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18 août 2012

«WikiLeaks, une vraie bouffée d’oxygène»

Sur l'HUMANITE

La Cour de cassation a tranché vendredi : Denis Robert a gagné
 contre Clearstream. C’est l’issue d’une longue lutte pour la liberté d’expression. À l’aune de son parcours singulier, le journaliste s’exprime sur le phénomène WikiLeaks qui, à son tour, fait trembler la finance et sonne le renouveau de la sphère médiatique.

Rencontre avec Denis Robert. Journaliste, documentariste, romancier, plasticien ? Denis Robert se joue des limites. Insatiable, insaisissable, il est de ceux qui savent vivre plusieurs vies à la fois. "Citizen J", son prochain documentaire, s’attache à suivre au plus près le quotidien d’une filière de webjournalisme, fraîchement ouverte à la fac de Metz. Au fil de cette immersion, les questionnements individuels et collectifs des étudiants tissent une réflexion plus profonde sur l’avenir de la profession. Rencontre avec Denis Robert dans son atelier parisien, où s’entassent d’immenses toiles saturées de plans, lieux de pouvoirs, listings bancaires et autres schémas. Et qui les lui achète ? Des banquiers et des traders, pardi !

Quelles similitudes «votre» affaire Clearstream présente-t-elle 
avec celle de WikiLeaks ?

Denis Robert. La défense de la liberté d’expression et la lutte contre un pouvoir tentaculaire, voire totalitaire. J’ai été poursuivi dans l’affaire Clearstream 2 pour « recel de vol de secret bancaire ». Les parties civiles mettaient en avant le fait que les listings que j’avais obtenus étaient le produit d’un vol et qu’un tel procédé était condamnable. Ma relaxe dans cette affaire a fait jurisprudence. En reconnaissant la légitimité de mon enquête, le tribunal a reconnu la priorité du droit à l’information sur le secret bancaire. Quand l’intérêt général est patent, la justice peut admettre certains dépassements. WikiLeaks est exactement dans ce cas de figure et doit bénéficier, en France, de cette jurisprudence.

Sauf qu’Assange n’est pas journaliste…

Denis Robert. Mais moi non plus ! Je n’ai plus de carte de presse depuis 1995. Pourtant, comme lui, je le suis dans les faits. Julian Assange fait œuvre de journalisme, bien plus que certains éditorialistes qui s’opposent à lui. Je trouve qu’on fait un mauvais procès à WikiLeaks en opposant transparence et raison d’État ou vie privée. Le système WikiLeaks a des défauts mais en termes de liberté d’expression, c’est la meilleure nouvelle de l’année. Le travail d’Assange et de ses amis permet de mieux comprendre le fonctionnement du monde, ils nous informent sur des pans complètement méconnus de la diplomatie et des affaires.

À quoi pensez-vous ?

Denis Robert. Par exemple la violence imposée par les États-Unis dans les guerres intestines en Amérique du Sud ou ailleurs. Mais je ne suis pas un inconditionnel non plus…

Quelles sont vos réserves ?

Denis Robert. Lorsque WikiLeaks poste directement des documents sur la guerre en Afghanistan et en Irak sur son site, et que ceux-ci peuvent mettre en danger des vies humaines, il fait une énorme connerie. Le travail de journaliste ne consiste pas simplement à prendre et à divulguer, mais à capter, analyser, réfléchir, puis divulguer tout en préservant ses source. D’ailleurs, les membres de WikiLeaks semblent l’avoir compris en s’adressant à de grands journaux pour traiter leur matière première.

La défiance de certains journalistes ne révèle-t-elle pas une crainte, justement, de ne plus être le principal vecteur de l’information ?

Denis Robert. On vit une période de bouillonnement, de perte de repères, qui vient du Net, c’est évident. Le journalisme qui se profile est très affranchi, malgré la concurrence imposée actuellement par la crise de l’emploi. Une nouvelle génération de « webjournalistes » naît sous nos yeux. Des gens qui, parce qu’ils sont généralement jeunes, rapides et qu’ils ont domestiqué l’outil, parviennent à sortir des infos en court-circuitant le papier. Les journalistes plus anciens, aux schémas arrêtés, sont décontenancés. Pourtant, c’est une bouffée d’oxygène au moment où la presse française apparaît un peu dépressive, et à certains égards sclérosée. Cette période tumultueuse a ceci d’enthousiasmant qu’elle va obliger le journalisme à se refonder.

Certes, mais dans quelle direction ? Les verrous instaurés par la communication sont de plus en plus difficiles à faire sauter. Le journaliste de demain est-il condamné à devenir un simple « gestionnaire de fuites », comme l’a récemment décrété Pierre Péan dans la revue Médias ?

Denis Robert. Mais même une fuite organisée reste de l’info, si on explique que c’en est une. Un informateur est toujours intéressé, il ne vous fait pas des confidences par altruisme. Ce qui compte, c’est la qualité de son propos. Quand l’informaticien de Clearstream m’explique qu’il a effacé pendant des années les traces des transactions, ça relève en partie de la vengeance, pourtant ce qu’il dit est vrai. C’est une bonne info, originale, sourcée, recoupée, digne d’émerger du magma.

Comment l’avez-vous vérifiée ?

Denis Robert. J’ai interrogé Clearstream, qui a refusé de me répondre, j’ai vu un certain nombre de documents, puis j’ai interrogé d’autres personnes au sein de la boîte : tout convergeait. Après publication, je n’ai pas été poursuivi en diffamation sur ce point. Lui non plus, d’ailleurs. Il a été poursuivi pour manquement à son devoir de réserve. On ne lui reprochait pas ce qu’il m’avait dit mais le fait même de me l’avoir dit. C’est formidable comme aveu.

Comment êtes-vous passé outre 
les murs invisibles qui enserrent 
le milieu bien protégé de la finance ?

Denis Robert. Paradoxalement, c’est grâce à mes innombrables procès que certaines personnes ont eu vent de mon travail et se sont adressées à moi. Par exemple, lorsqu’un audit de Clearstream a été réalisé par le cabinet Arthur Andersen, un des auditeurs a découvert de graves dysfonctionnements et des traces de panne à répétition dans le système informatique de Clearstream. Il a adressé des mémos à sa hiérarchie pour leur signaler le problème. Lorsque ses supérieurs ont déchiré ses rapports, comment a-t-il réagi ? En m’envoyant un listing qui montrait que ce que je dénonçais n’était pas si farfelu.

Pourquoi vous être focalisé à ce point sur les affaires financières ?

Denis Robert. Clearstream s’est focalisé sur moi. Pas l’inverse. S’ils n’avaient pas autant attaqué, je serais ailleurs aujourd’hui. Ce que j’aime, c’est l’exploration. Aller là où personne ne va. J’ai enquêté sur les financements des partis politiques pour Libération jusqu’en 1995. Après être tombé quasi systématiquement sur des placements dans les paradis fiscaux, j’avais l’impression de toucher du doigt les limites de mon champ d’investigation. À chaque fois que j’interrogeais les juges d’instruction, que ce soit en France, en Italie ou en Espagne, tous étaient confrontés au même problème : dès qu’ils avaient affaire à un parti avec un financement en Suisse ou au Luxembourg, les enquêtes s’arrêtaient. Je pensais alors que l’argent était sans mémoire, qu’il n’y avait pas de trace une fois passée la frontière. C’est après avoir lancé l’appel de Genève avec sept magistrats européens qu’un informateur m’a expliqué le fonctionnement des chambres de compensations internationales. C’est comme ça que j’ai découvert l’existence de ces lieux où l’information financière est concentrée, où l’on peut retracer l’itinéraire des flux.

Comme Julian Assange, 
ces découvertes vous ont valu des tentatives de dissuasion virulentes…

Denis Robert. Il ne faut pas tout mélanger. La deuxième affaire, celle des listings truqués, est venue polluer la première. J’étais filé par la DST, perquisitionné, photographié lors de mes déplacements à Paris. Mon portable, celui de mes filles et celui de ma femme étaient sur écoute, mes ordinateurs ont été piratés… Le problème, c’est que ce genre de procédés vaccine les gens de l’envie de se confier à vous. Le pouvoir a tout intérêt à communiquer là-dessus. Et nous, tout intérêt à résister.

Quel regard avez-vous porté 
sur l’affaire Bettencourt, 
à la faveur de laquelle 
les journalistes, notamment ceux de Mediapart, ont subi les mêmes méthodes d’intimidation ?

Denis Robert. À la différence près que Mediapart a eu beaucoup de soutien dans la presse, même si ça n’a pas été évident au début. Beaucoup ont souhaité que Plenel se plante. Les journalistes d’investigation sont une espèce à part dans la profession. La solidarité est plutôt rare. La preuve, lorsque Mediapart a publié une partie des écoutes, des voix se sont élevées, au Monde ou à France Télévisions, en disant : « On était au courant mais on ne les a pas sorties parce que ce n’était pas légal ou moral. » Alors que c’était vraiment pertinent, et que l’équipe de Mediapart avait sélectionné ses informations avec un certain recul.

Comment expliquer qu’une aussi large frange de la profession vous ait lâché pendant l’affaire Clearstream ?

Denis Robert. Beaucoup ont sans doute agi par peur… Tout ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui, parmi ces gens-là, certains ne sont pas fiers et baissent les yeux quand ils me croisent. Mais le plus dur pour moi, c’est quand mon livre, Clearstream, l’enquête, a été retiré des librairies, en 2008. Cette censure n’a fait hurler personne. C’est là qu’on s’aperçoit qu’il est plus facile de dénoncer le musellement de la presse en Roumanie que de regarder ce qui se passe chez soi. C’est ce qui m’a le plus affecté dans cette histoire. Ce silence. Après, quand vous vous retrouvez devant un clavier, vous vous dites : « Putain, ce que je vais écrire risque d’être interdit. » C’est pour ça que le combat que je mène depuis des années pour la vérité dans le dossier Clearstream est symbolique mais fondamental.

L’affaire Clearstream restera-t-elle 
le point nodal de votre carrière ?

Denis Robert. Pour les autres oui, pas pour moi. J’ai écrit beaucoup de livres avant et j’en écrirai après. Mon plus gros succès de librairie n’est pas Clearstream mais un livre érotique, le Bonheur, vendu à 200 000 exemplaires dans une quinzaine de pays. Tant financièrement qu’intellectuellement, je vivais mieux sans cette affaire. Mais je veux pouvoir me regarder le matin dans une glace sans baisser les yeux. Plus on me menacera, moins je me soumettrai. Ce n’est pas parce que j’ai mille moutons qui disent que je me suis trompé que je vais accepter cette idée. D’ailleurs, l’histoire me donne raison : Madoff avait un compte à Clearstream. Idem pour la société Eurolux dans l’affaire Karachi. On parle aujourd’hui de réguler le capitalisme, mais pour y parvenir, le meilleur moyen serait de contrôler les chambres de compensation internationales. Tant que ça ne sera pas le cas, les journalistes devront continuer à y mettre le nez coûte que coûte… Quitte à déranger les petits secrets des banquiers.

Entretien réalisé par Flora Beillouin

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