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28 juin 2014

Le Guen, de la Mnef lambertiste à l'alliance avec Valls

 Sur MEDIAPART

 

Le Guen, de la Mnef lambertiste à l'alliance avec Valls

|  Par Stéphane Alliès

Le secrétaire d’État aux relations avec le parlement est une pièce essentielle dans le dispositif de Valls, tout comme Cambadélis. Ces trois-là se connaissent depuis presque quarante ans. Ils n’ont cessé de se rapprocher au gré des intrigues étudiantes et des congrès socialistes.

 

Épinglé par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (lire notre enquête), Jean-Marie Le Guen est aujourd’hui en difficulté. Alors qu’on lui reproche d’avoir sous-évalué son patrimoine de 700 000 euros, la situation du secrétaire d’État aux relations avec le parlement porte un mauvais coup à la majorité et à son chef, Manuel Valls. Après l’affaire Cahuzac, un ministre du budget convaincu de fraude fiscale, puis l’affaire Aquilino Morelle, un conseiller élyséen influent pris en conflit d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques, c’est un nouveau coup dur pour l’un des plus ardents soutiers du pouvoir socialiste. Il concerne une nouvelle fois le rapport à l’argent.

Jean-Marie Le Guen (à droite, avec Manuel Valls) à l'assemblée.Jean-Marie Le Guen (à droite, avec Manuel Valls) à l'assemblée. © Reuters

Le Guen est le seul réel choix de Manuel Valls dans le gouvernement formé au lendemain des municipales. Jusqu’ici, François Hollande s’était tenu à distance du premier cercle des apparatchiks strausskahniens, comme de l’agence Euro-RSCG. Mais face à la situation politique catastrophique, et après une telle déroute électorale, le président pense ne pas avoir d’autre choix que de promouvoir son ministre de l’intérieur. Et celui-ci demande que l’un de ses proches, le député Jean-Jacques Urvoas, le remplace Place Beauvau. Refus élyséen : un compromis se fera sur Bernard Cazeneuve. Valls fait alors une nouvelle requête.

Le secrétaire d’État aux relations avec le parlement doit être quelqu’un qu’il connaît bien et qui prolonge le retour d’autorité qu’il entend imprimer sur une majorité qu’il veut refaçonner. Ce sera Jean-Marie Le Guen, qui avait été le responsable des questions de santé dans l’équipe de campagne de Hollande. Dans le même temps, Harlem Désir est exfiltré de la direction du PS pour un sous-maroquin aux affaires européennes. Seul candidat, Jean-Christophe Cambadélis s’installe au premier étage du siège de Solférino, secondé par le député Christophe Borgel et quelques proches de Manuel Valls (le nouveau porte-parole, son suppléant Carlos Da Silva, et le sénateur Luc Carvounas, responsables des relations extérieures du parti).

En vingt-quatre heures, Manuel Valls a su construire un dispositif réduit, mais avec les bonnes personnes aux postes cruciaux. Pas majoritaire au sein du PS, il se révèle ainsi capable d'en prendre le contrôle pour lui imposer un aggiornamento (lire ici), comme on s’empare d’une vulgaire AG de fac à l’Unef.

Pièce essentielle de ce dispositif, Jean-Marie Le Guen s’impose vite. Brutal, il est devenu la bête noire des députés PS dissidents, qu’il traite tour à tour de « soi-disant socialistes » ou de « gauchistes ». Sur la forme, il incarne au parlement, jusqu’à la caricature, le ton martial du premier ministre – Le Guen, va souvent beaucoup plus loin que son mentor, qui sait au moins y mettre les formes. Avant le vote du 29 avril sur la trajectoire budgétaire, il a longuement fait pression sur de nombreux députés tangeants.

« Il m’a appelé, ça a duré 45 minutes, lui a parlé 44 minutes ! » raconte un élu, le jour du vote de confiance sur la déclaration de politique générale de Valls. « Le Guen, c’est le candidat qui fait du porte-à-porte et dont tu dis : “Ouf, heureusement qu’il est passé, j’ai failli voter pour lui” », dit un autre. « C’est quand même un mec qui, au bout de cinq minutes de discussion, peut menacer de vous péter la gueule… », soupire un dirigeant du parti, quand un député écolo jure l’avoir vu dans les coulisses du Palais-Bourbon saisir au collet l’un des hésitants socialistes.

Lors des débats sur le budget à l’assemblée, Le Guen joue les vigies, l’œil braqué sur l’hémicycle, pour s’assurer que les “frondeurs” sont bien minoritaires. Et il déclenche des suspensions de séance pour tenter de discipliner les récalcitrants. La stratégie n’est pas toujours payante. Le 29 avril, 41 députés PS se sont abstenus, du jamais-vu. Faute de débats, les réunions du groupe PS à l’assemblée se vident un peu plus chaque mardi. À celles des Verts, Le Guen a carrément été interdit de présence.

 

 

De la prise de la Mnef à la conquête jospinienne du PS

Sur le fond, il applique et partage à la perfection son souhait de « dépassement de la gauche ». « Il théorise en permanence le post-socialisme », s’amusait, il y a quelques mois, Emmanuel Maurel, qui ne cachait pas pour autant avoir plaisir à se disputer avec Le Guen. Les partenaires de la gauche ne sont pas franchement la tasse de thé du secrétaire d’État. Il a passé toute l’avant-campagne municipale à tenter de dissuader Anne Hidalgo de s’allier avec les communistes dès le premier tour.

Cette même Hidalgo derrière laquelle il s’est finalement rangé, après avoir entretenu l’illusion de se présenter face à elle, lors d’une primaire qui n’a pas eu lieu. Comme il s’était préparé à concourir face à Bertrand Delanoë, à la fin des années 1990, avant d’en être empêché par le scandale de la Mnef (où il a été mis en cause avant de bénéficier d’un non-lieu).

À cette époque, Jean-Marie Le Guen est rattrapé par son passé militant. Et par ses alliances nouées vingt ans plus tôt avec une partie de ces « gauchistes » français qu’il abhorre tant désormais. Au mitan des années 1970, le jeune médecin mitterrandien est le chef des Jeunesses socialistes (alors sous l’autorité d’Edith Cresson, secrétaire national à la jeunesse du PS). La gauche anticommuniste est en plein émiettement, après la rupture du programme commun avec le PCF, en 1977, et le jeune Le Guen a pour mission de faire converger l’Organisation communiste internationale (OCI) des trotskystes lambertistes et le PS de Mitterrand. Pour ce faire, il va nouer une relation intime avec le nouveau chef de file des étudiants lambertistes, Jean-Christophe Cambadélis, dit Kostas.

Le camarade Kostas vient de remplacer Charles Berg, redouté bureaucrate exclu (et devenu le volubile producteur de cinéma Jacques Kirsner), à la tête du « secteur jeune » des « lambertos » (sous l'autorité de l'historien Benjamin Stora, alors lieutenant de Lambert). « Ce qui était effrayant chez Berg est devenu ludique et pour tout dire séduisant avec Jean-Christophe », résumait Jean-Marie Le Guen dans les colonnes du Monde, à l’occasion d’une remarquable saga sur la Mnef lamberto-mitterrandienne, publiée en 1999 (Histoire d’une génération, lire ici, ici et ici).

Ensemble, Le Guen et Cambadélis vont réunifier l’Unef non-communiste, sur le dos des trotskystes étudiants de la LCR, alors emmenés par Julien Dray. Le « deal » est passé au milieu de l’hiver 1978, dans le bureau d’André Bergeron (secrétaire général de FO), en présence de Pierre Lambert. Ce « Yalta étudiant » débouchera sur le congrès de Nanterre en 1980 et la création de l’Unef-id, puis, dans la foulée, la prise de la Mnef, débarrassée de la concurrence interne des chevènementistes du Cérès et des communistes. Suite logique de l’alliance : l’OCI soutient Mitterrand dès le premier tour de la présidentielle de 1981, et les militants de l’Unef-Id font la campagne. Lors de la fête de la victoire, à la Bastille, le service d’ordre est assuré par les lambertistes, et Cambadélis s’exprime à la tribune.

Jean-Marie Le Guen, en 1989.Jean-Marie Le Guen, en 1989.

Pour Jean-Marie Le Guen, c’est un long compagnonnage politique qui s’engage avec « Camba », qu’il estime alors être le « leader d’une génération ». À la Mnef, ils sont les deux chefs du conseil d’administration, mais aussi des employés fort bien rémunérés. Le Guen occupera les postes de directeur médical de la mutuelle de 1982 à 1993, puis de conseiller stratégique jusqu'en 1997 (son salaire est de 25 000 francs par mois en 1982, ainsi que le révèle, en 1982, un rapport de la Cour des comptes enterré par le pouvoir), avant d’être élu député du XIIIe arrondissement.

Au cours de leur instruction de l’affaire de la Mnef, écrit Le Monde, « chaque tiroir ouvert par les juges laisse apparaître, au choix, un ami de Jean-Christophe Cambadélis ou un proche de Jean-Marie Le Guen ». Des deux leaders politiques de la Mnef, seul Cambadélis écopera d’une sanction judiciaire (six mois de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende), pour recel d'abus de confiance.

Les deux hommes vont également manœuvrer ensemble dans l’appareil du PS, après la démission de l’OCI de Cambadélis, en 1986. Kostas rejoint alors le parti socialiste avec plus de 300 cadres lambertistes du « secteur étudiant ». Le Guen et Cambadélis vont faire la paire, l’un pour prendre la fédération de Paris (en 1987), l’autre pour devenir député du XIXe arrondissement (sans cesse réélus depuis). Ensemble, ils sont “mitterrandistes tendance Jospin”, lui aussi un ancien de l’OCI.

Au fameux et tumultueux congrès de Rennes, en 1990, avec les rocardiens, ils organiseront la salle délétère et les huées à l’encontre de Laurent Fabius. Puis ils s'attelleront à parfaire la “synthèse jospinienne” alors initiée, réconciliant première et deuxième gauche. Ils se rapprochent du chef des jeunes rocardiens d’alors, Manuel Valls, qu’ils connaissent depuis l’Unef du début des années 1980, et qui est aussi administrateur de la Mnef. C’est à ce moment surtout que se constitue le premier cercle du nouvel espoir de la deuxième gauche, Dominique Strauss-Kahn. Si ce dernier sera battu par Henri Emmanuelli pour succéder à un Michel Rocard démissionné après la déroute des européennes de 1994, il sera, trois ans plus tard, le ministre star de la « dream team » du gouvernement Jospin. Avant d'en démissionner, suite à sa mise en examen dans le dossier de la Mnef.

Une fois le scandale dissipé, Cambadélis et Le Guen sont désormais les premiers lieutenants de DSK. C'étaient déjà eux qui parlaient à la presse lors du congrès de Brest en 1997, attisant la rivalité gouvernementale avec la ministre du travail, Martine Aubry. Après le 21 avril 2002, ce sont encore eux qui accompagnent “Strauss” dans sa marche vers la primaire à la candidature présidentielle de 2007 (où il sera battu avec Laurent Fabius par Ségolène Royal).

Toujours ensemble, Le Guen et Cambadélis noueront et organiseront ensuite la nouvelle alliance, dite des « reconstructeurs », avec Martine Aubry et Laurent Fabius, puis Bertrand Delanoë et l’aile gauche de Benoît Hamon, leur permettant d’emporter in extremis le congrès de Reims en 2008 (face à Ségolène Royal). Ce sont enfin eux qui prépareront le « pacte de Marrakech », voulant qu’Aubry soutienne DSK à la primaire de 2011. Tout roulait à merveille, jusqu’à un petit matin blême new-yorkais.

Le Guen et Cambadélis seront parmi les plus ardents défenseurs de leur champion déchu après l’affaire du Sofitel. Tous deux débitent le même élément de langage, étrange pour qui le connaît aussi bien qu'eux : « Ça ne ressemble pas à Dominique » (lire ici et ici). Le Guen va même plus loin et affirme que « l'affaire n'est pas crédible. Il peut y avoir des circonstances, il peut y avoir des hallucinations ». Francs-tireurs au service de “Strauss”, ils tirent là leurs dernières cartouches, avant de rester quelques temps dans l'ombre (Camba n'obtient pas le PS et se voit préférer Harlem Désir, Le Guen n'obtient pas le ministère de la santé auquel il postulait) et de revenir avec Manuel Valls.

 

Franc-tireur

Les mêmes étaient déjà montés au créneau lors de la chute de Ben Ali, pour relativiser les propos antérieurs du directeur du FMI sur le « modèle tunisien » à suivre. « Dominique ne parle assurément pas de modèle politique, mais de modèle économique. Et il a bien raison d'affirmer que les éléments de croissance ne sont pas tout », rétorque alors à Mediapart Jean-Christophe Cambadélis. Sitôt le Raïs tombé, Jean-Marie Le Guen défend, lui aussi, a posteriori, DSK, interrogé par Mediapart : « Dominique aurait dû faire un bras d'honneur à Ben Ali, alors que le régime est reconnu par l'ONU et donc à ce titre membre du FMI ? Et puis quoi ?! Il parlait d'économie, et personne n'a jamais dit le contraire sur ce modèle tunisien. Il pensait à un modèle économique plus ouvert, qui permet la création d'une classe moyenne, avec un système éducatif très développé. »

Les duettistes vont également, à plusieurs reprises, afficher leur soutien à Laurent Gbagbo, malgré sa mise au ban de l’Internationale socialiste et la rupture des liens du PS français avec le parti socialiste ivoirien. En 2008, Jean-Marie Le Guen se rend avec Jack Lang auprès du président ivoirien, allant jusqu’à s’afficher au milieu de la nuit en boîte, à Abidjan. Il déclare à son retour à Mediapart avoir été « impressionné par la dimension humaine, profonde et solide du président Gbagbo ». Puis, c’est avec Cambadélis qu’il y retourne, en octobre 2011, en pleine campagne électorale ivoirienne (lire ici).

À chaque fois, François Hollande est embarrassé et ne se prive pas de le faire savoir, comme premier secrétaire du PS en fin de règne ou candidat à la présidentielle tout juste investi. « Les déclarations qui ont été faites à Abidjan n'engagent que leurs auteurs », déclare-t-il à Mediapart en avril 2008, insistant sur « les zones d'ombre du pouvoir, de la partition et du rapport avec les opposants, qui ont expliqué le souhait du PS de ne pas maintenir ses liens avec Gbagbo. » En janvier 2012, le candidat à la présidentielle Hollande doit à nouveau se distancier, dans un entretien aux Inrockuptibles : « Je n'ai pas compris pourquoi tels ou tels socialistes sont allés rendre visite à Gbagbo pendant la campagne. (…) Ils auraient dû se caler sur la position que j'avais moi-même fixée en 2004 : Gbagbo est infréquentable. Ça aurait évité quelques malentendus. »

Jean-Marie Le Guen s’est peu à peu affirmé dans les années 2000, comme Valls, comme un soliste dans les instances nationales du PS. Il aime jouer sa partition, devant les caméras. Et quand Martine Aubry propose à Valls de quitter le parti s’il ne s’y retrouve pas, il est l’un des rares à prendre sa défense.

Jean-Marie Le Guen partage les aspirations individualistes et singulières de Manuel Valls lors de certains votes dans l’hémicycle. Il ne suit pas, par exemple, la position du parti sur la reconnaissance de la Palestine (et signe une pétition d’élus lancée par l’UMP Claude Goasguen), quand Valls vote en solo et « en conscience » l’interdiction du voile intégral proposée par la droite, malgré la position commune du reste du groupe PS, qui préfère l’abstention.

 

 

 

 

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Jean-Marie Le Guen a minoré de 700 000 euros son patrimoine

Tous deux marginalisés à la droite du parti, Valls et Le Guen signeront ensemble, en octobre 2010, une tribune se prononçant pour la mise en œuvre de la TVA sociale, appelant à « amorcer un véritable big bang fiscal, ne s'interdire aucun tabou et interroger toutes les facettes de notre système fiscal, y compris la TVA ». Briseurs de tabous autoproclamés, ulcérant l’opposition socialiste de l’époque, les voici désormais en position d’influer sur l’avenir du socialisme français. Depuis qu’il est devenu secrétaire d’État, Jean-Marie Le Guen est devenu un bras armé de Manuel Valls. Tout juste nommé, aux journalistes qui lui demandent si François Hollande pourra être candidat en 2017, il se contente de répondre : « C'est une question qui se posera. » Mais c’est d'abord celle de son maintien en poste qui est désormais posée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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