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27 avril 2014

Annie Lacroix-Riz - "Boycotter n'est pas lutter? " (Réponse à une lectrice)

 

 

Chère lectrice,

 

Votre courriel sincèrement déçu et indigné mérite réponse sérieuse. Je suis grand-mère, comme vous, et autant que vous « soucieuse d’avenir ». Je suis également attachée au droit de vote, fruit des luttes populaires que j’ai fait connaître à mes élèves et étudiants et à certains de mes lecteurs. Je trouve cependant de plus en plus difficile d’en faire usage et me sens de plus en plus souvent contrainte de ne pas mettre de bulletin dans l’urne. N’ayant pu me débarrasser de la longue habitude, mûrement réfléchie, du vote pour le parti communiste français, je n’ai fait ainsi que prendre acte d’une déshérence que, comme nombre de membres ou anciens membres du PCF, je combats.

Si vous lisez mon dernier ouvrage, Aux origines du carcan européen, 1900-1960, vous serez moins choquée par l’idée qu’il n’y a rien à sauver de cette Europe du grand capital, à laquelle une majorité de Français a dit non en 2005, avis que la « gauche » et la droite de gouvernement se sont entendues pour bafouer. On ne change pas en entreprise bénéfique aux peuples une création exclusive, des origines à aujourd’hui, du capital financier. C’est une très grave responsabilité (parmi bien d’autres) de ce qui reste du mouvement ouvrier naguère combatif que de faire croire à ses mandants qu’un changement de l’intérieur est possible.

Le prétendu changement de l’intérieur, objectif que la CGT a fait valoir à ses membres pour les convaincre d’accepter l’adhésion à la Confédération européenne des syndicats issue de la « Confédération internationale des syndicats libres » (la CISL américaine de 1949) qu’elle a si longtemps combattue, a simplement aligné la Confédération, longtemps si combative, sur les syndicats non-combatifs. Cette ligne a privé les travailleurs français de leurs meilleures traditions de combativité syndicale et des résultats concrets de cette action contre « les empiètements pied à pied du capital ». Plusieurs décennies de reculs et d’échecs, la renonciation de fait à l’action, impliquant combat contre celle-ci de la direction confédérale, combat insidieux puis, et de plus en plus, ouvert : tel est le bilan du chimérique « changement » planifié depuis les années 1980 par certains des prédécesseurs de Bernard Thibaut, et consacré formellement depuis l’adhésion de 1999. Il est bien résumé par la publicité officielle de la CGT en faveur de l’ectoplasme « européen », que je vous cite (http://www.cgt.fr/-Confederation-europeenne-des-.html):

La Confédération européenne des syndicats (CES) a été créée en 1973 afin de défendre les intérêts des travailleurs au niveau européen et de les représenter devant les organes de l’Union européenne (UE). La CGT s’y est affiliée en 1999. L’incidence grandissante de la législation européenne sur la vie de tous les jours, a changé le cadre d’action des syndicats. Pour défendre leurs membres et négocier en leur nom efficacement au niveau national, ils doivent coordonner leurs activités et leurs politiques sur le plan européen. Pour influencer l’économie et la société au sens large, ils se doivent de parler d’une même voix et d’agir de concert au niveau européen. C’est la raison d’être de la CES. L’objectif de la CES : établir une UE avec une dimension sociale forte garantissant le bien-être de l’ensemble de ses citoyens. À l’heure actuelle, la CES regroupe 82 organisations membres de 36 pays européens, ainsi que 12 fédérations syndicales européennes, soit plus de 60 millions de membres, ainsi que des organisations ayant un statut d’observateur en Macédoine, en Serbie, et en Bosnie et Herzégovine La CES est un des partenaires sociaux européens et est reconnue par l’Union européenne, par le Conseil de l’Europe et par l’Association européenne de libre-échange (AELE) en tant qu’unique organisation syndicale interprofessionnelle représentative au niveau européen.

Vous pourrez comparer ce type de littérature avec les présentes réalités syndicales, avec ce que pensait la CGT de Frachon du « marché commun » germano-américain et avec l’action qu’elle menait contre cette machine à écraser les salaires, question que j’évoque dans le petit ouvrage susmentionné. Au « moins disant » salarial européen, « dumping social » fébrilement requis par le patronat et annoncé dès 1950 par nos hauts fonctionnaires, « européistes » (pour leur écrasante majorité) ou non, a correspondu ce « moins disant » syndical. Je vous épargne une démonstration sur le plan politique de « l’eurocommunisme », qui aboutirait à un constat identique.

Les monopoles bancaires nés du « capitalisme mondialisé » non pas récemment mais depuis les années 1880, fondateurs et maîtres de « l’intégration européenne », et remarquablement organisés, eux, aux niveaux national et européen pour combattre les salariés et casser les salaires, ne se transformeront pas en fées « sociales ». Le cas qu’ils font du scrutin est quotidiennement démontré à propos de « l’Europe », dont les institutions soumises au vote populaire comptent notoirement pour zéro ‑ et je ne parle même plus ici du non majoritaire dans certains pays, systématiquement foulé aux pieds, y compris avec le concours des représentations « nationales » de parlements-croupions (aucun parlement « européen » ne dispose du moindre pouvoir, à commencer par le nôtre, qui ne dispose depuis 1958 d’aucun droit, entre autres, en matière budgétaire).

Pensez-vous sérieusement que le boycott de l’Europe ou la résurrection du sigle CNR puisse valoir à ses partisans « la sympathie des media dominants » ou soit synonyme de « quête de place »? Vous savez comme moi que feu Stéphane Hessel, « européiste » d’origine, n’a obtenu de triomphe médiatique que parce qu’il appelait à s’« indigner » sans préciser contre qui il fallait s’indigner et agir, et parce que cette prétendue révolte ou révolution débouchait, qu’il en eût été conscient ou non, sur le mirage ou l’escroquerie de « l’Europe sociale ». Admettez que son courageux combat contre la politique d’apartheid qui frappe les Palestiniens lui a valu moins d’honneurs et d’éloges médiatiques.

Lequel d’entre nous attend de cet appel au boycott des prébendes, voire un accès équitable (ou un accès tout court) aux « médias dominants »? « Facilité  de la vague abstentionniste », écrivez-vous, pour qualifier un combat très difficile, au contraire : nombre d’électeurs qui appartiennent à la gauche se réjouiront d’apporter au « Front de gauche » ce qu’ils considèrent comme un vote de gauche efficace, puisque ce dernier leur promet obstinément une « Europe de gauche » ‑ et ils seront aussi indignés que vous par ce qu’ils prennent pour une désertion.

C’est des luttes populaires, auxquelles appellent « [mon] association de boycotteurs » et les groupements qui la composent, que tout dépend désormais, sachant que le boycott sera aussi pour chacun de ses partisans « un moment d’éducation populaire » et de lutte. Tout en respectant scrupuleusement les règles du travail scientifique, j’ai conçu l’ouvrage que je vous présente dans les pièces ci-jointes comme un instrument civique « d’éducation populaire ». Il est d’ailleurs d’autant plus légitime, du point de vue tant historique que politique, que l’université s’est engagée officiellement et de longue date dans la croisade idéologique « européenne ». Ne renoncez donc pas à me lire, même si c’est un peu contrariant sur le coup.

Puisque nous sommes toutes deux grands-mères, peut-être avez-vous comme moi conservé le souvenir de la campagne de Jacques Duclos de 1969 en faveur de l’abstention entre « blanc bonnet » et « bonnet blanc » : particulièrement combative, elle constitue un de mes meilleurs souvenirs militants. Sur le plan du combat électoral, assurément le meilleur, et de très loin.

Nous aurons peut-être l’occasion de reprendre, lors d’une rencontre de fin de conférence, cet échange. Je m’autorise à le communiquer à plusieurs de mes amis « boycotteurs », de même que vous avez librement communiqué votre protestation à mes éditeurs.

 

Bien cordialement,

Annie Lacroix-Riz

 

Merci de me préciser le sens, que je n’ai pas compris, de votre allusion à 1939, période, en effet, à laquelle ressemble la nôtre. La similitude est encore plus frappante, par nombre d’aspects, avec la longue ère d’abdications (ce pluriel est volontaire) du mouvement ouvrier international, France incluse, qui a précédé la Première Guerre mondiale. Cette faillite spectaculaire a suscité la réflexion et l’appel à l’action de Lénine avant, pendant et après la boucherie impérialiste de 1914-1918. Le renouveau, indéniable et rapide, qui a succédé à ce fiasco n’a pas été, vous en conviendrez, imputable au moindre scrutin : il a été la conséquence 1° de la terrible expérience de populations que leurs tuteurs, patronaux et étatiques mais aussi issus de leurs propres rangs, avaient si durablement dupées et 2° du vaillant combat des « minoritaires », si isolés en 1914.

 

 

 

Ce message d'Annie Lacroix-Riz est la réponse au message ci dessous: :



bonjour,

j’ ai lu vos livres et aidé à leur diffusion... D’où ma surprise de vous voir surfer sur la facilité  de la vague abstentionniste: après les municipales, elle sera haute et houleuse pour les élections européennes.
il y a des combats qu’il est plus confortable de ne pas mener... cela me fait penser à  1939...   mais qui d’autre que les vainqueurs actuels du capitalisme mondialisé y trouveront leur compte?
Quant au sigle CNR  dont votre association de boycotteurs se pare.... elle vous attirera la sympathie des média dominants, mais certains dans leur tombe...., en pièce jointe ce que nous diffuserons sur Pau le premier mai

Boycotter ce n’est pas lutter, donnez vous les moyens de présenter des listes et des propositions...une campagne électorale , c’est un moment d’éducation populaire.

 

Paule Lanta

grand mère soucieuse d’ a venir,militante associative, syndicale et politique de terrain....et porteuse de cette irremplaçable expérience que les VIP en place ou en quête de place feraient bien de prendre en compte

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