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10 février 2013

TUNISIE. Meurtre de Chokri Belaïd : à qui profite le crime ?

Le NOBS

 

Modifié le 07-02-2013 à 20h30

13 réactions | 5868 lu

Temps de lectureTemps de lecture : 3 minutes

Édité par Henri Rouillier  Auteur parrainé par Hélène Decommer

Manifestation de protestation contre le meurtre de Chokri Belaid, le 6 février 2013 à Tunis (FETHI BELAID/AFP)

Manifestation de protestation contre le meurtre de Chokri Belaid, le 6 février 2013 à Tunis (FETHI BELAID/AFP).

 

Il est étonnant qu’à peine l’assassinat de Chokri Belaïd commis hier matin à Tunis, devant son domicile, il y ait eu une foule pour désigner islamistes et salafistes comme responsables de ce crime. Le propre frère de la victime, Abdelmajid Belaïd, a d’ailleurs nommément accusé le chef du gouvernement Rached Ghannouchi.

Ces derniers sont sans doute parmi les suspects possibles, et même probables, mais n’est-il pas plus judicieux d’attendre l’enquête ? D’autres, notamment les caciques de l’ancien régime, pourraient en effet avoir autant intérêt à semer "le chaos d’où jaillirait l’ordre".

 

Un engagement de chaque instant

Chokri Belaïd, se sachant menacé, avait pourtant demandé une protection. Car cet avocat dénonçait régulièrement les dérives de la justice et les dangers de la violence politique, jusqu’à la veille même de son meurtre, invité sur un plateau de télévision. Ayant rejoint, avec son parti des Patriotes démocrates, l’opposition du Front populaire, il avait trouvé ses mots justes et pertinents pour dénoncer les dévoiements d’un islam radical porté par les islamistes d’Ennahda, majoritaires dans le gouvernement de coalition.

Il avait courageusement pointé du doigt l’entraînement militaire auquel se livrent ces "faux musulmans", que le Prophète désignait par le terme de mounâfiqoun (hypocrites) ; rapporté des témoignages de familles dont les enfants étaient recrutés à coups d’arguments sonnants et trébuchants par ceux-là mêmes qui cherchaient de plus en plus à instrumentaliser l’islam.

Il avait également dénoncé l’envoi de ces jeunes combattants en Syrie, auprès de la tendance islamiste des insurgés, pour lutter contre le régime Assad au nom du jihad. Député, représentant de la nation, il était devenu l’ossature de l’aspiration laïque des Tunisiens. Ce qui n’est pas aujourd’hui le cas d’une bourgeoisie tunisienne cherchant à justifier, pour s’adapter aux circonstances, une islamisation rampante du pays : "Après tout, la Tunisie est un pays musulman…" 

C’est jeter aux oubliettes la longue bataille des Tunisiens pour l’accès à un enseignement d’excellence, l’égalité des femmes et des hommes aux yeux de la loi – et non la complémentarité entre les sexes, comme cherchent à le promouvoir les islamistes.

 

Laxisme à l'encontre des salafistes

La mort de Chokri Belaïd s’inscrit aussi dans l’attitude laxiste du nouveau régime vis-à-vis des salafistes, les autorités se refusant à condamner leurs procédés, les justifiant même maladroitement (comme l’invasion d’une exposition d’art contemporain en juin 2012). Les tergiversations du parti au pouvoir craignant d’être débordé par un fascisme populiste ont fini par choquer les Tunisiens et les dresser contre Ennahda et ses dirigeants, Rached Ghannouchi et le Premier ministre Hamadi Jebali.

Malgré les mouvements de violence qui ont déferlé hier dans les rues tunisiennes, il n’en reste pas moins que la transition pouvait être relativement bien perçue en Tunisie. La crise socio-économique peut néanmoins faire craindre une manne de dollars en provenance du Qatar et d’Arabie-Saoudite, non seulement à destination des partis islamistes et des groupes salafistes, mais également pour rendre les institutions financièrement dépendantes.

L’irruption d’une violence latente dans la vie politique tunisienne va à l’encontre de la mentalité et des traditions de ce pays, comme l’a rappelé le président Moncef Marzouki, en écourtant sa visite en France ; elles risqueraient de dénaturer profondément la révolution du Jasmin et de transformer le printemps tunisien en un hiver sibérien. Les prochaines élections et la constitution d’un "gouvernement transitoire de technocrates" promises par le Premier ministre suffiront-elles à éteindre le feu, d’autant que nombreux sont ceux qui ont plutôt intérêt à l’attiser ?

Aux oiseaux de mauvais augure, faut-il rappeler qu’une révolution ne se fait pas du jour au lendemain, et qu’en Tunisie comme en Égypte, le processus est toujours en marche ? Une telle transformation a besoin de temps pour s’ancrer et toucher à la fois les institutions de l’État et la société entière ; il a fallu à la République française près de deux siècles pour devenir un acquis définitif.

 

 

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