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18 avril 2013

Delapierre (P.de G.) : « Il faut changer de régime en bloc et en détail »

 Sur MEDIAPART

 

Dans la perspective de la marche pour une VIe République à laquelle le Front de gauche a appelé pour le 5 mai, Mediapart a demandé à François Delapierre, conseiller régional d'Île-de-France et secrétaire national à la bataille idéologique du Parti de gauche, de préciser les contours de ce que pourrait être à ses yeux un nouveau régime, au-delà de la seule constituante prônée par le Front de gauche.

Fidèle lieutenant de Jean-Luc Mélenchon, dont il était membre du cabinet quand ce dernier était ministre de l'enseignement professionnel, Delapierre livre aussi son analyse de la période politique actuelle. Celui qui a récemment traité Pierre Moscovici de « salopard » s'explique enfin sur la stratégie du conflit de Jean-Luc Mélenchon. Entretien.

Que pensez-vous du “choc de moralisation” annoncé par le gouvernement à la suite de l’affaire Cahuzac ?

François DelapierreFrançois Delapierre

Il y a deux interprétations possibles. Soit nous sommes face à une diversion “attrape-nigaud” sur le thème de la transparence, afin d’éviter les causes fondamentales de l’affaire Cahuzac réduite à un problème individuel. Ce qui est d’ailleurs paradoxal, puisqu’en appelant les élus à rendre public leur patrimoine, on jette la suspicion sur l’ensemble du personnel politique. Soit Hollande est vraiment convaincu que les choses vont finir par revenir à la normale et estime que l’affaire Cahuzac n’est qu’une crise passagère. La publication des patrimoines est en tous les cas un formidable rideau de fumée, destiné à occuper la presse en lui donnant l’occasion de publier des palmarès dont elle est friande et de nourrir un feuilleton politique toujours plus pipolisé.

Seulement, la crise de la Ve République ne commence pas avec Cahuzac. Avant cet événement, la popularité du pouvoir était déjà au plus bas et l’abstention au plus haut. Le constat du dérèglement institutionnel avait été fait par Hollande lui-même, au point qu’il se proposait comme un “président normal”. Les écologistes avaient eux aussi préféré pour les représenter dans la présidentielle une juge anticorruption à une personnalité écolo.

Or la proposition du candidat Hollande s’est révélée, comme nous le pensions, insuffisante. Le changement de président n’a pas suffi. Il ne s’agissait déjà pas du problème d’un homme, mais de la faillite d’un système. L’idée que l’on pourrait circonscrire l’incendie est donc tout à fait irréaliste. La Cinquième République ne se relèvera pas. Il faut changer de régime en bloc et en détail. L’acharnement thérapeutique ne peut que retarder l’échéance en conduisant à des formes de survie pathologiques.

François Hollande a néanmoins fait plusieurs propositions concrètes. Qu’en pensez-vous ?

Vous pensez à la création d’un parquet financier ? Mais les sections financières existent déjà et les placer désormais sous l’emprise d’un procureur unique réduira leur indépendance.
La haute autorité indépendante pour contrôler le patrimoine des ministres et des élus ? Elle existe déjà sous un autre nom.
La publication de la liste des filiales des banques dans les paradis fiscaux ? On sait déjà que les banques françaises ont 517 filiales dans les paradis fiscaux, et que leur nombre a progressé de 10 % entre 2010 et 2012.

Le problème n’est pas celui de la transparence. Il faut poser des limites à la circulation des capitaux. Or c’est interdit par les traités européens. Les États-Unis ont fait reculer le secret bancaire en menaçant la Suisse de bloquer les transactions avec ce pays. François Hollande n’a pas cette audace.

Le Front de gauche et Jean-Luc Mélenchon sont d’habitude réticents à porter haut la lutte contre la corruption, comme pouvait le faire par exemple Eva Joly. Pourquoi ?

Nous ne dissocions pas la corruption de ses racines sociales et politiques. Par nature, les concentrations faramineuses de richesses dans quelques mains sont corruptrices. Par exemple, on voit bien combien dans l’entourage de Liliane Bettencourt, personne ne se comporte normalement, du majordome à la comptable, en passant par la fille… La corruption se nourrit aussi de l’irresponsabilité à laquelle est parvenue une petite caste oligarchique, regroupant acteurs du monde politique, économique et médiatique, formés dans les mêmes écoles. Or pour en finir avec la dérive oligarchique, la police et la justice ne suffisent pas, bien sûr il faut qu’elles puissent faire leur travail, mais c’est au peuple de s’en mêler.

Vous avez récemment qualifié Pierre Moscovici comme étant l’un « des 17 salopards » de l’Eurogroupe à avoir contraint la Chypre à un plan de sauvetage. Jean-Luc Mélenchon ponctue quasiment toutes ses interventions par “Du balai !” Pourquoi dans le contexte de crise actuelle ne pas prendre la hauteur, y compris dans le langage ? Est-ce parce que la provocation crée de la démarcation, notamment avec les socialistes ?

La vigueur de l’interpellation a obligé Moscovici à répondre et à se justifier sur le fond du dossier chypriote. Jusqu’à présent, il traitait par le mépris les demandes de débat formulées poliment. Je trouve d’ailleurs sa réponse plus éclairante qu’il n’y paraît : “Qu’il soit de droite ou de gauche, un ministre n’est jamais un salopard.” Cette auto-absolution de la caste par elle-même nous fait mieux comprendre les difficultés qu’il a eues à trouver les comptes de Jérôme Cahuzac !

L’emploi du terme “salopard” réintroduit de la morale en politique. Personne n’avait alors interrogé Moscovici sur son vote. Aucun compte-rendu n’est fait des réunions de l’Eurogroupe. L’Europe austéritaire fonctionne car ses rouages évacuent toute responsabilité personnelle. Moscovici et les autres ne voient jamais les conséquences concrètes de leur politique. C’est ce que j’ai voulu lui jeter à la figure. Bien sûr, c’est choquant. Car nous voudrions croire qu’un ministre n’est jamais un salopard. Cette convenance est un de ces liens qui nous rattachent à l’ordre établi. Il faut s’en émanciper. Je suis fasciné par l’épisode de la fuite du roi à Varennes. C’est une chose de dénoncer la monarchie en général. Mais imaginez l’effort qu’il a fallu faire pour bloquer physiquement le roi. Il fallait auparavant que le despote ait été désacralisé. Des surnoms, des caricatures ont pu y contribuer. Représenter Louis XVI en serrurier, c’était commencer à renverser le monarque.

Avant de dire “Dégage” à Ben Ali, les Tunisiens ont d’abord appelé son régime la « kleptocratie », le gouvernement des voleurs. Pour changer les choses, il faut mettre des mots dessus.

   

Vous appelez le 5 mai à une marche pour la VIe République, mais beaucoup parmi les socialistes ou les écologistes, et même parmi les communistes, redoutent une « manif de gauche contre la gauche ». Le « coup de balai » n’est-il pas contreproductif et contradictoire, quand on veut fédérer une alternative ?

 

Je ne partage pas ce sentiment. L’appel à manifester le 5 mai est déjà plus large que le 30 septembre dernier contre le TSCG, puisque les mêmes forces politiques se retrouvent et que nous comptons déjà en plus Eva Joly. Le balai est une image extrêmement rassembleuse, qui était utilisée dans les années 1920 et 1930 par les communistes aussi bien que la SFIO, et il y a deux ans par Ségolène Royal.

 

Au-delà de votre appel à un changement de régime, quy a-t-il pour vous derrière le slogan de la VIe République ? Une fois l’assemblée constituante convoquée et avant l’adoption par référendum d’une nouvelle constitution, le Front de gauche devra se présenter à la constituante avec un projet institutionnel afin de s’y faire élire. Quel serait ce projet ?

 

Personne ne sait ce que sera la VIe République. Elle sera l’œuvre de la Constituante élue par le peuple. L’incertitude est un principe démocratique ! Mais c’est aussi une source d’inquiétude pour ceux qui se disent avoir plus à perdre qu’à gagner dans un changement.

 

Une Constitution doit assurer la souveraineté du peuple. Celle-ci s’exerce le plus souvent par le biais de ses représentants. C’est pourquoi il est essentiel d’organiser la responsabilité des élus devant les citoyens. Ce n’est actuellement pas le cas de la Ve. L’irresponsabilité du président est sa clé de voûte. Cette impunité suprême imprègne le régime.

 

Ensuite, la VIe République doit organiser la souveraineté du peuple dans les conditions de notre époque. Nous ne sommes plus en 1958. Il n’y avait alors que trois chaînes de radio et une seule de télévision. Le pluralisme des médias et le droit à l’information s’organisent dans des conditions nouvelles. Les menaces ne sont plus les mêmes. Hier, c’était surtout l’invasion étrangère. Aujourd’hui il y a la prise d’otage par le système bancaire. Les actifs des banques pèsent quatre fois la richesse du pays. Il faut se protéger en assurant la séparation bancaire. Ces institutions correspondent à une France traditionnelle, rurale, patriarcale, où l’on ne faisait pas d’études longues, où l’autorité de l’homme le plus âgé ne se discutait pas, où la conscience d’une catastrophe environnementale n’existait pas. De plus, le temps politique s’est accéléré et quand on voit les bouleversements qui se produisent, il apparaît anachronique de ne voter que tous les 5 ans.

 

Vous évoquez ainsi un référendum révocatoire…

 

La souveraineté populaire doit être permanente, et c’est pour cela que nous défendons le référendum révocatoire, qui existe déjà dans certains des États-Unis Amérique, en Équateur ou au Venezuela. Dans le cas concret de Jérôme Cahuzac, ce serait un moyen pacifique et démocratique d’empêcher son retour à l’Assemblée, plutôt que les pleurs de François Hollande et Harlem Désir. Ce référendum pourrait concerner tous les élus à tous les échelons, et prendrait la forme d’une collecte de signatures, disons entre 10 et 20 % du corps électoral concerné, avant un vote à majorité simple. Bien sûr, il faudrait un délai minimal avant de pouvoir l’enclencher.

 

La responsabilité doit aussi s’appliquer aux autorités dites indépendantes. Par exemple, le gouverneur de la banque de France ou le directeur de l’audiovisuel public, dont les nominations doivent être démocratisées. Ces gens-là doivent être responsables, pas directement devant le peuple car ils ne sont pas élus par lui, mais au moins devant les parlementaires.

Et au-delà, quels principes constitutionnels défendez-vous dans un changement de régime ?

Dans tous les domaines, il faut donner du pouvoir au peuple pour faire prévaloir l’intérêt général.
Comment assurer la transition écologique de notre mode de production qui est le défi majeur de notre temps ? Les salariés doivent voir leur pouvoir de contrôle accentué. Ils connaissent les processus de production. On le voit dans les récents scandales ayant touché l’agroalimentaire. On ne peut pas mettre un agent d’hygiène derrière chaque quadrupède. Ce serait 1984 ! On a vu que chez PIP beaucoup se doutaient des dangers des prothèses. Mais ils ne peuvent rien dire. Des droits effectifs dans l’entreprise doivent être garantis. Comme doit l’être la protection des ressources environnementales. Lors de constituantes récentes, en Amérique du Sud ou en Islande, la préservation de la nature et de ses ressources a été au cœur des nouveaux textes fondamentaux.

La relation au cadre européen est tout aussi cruciale. Comme en Irlande, tout transfert de souveraineté devrait être soumis à référendum.
Cela aurait rendu impossibles les adoptions contre l’avis du peuple du traité de Lisbonne ou, plus récemment, du TSCG. Cela aurait en tout cas obligé les dirigeants à tenter de convaincre le peuple à changer d’avis. Et cela renforcerait la France dans l’Union, de la même façon qu’Angela Merkel utilise les votes du Bundestag pour faire pression sur les autres États membres.

 

François Delapierre et Jean-Luc Mélenchon, à la fête de l'Humanité en 2009François Delapierre et Jean-Luc Mélenchon, à la fête de l'Humanité en 2009© Thomas Seymat

 

D’un point de vue plus concret, quelle architecture institutionnelle défendez-vous ? La VIe République du Front de gauche continuerait-elle à élire un président ? La proportionnelle serait-elle intégrale ? Le non-cumul des mandats serait-il absolu ?

Le sujet le plus important pour nous est celui de la proportionnelle, car c’est le mode de scrutin le plus politisé, le moins personnalisé.
Nous voulons aussi rompre avec ce président qui concentre l’essentiel des pouvoirs, car une personne seule est moins intelligente qu’un collectif. Nous sommes pour établir la prééminence du Parlement, car il est le lieu de la décision collective et de la publicité des débats.

Je suis également favorable à un mandat unique pour les parlementaires et une limitation du cumul, mais cela ne répond pas à mes yeux au besoin d’une meilleure intervention citoyenne. Limiter le cumul, c’est surtout raccourcir la file d’attente pour tous ceux qui veulent être élus et n’attendent que cela.

Il y a d’autres moyens à explorer. Regardez par exemple la représentation dans les collèges et lycées. On y retrouve des conseillers généraux ou régionaux qui n’ont pas fait campagne sur les questions scolaires. Mieux vaudrait élire des représentants du secteur sur la base d’un programme clair. Pareil pour les transports publics, où l’on pourrait imaginer des représentants des usagers élus ou désignés sur le modèle des jurys populaires. Ou encore sur celui d’une très ancienne institution, les délégués départementaux de l’Éducation nationale. Plutôt que de tout concentrer dans les mains des actuels élus, mieux vaudrait multiplier les processus d’implication. L’enjeu principal d’un nouveau régime, c’est l’appropriation démocratique.

Quel est selon vous l’agenda politique d’un changement de régime ? Imaginons que le Front de gauche gagne les européennes. Cela vous donnera plus de députés européens, mais n’entraînera pas une VIe République…

La constitution de la Ve République ne prévoit pas le changement de régime, mais il y a des portes de sortie possibles. La solution la plus évidente est un référendum, soit à l’initiative du président, soit d’une majorité du parlement.
Aujourd’hui, ces conditions politiques ne sont pas réunies, même si un nombre non négligeable de parlementaires se disent favorables à la VIe République.

Mais nous sommes de toute façon convaincus de l’effondrement du système actuel, et cet effondrement ne s’inscrira pas dans le calendrier électoral. Le pouvoir est très affaibli, alors que le contexte nécessiterait qu’il soit très fort, pour faire pire encore puisque l’aggravation de l’austérité a été annoncée. C’est tout le drame du PS avec la perte de Cahuzac, qui était le seul à avoir la poigne et l’absence de sens moral nécessaires pour imposer l’austérité budgétaire.

Aujourd’hui, l’équation budgétaire choisie par Hollande est insoluble. Son refus de changer de cap le condamne à des bricolages et des coups de force. Mais comment croire que les ministres, les parlementaires ou les élus locaux accepteront de marcher à la baguette comme avant ? Le nombre important de députés PS ayant refusé de voter l’accord social (ANI) est un premier signe, comme le report de l’acte III de la décentralisation.

On a l’impression que c’est ce qui vous différencie des autres forces du Front de gauche : cette conviction inébranlable que le système va s’effondrer…

La machine va se bloquer. Vu son état de faiblesse, elle peut s’arrêter au moindre choc. Et nous ne sommes pas ceux qui affaiblissons le plus le système, c’est lui qui est en train de s’auto-détruire. Nous devons nous consacrer à faire émerger une alternative positive. Dans cette situation, la marche du 5 mai est la seule issue positive et concrète, et l’appel au peuple l’unique solution.

Si le 5 mai est un succès, il débordera tout, et en premier lieu ses initiateurs. Dans ce cas, nous n’aurons pas une manifestation traditionnelle, avec ses cortèges organisés par force politique ou syndicale, mais une marée citoyenne, comme en Espagne, où ceux qui se retrouvent prennent soudain conscience de leur force. Si le 5 mai est un succès, il connaîtra des répliques. Pour l’instant, le fleuve de la présidentielle est une rivière souterraine. S’il connaît une résurgence, d’autres initiatives auront lieu, dans toute la France, sous forme de marches ou autres. À la présidentielle nous nous étions jurés de rester ensemble jusqu’à la VIe République. Beaucoup d’électeurs nous ont entendus. François Hollande ne veut pas le voir. Mais ce que ces gens pensaient il y a un an, ils le pensent toujours. Contrairement au système médiatico-politique, le peuple n’a pas une mémoire de poisson rouge.

Vous semblez sûr d’être dans un processus pré-révolutionnaire, mais vous ne craignez pas de vous tromper d’analyse et d'être plutôt confronté en réalité à une situation de poussée réactionnaire ?

Je n’ai pas de vision mécaniste des choses selon laquelle l’avenir est déjà écrit. La thèse de la droitisation inéluctable est celle de François Hollande. Elle l’arrange, car elle le conduirait en cas d’échec à produire un dispositif plus à droite, de type grande coalition, gouvernement d’unité nationale ou cabinet de techniciens. C’est cela la séquence traditionnelle des événements, dans l’Europe austéritaire.

Le fond de l’affaire, c’est que les socialistes ne mènent pas la politique de leur majorité électorale. Si le pays se contentait de glisser à droite, Hollande ne serait pas aussi bas dans les enquêtes d’opinion.

 

 

 

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