusions tout au long des années 70.

Marker est un père autant qu’un filmeur-monteur pour cette génération-là, qui n’est pas la sienne mais la suivante : son film est une forme de don de soi comme figure paternelle du Mouvement. Il y paterne les enfants de Mai 68. Et à travers cette offrande, il cherche sur le corps même de l’utopie qu’il donne à voir une manière de réconciliation des générations militantes. Comme à la veillée de la gauche, les souvenirs communs du grand conte rouge, dits au coin d’un feu moribond, sont ici racontés par les anciens.

L’aboutissement d’un geste mélancolique

Vient alors le temps des “ Mains coupées” , seconde part du film qui sonne tel le tocsin de la gauche mondiale. Prague, Allende assiégé et acculé au suicide, le rêve chinois qui s’écroule lui aussi, le soviétisme se figeant en une maladie de rigidité froide, Castro lui-même qui trahit en justifiant tout, y compris les chars russes, le double échec de Mitterrand en 1974 et du Programme commun en 1977 : les heures finales du “ Fond de l’air est rouge” sont teintes de ces désespérances.

L’identité de la gauche est-elle de perdre toujours ? Ce fatum semble, pour Marker, un héritage du cinéma et de la politique, réunis par les images de son film : du superbe héros populaire tragique à la Gabin, sortant des films plus souvent mort que vivant, aux lendemains qui déchantent de Mai 68, forcément suivi de juin et du retour de bâton d’une droite triomphant dans les urnes des pavés utopiques du quartier latin.

Fin 1977, quand il sort sur les écrans, ce film est l’aboutissement de cette geste mélancolique : le destin de la gauche semble d’être continuellement défaite, à la mesure même de ses rêves et de ses projets, qui ont été d’autant plus beaux qu’ils sont voués à l’échec, occultés, censurés, battus en brèche, déformés, enfermés, torturés, et jamais appliqués à un réel qui s’y dérobe. Mai 68, dans cette optique, est l’instant fétiche de cette histoire cultivant la défaite.

Une vision propre à 68 qui s’achève

Si bien que “ Le Fond de l’air est rouge” -surtout rétrospectivement, vu depuis le début du XXIème siècle, époque radicalement différente qui a connu quinze ans de la gauche au pouvoir en France- signifie la fin d’une certaine histoire de la gauche, l’achèvement d’une vision du monde propre à 68. Histoire et vision qui placent au centre le communisme et sa critique, le stalinisme et ses dévoiements, le gauchisme et ses divisions, la gauche et son romantisme de l’échec assuré.

Une gauche qui, parce qu’elle est communiste, parce qu’elle est gauchiste, parce qu’elle est romantique, ne sait pas se maintenir au pouvoir si elle a su parfois le prendre, par audace et presque par surprise. Dans la dernière heure de son film, Chris Marker l’illustre en montrant en filigrane son amour des chats, icône féline car, précisément, “ c’est un animal qui n’aime pas le pouvoir” .

Réunissant ces images de la gauche comme un roman-photo de la mélancolie historique, il semblerait presque que Marker laisse place nette pour d’autres images et une autre histoire. En ce sens, “ Le Fond de l’air est rouge” , comme s’il avait enfermé une fois pour toute ces souvenirs dans un carton de vieilles photos jaunies, prépare par contre-exemple l’événement historique qui suivra : la victoire de François Mitterrand en 1981, premier président de gauche d’un pays qui n’y croyait plus, événement que le film instaure paradoxal, et même contradictoire, héritage de 68. Comme si la morale de cette fable pouvait s’énoncer ainsi : la gauche parvient enfin au pouvoir quand le fond de l’air n’est plus rouge.

(1) : Le livre des historiens et des historiennes de Mai 68 est : 68, une histoire collective, dirigé par Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel, aux éditions La Découverte, 2008. Les propositions historiennes les plus stimulantes viennent de Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, Complexe, 2005 ; Xavier Vigna, L’insubordination ouvrières dans les années 68, Presses Universitaires de Rennes, 2007 ; Michelle Zancarini-Fournel, Le Moment 68. Une histoire contestée, Le Seuil, 2008 ; Emmanuelle Loyer, Mai 68 dans le texte, Complexe, 2008.

Le Fond de l’air est rouge de Chris Marker - 345 min. - Arte Vidéo - 24,99€ - diffusion sur Arte le mardi 15 avril à 23h.

► Rue89 est partenaire d’Arte pour la sortie du coffret DVD “Le fond de l’air est rouge” de Chris Marker. Pour en savoir plus, cliquez ici.

 

************

sur MEDIAPART

Chris Marker en son chef-d'œuvre


Le Fond de l'air est rouge par arte

« Le film d’apprentissage de notre génération », c’est ainsi que Régis Debray voyait Le fond de l’air est rouge, de Chris Marker, lors de sa sortie en salles, en 1977. Quatre heures, réduites à trois par l’auteur, que diffuse Arte ce soir (ou plutôt cette nuit : 23 h).
Debray citait Althusser, « Le temps pris sur l’action fait parfois gagner du temps à l’action », histoire d’affirmer que les heures prises pour voir le film « vous feront gagner un temps précieux pour demain ».

Dans un texte daté de… mai 2008 (inclus dans le DVD qui sortira le 24 avril chez Arte vidéo), Marker (qui aura 87 ans le 29 juillet), toujours en avance sur son temps, cite aussi Althusser, de retour du Portugal où il en avait pincé pour la Révolution des œillets : « Pour lui comme pour d’autres le fond de l’air était, serait toujours rouge. Et le rouge resterait toujours au fond. »

Conçu comme une fresque furieuse et réfléchie, prospective et nostalgique, grave et ironique, Le Fond de l’air est rouge charrie le flux (« Cette génération avait enfin son 1917, elle était enfin contemporaine de quelque chose de considérable », à propos de la révolution culturelle en Chine) et le reflux (Malraux en avril 1969 : « Napoléon a écrit : "J’ai fait mes plans avec les rêves de mes soldats endormis." Souvent, le général de Gaulle a fait des plans avec les rêves de la France endormie, parce qu’il a trouvé avec lui des Français qui ne voulaient pas dormir. »).

Dans les deux parties du film, « Les mains fragiles » puis « les mains coupées » défilent l’émergence et l’échec de la nouvelle gauche, de la gauche de la gauche, celle qui faisait dire à Régis Debray, barbu dans sa prison de Camiri, en 1970 : « La lutte révolutionnaire continuera. » L’autre barbu du film, sorte de pluviomètre enregistreur des rébellions, baromètre de l’esprit révolutionnaire, c’est Fidel Castro, qui fustige, allongé à même le sol tel un jeune Jupiter, « ceux qui s’instituent révolutionnaires ». Il semble faire écho à ce que proclamera Rudi (« le rouge ») Dutschke, avant d’être tiré comme un lapin en avril 1968 : « Il faut révolutionner les révolutionnaires ! » Mais Fidel va céder lui-même à la fossilisation, ce que suggère Chris Marker avec son allégorie des microphones que manipule, à chacun de ses discours, le Commandant, jusqu’au jour où il en trouve d’inamovibles, sur la Place Rouge. Voilà comment cale un homme et les espoirs qu’il a suscités, montre en quelques archives juxtaposées le démiurge Marker, qui dédie son film à tous les opérateurs de prises de vues et à tous ceux qui ont bougé pour contrer « des pouvoirs qui nous voudraient sans mémoire ».

Sorcier du coq à l’âne, le cinéaste fait mine d'offrir quelque « intermède comique » (Peyrefitte interrogé par Mourousi en mai 1968), mais tout son film fonctionne sur ce principe des surgissements inattendus, des télescopages qui font sens. Pourquoi l’image se met-elle à trembler, interroge un carton coupant la parole à Charles de Gaulle souhaitant une bonne année 1968 : des opérateurs témoignent alors ; pour l’un les tremblements arrivèrent boulevard Saint-Michel en mai, pour l’autre à Prague en août. « À Santiago du Chili, la caméra s’est mise toute seule au ralenti », raconte un troisième. Et les images suivent, illustrent, contredisent, arrachent des larmes, aiguisent la fureur…


Ami sourcilleux des révoltes logiques et illogiques, Chris Marker nous livre le fond de sa pensée (« Jamais un chat n’est du côté du pouvoir ») et les ressorts de son recul critique : « C’est sans doute votre fonction d’être les ratons laveurs de la révolution », fustige la douce voix rageuse de Simone Signoret, à propos de ceux qui justifieront toujours tout. Dans ce flot d’images, où le grotesque pompeux (Léon Zitrone décrivant les fêtes de Persépolis en octobre 1971) côtoie le sublime éthéré (la jeune fille tchèque qui commente l’immolation de Jan Palach en 1969 dans le film de Gérard Depardon), le collage kaléidoscopique de Marker maintient la révolte intacte et le désespoir au balcon.

L’auteur remarque, in fine : « On pourrait méditer sur le temps qui passe et en mesurer les changements avec un instrument très simple, en énumérant les mots qui n’avaient simplement aucun sens pour les gens des sixties : boat people, sida, thatchérisme, ayatollah, territoires occupés, perestroïka, cohabitation (…) Le rêve communiste a implosé. Le capitalisme a gagné une bataille, sinon la guerre. »

Alain Touraine et Jorge Semprun, beaux comme des dieux, solides comme des rocs dans Le Fond de l’air est rouge, sont désormais de vieux messieurs. Simone Signoret, Yves Montand, ou François Périer sont morts. Régis Debray s’est même rasé la moustache aujourd’hui. Et Chris Marker, à la fin de son texte daté du mois prochain, résume ainsi son film, en se mettant sur son trente-et-un(ième anniversaire) : « Il s’articule autour d’un thème précis : ce qui advient lorsqu’un parti, le PC, et une grand puissance, l’URSS, cessent d’incarner l’espoir révolutionnaire, ce qui naît à leur place, et comment se joue l’affrontement. L’un et l’autre on cessé d’être et ce qui reste comme chronique, c’est celle de l’interminable répétition d’une pièce qui n’a jamais été jouée. »

« Rien ne distingue les souvenirs des autres moments. Ce n'est que plus tard qu'ils se font reconnaître : à leurs cicatrices. » La Jetée (1962).

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Derniers commentaires
Archives
Publicité