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31 mars 2013

Chypre: une exception?

Sur MEDIAPART

Une petite économie ne représentant que 0,2% du PIB de la zone euro et ayant adopté la monnaie unique il y a seulement cinq ans vient d’être le théâtre d’un tournant majeur de la crise européenne. A Chypre, la concurrence fiscale et la libre circulation des capitaux viennent sous nos yeux d’engendrer leur contraire, la taxation et le contrôle.

Un tel processus n’a rien d’extraordinaire. « Qu'un phénomène détruise à la longue le facteur qui en est la cause, ce résultat ne peut être une absurdité que pour l'usurier hypnotisé par le taux élevé de l'intérêt. La grandeur des Romains fut la cause de leurs conquêtes et leurs conquêtes provoquèrent la décadence de leur grandeur. La richesse est la cause du luxe et le luxe a une action dissolvante sur la richesse » (K. Marx, Le Capital, III). Aujourd’hui, Wolfgang Schaüble, prétend que « Chypre est et restera un cas exceptionnel ». Il est urgent de populariser l’exception que le ministre allemand des Finances tente d’exorciser.

Chypre et ses banques

Chypre est un paradis fiscal. Le taux d’imposition des sociétés y est le plus faible d’Europe et les formalités administratives y sont très légères. Dans cette île prolifèrent des sociétés écrans servant au blanchiment d’argent. On y trouve aussi de riches capitalistes grecs et russes qui ne sont pas nécessairement mafieux. Ayant ainsi bénéficié d’afflux de capitaux colossaux, le secteur bancaire chypriote a vu ses actifs croître jusqu’à représenter huit fois le PIB du pays.

Or, en juin 2012 le gouvernement chypriote a demandé un prêt de l’Union Européenne et de du FMI. L’objectif était double : financer le déficit public à un taux d’intérêt inférieur à celui pratiqué sur le marché secondaire et recapitaliser les banques locales au bord de la faillite. Ces dernières avaient accordé des crédits à des entreprises qui, du fait de la récession, ne pouvaient plus rembourser. Les banques chypriotes avaient en outre subi des pertes importantes sur les titres souverains grecs qu’elles avaient achetés. En 2012, ces titres ont en effet fait l’objet d’une décote dans le cadre d’un plan d’échange de titres qui avait été décidé au sommet européen de juillet 2011. En clair, les banques chypriotes ont dû troquer leurs obligations publiques grecques contre des titres plus sûrs mais à valeur beaucoup plus faible et de durée plus longue. Elles y ont perdu environ 4,5 milliards d’euros. Pour compliquer le tout, les banques chypriotes détiennent une grande partie des titres de la dette publique chypriote. Dans ces conditions, le prêt de 2,5 milliards accordé à Chypre par la Russie en 2011 ne suffisait plus.

 

Les créanciers des banques sont les déposants

L’Islande est un autre exemple de petit pays dont le secteur bancaire était hypertrophié. Mais, comme l’explique Richard Milne dans le Financial Times du 21 mars 2013, « à la différence de l’Islande où les banques avaient émis beaucoup de titres, les prêts chypriotes sont presqu’entièrement couverts par les dépôts ».

Cette différence essentielle a une première implication économique. Dans le cas chypriote, les créances sur les banques sont essentiellement détenues sous forme liquide, ce sont des dépôts à vue qui peuvent disparaître si leurs propriétaires se ruent au guichet des banques ou effectuent des virements. En revanche, en Islande, les créances sur les banques étaient détenues sous formes de titres qui pouvaient éventuellement être convertis en monnaie… s’ils trouvaient preneur. Avec la crise, la conversion de ce capital fictif en monnaie impliquait une dévalorisation. A Chypre, c’est directement la monnaie elle-même qui doit être ponctionnée, ce qui mine un peu plus la confiance dans l’euro.

Ce point essentiel découle des caractéristiques du système bancaire chypriote. Comme l’explique très bien Christian Chavagneux, du magazine Alternatives Economiques, « avec un ratio crédits/dépôts de 100%, les banques chypriotes n’ont pas besoin d’aller chercher des financements sur le marché, ce qui les rend à priori moins fragile à une crise de liquidités. Sauf que : d’une part, si on fait le ratio crédits/ dépôts domestiques on est plutôt à 180 ou 200%, ce qui fait que tout départ des déposants étrangers est vite catastrophique […] D’autre part, le financement obligataire des banques ne pèsent que 1,3 % de leur financement. Inutile donc d’appeler à faire payer la crise par un ‘bail in’ des créanciers, il n’y en a pas ! ». Le « bail in » est un sauvetage financé par ceux qui possèdent des titres de propriété (actions) ou des titres de créance (obligations) sur la banque. C’est la deuxième implication économique : on ne peut pas résoudre la crise chypriote en annulant ou réduisant la dette des banques chypriotes, sauf à réduire leur dette vis-à-vis… des déposants.

 

Qui faire payer ?

Les banques chypriotes détiennent 68 milliards d’euros de dépôts, ce qui représente 380% du PIB. Ces dépôts étaient rémunérés par des taux d’intérêt particulièrement élevés. Le plan annoncé le 18 mars, qui sera finalement refusé par le Parlement chypriote, prévoyait de taxer tous les dépôts (6,75% en-deçà de 100 000 euros et 9,9% au-delà). Ce plan engageait la responsabilité du Président chypriote mais aussi celle des autorités européennes. Le Président de l’Eurogroupe, M. Djisselbloem, l’avouera : « Je n'ai pas empêché la taxe sur les petits dépôts, parce que c'était un compromis ».

En France, les organisations de gauche ont toutes critiqué cette mesure. Beaucoup d’entre-elles ont  dénoncé un racket et revendiqué, à juste titre, que ne soient taxés que les gros comptes. Mais Attac, qui a également jugé la mesure « inacceptable pour les petits et moyens déposants », a en outre regretté que ce plan épargne « les actionnaires des banques européennes, qui ont imprudemment prêté aux banques chypriotes ». De même, le Monde Diplomatique a publié un article déplorant que l’on ne cible « ni les actionnaires, ni les créanciers des banques endettées, mais leurs déposants ». Or la mise en œuvre de ces revendications ne résoudrait pas le problème car les prêts aux banques chypriotes ne représentent pas grand-chose. Quant aux actionnaires, ils vont finalement y laisser des plumes mais comme c’est loin de suffire le gouvernement est justement en train de transformer les gros déposants en actionnaires. Il y a d’excellentes raisons à vouloir taxer ou socialiser les banques mais relier de telles revendications à la crise chypriote est très maladroit.

Finalement, le plan du 25 mars organise la faillite de la deuxième banque du pays, Laiki, et la taxation des seuls dépôts supérieurs à 100 000 euros (le taux serait « d’environ 30% » pour les clients du plus grand établissement du pays, Bank of Cyprus). Les actionnaires et créanciers de Laiki ne reverront pas leur capital. Les gros clients des deux banques verront 37,5% de leurs dépôts convertis en actions. 22,5% supplémentaires seront menacés jusqu'à ce que les autorités sachent si elles parviennent à rassembler 5,8 milliards d’euros. Les 40% restants seront versés sur un compte bloqué pour une durée de 6 mois. Après la réouverture des banques, le contrôle des capitaux – autorisé par l’article 65-B du traité de l'UE pour « des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique » - est maintenu.

 

Un bon principe : les dettes privées ne sont pas transférées à l’Etat

Ce volet bancaire est bon car il fait payer les plus riches déposants plutôt que de socialiser les pertes. Si les autorités avaient procédé comme en Irlande, la dette publique chypriote serait passée de 87% à 150% du PIB. En outre, la méthode employée pour restructurer le secteur bancaire crée un précédent : on discrimine parmi les épargnants, on contrôle les capitaux, etc.

Plus du quart des dépôts bancaires et environ un tiers des investissements étrangers étant d'origine russe, Dimitri Medvedev a forcé le trait en parlant « d’expropriation, de confiscation sans précédent » et en comparant la taxation des dépôts « à certaines décisions prises à une certaine période par le pouvoir soviétique qui traitait l’épargne des gens sans états d’âme ».  S’il est totalement ridicule de comparer ce qui arrive aux gros clients des banques chypriotes avec le « prodrazvyorstka » du communisme de guerre ou avec la collectivisation soviétique des années 1930, cette mesure est sans précédent dans la gestion de la crise de l’euro.  Comme l’explique Michel Husson, « les institutions européennes légitiment un projet consistant à faire payer la crise à ceux qui ont profité du capitalisme financier ».

Pour le Monde Diplomatique, « l’embarras de certains ministres européens trahissait peut-être leur crainte d’avoir démenti sans le vouloir trente ans d’une ‘pédagogie’ libérale qui a fait de l’impuissance publique une théorie de gouvernement. Ils ont ainsi légitimé d’avance d’autres mesures un peu rudes. Elles pourraient un jour déplaire à l’Allemagne ». Cette dangereuse ruse de l’histoire a bien sûr été perçue par les dirigeants européens. A peine le président de l’Eurogroupe avait-il expliqué que désormais tous les sauvetages bancaires seraient financés par « les actionnaires et les créanciers obligataires » et  « si nécessaire, les détenteurs de dépôts non garantis » qu’il a du se rétracter. Benoit Coeuré, de la BCE, a expliqué dès le lendemain que « M. Djisselbloem a eu tort de dire ce qu'il a dit ».

Economiquement, la méthode appliquée à Chypre est susceptible d’engendrer une panique parmi les gros déposants espagnols et italiens et d’accélérer ainsi la fuite des capitaux. Certains économistes craignent donc que ce plan « radical, voire trop » ouvre « la boite de Pandore ». Ce n’est pourtant pas de Pandora qu’Épiméthée devrait se méfier : politiquement, qu’il contribue ou non à l’implosion de l’euro, le volet bancaire est très bon. Il n’en demeure pas moins que le plan d’ensemble est inacceptable parce qu’il contient d’autres volets, purement régressifs, et parce que le processus dont il est issu renforce l’arsenal anti-démocratique déployé pour maintenir la domination du capital des pays du « centre ».

 

L’austérité, encore et toujours

Au terme de l’accord du 25 mars, la restructuration du secteur bancaire chypriote doit s’accompagner de la signature d’un protocole d'accord avec la troïka (UE, BCE et FMI) prévoyant une hausse de l'impôt sur les sociétés à 12,5% et un doublement du taux d’imposition des intérêts bancaires. Cela va dans le bon sens même si la première mesure demeure très timide. Mais ce protocole contiendra aussi des réformes structurelles libérales privatisant le patrimoine public, rognant la protection sociale et les salaires des fonctionnaires.

Les mesures d’austérité vont accélérer la chute du PIB (-2,5% en 2012) alors même que le taux de chômage est de 14,7% et que la nécessaire réduction du secteur bancaire se soldera par des licenciements massifs. Comme l’explique un des Economistes Atterrés, « autant on peut approuver le volet bancaire, autant on peut regretter le retour de cette troïka profondément antidémocratique, qui décide à la place des peuples, impose un tournant libéral, lutte contre la protection sociale ».

 

Une Europe de plus en plus autoritaire

Ce plan résulte d’un coup de force de la BCE. Il est légitime qu’un gouvernement ferme les banques si besoin mais il est scandaleux que la BCE exerce un chantage sur celui-ci. Comme le rappelle La Tribune, « l'institution de Francfort, en menaçant voici une semaine de couper l'accès au programme d'accès urgent à la liquidité connu sous son acronyme anglais ELA, a placé le gouvernement chypriote dans la situation d'accepter un accord avant lundi dernier, au risque de se retrouver de facto en dehors de la zone euro. Ce véritable ultimatum de la BCE a été un élément clé de la crise chypriote ».

Aujourd’hui ce sont les dirigeants capitalistes des pays périphériques qui sont confrontés à ce type d’ultimatum. La BCE a ainsi « gravé dans le marbre la division au sein de la zone euro entre deux catégories de membres. Ceux qui ont un parlement que l'on doit écouter et dont on doit prendre en compte les décisions, et ceux qui ont un parlement que l'on doit faire taire » (La Tribune, suite). Comme l’a révélé le Financial Times, le gouvernement néerlandais n’a pas du tout fait l’objet du même traitement de la part de la BCE lorsqu’il a été confronté au risque de faillite de SNS Reaal.

En revanche, il est clair que tout gouvernement de transformation sociale, quelle que soit la taille de son économie, serait confronté aux menaces de rétorsion qui ont été employées à l’encontre du gouvernement chypriote. Il ne suffit pas d’affirmer « qu’aucune décision ne peut être prise sans la France » pour évacuer le problème. Ni d’agiter la perspective de la sortie de l’euro, ce qui est parfaitement contreproductif en raison du risque de légitimation des nationalismes mais aussi de celui d’exposition à des mesures de rétorsions économiques plus graves encore qu’au sein de l’euro. Et comme l’explique Michel Husson, la sortie de l’euro ne peut être un préalable : « La rupture avec les règles européennes ne se fait pas sur une pétition de principe, mais à partir d’une mesure juste et légitime, qui correspond aux intérêts du plus grand nombre et qui est proposée comme marche à suivre aux pays voisins ».

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