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3 juillet 2014

Bettencourt: censuré, Mediapart va saisir la Cour européenne des droits de l'homme

MEDIAPART

Bettencourt: censuré, Mediapart va saisir la Cour européenne des droits de l'homme

|  Par François Bonnet

La Cour de cassation a validé, mercredi, la censure massive dont Mediapart est victime depuis un an et qui nous contraint à supprimer plus de 70 articles sur l'affaire Bettencourt. Cette décision inique, atteinte à la liberté d'informer et au droit de savoir des citoyens sur tout ce qui relève de l'intérêt public, nous amène à saisir la Cour européenne des droits de l'homme.

 

C'est une folle collision des calendriers judiciaires. Au moment où Nicolas Sarkozy est mis en examen pour « corruption active », « trafic d'influence » et « recel de violation du secret professionnel » dans un dossier connexe à l'affaire Bettencourt, c'est cette même affaire Bettencourt que la justice française a décidé d'« effacer » dans la presse. C'est aussi pour cette affaire qu'Éric Woerth et bien d'autres prévenus seront jugés lors de deux procès prévus en janvier et en mars 2015... Mais saisie par Mediapart, à la suite d'un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 4 juillet 2013 nous ordonnant une censure massive de nos articles sur l'affaire Bettencourt, la Cour de cassation a rejeté notre pourvoi ce mercredi 2 juillet, validant ainsi la décision du tribunal versaillais.

C'est donc le cœur même de l'affaire Bettencourt que la presse, désormais définitivement muselée par cette décision de la Cour de cassation, se voit interdire de citer. Tant pis pour le droit de savoir des citoyens et la liberté d'information. Au nom du respect du droit à la vie privée, les faits d'intérêt public mis au jour par les fameux enregistrements du majordome des Bettencourt ne peuvent plus être directement cités. Comme la cour d'appel, la Cour de cassation a refusé de mettre en balance droit à la vie privée et droit à l'information, jugeant que le premier devait à tout coup l'emporter. Ainsi, dit la cour, la publication d'extraits de ces enregistrements constitue « un trouble manifestement illicite, que ne sauraient justifier la liberté de la presse ou sa contribution alléguée à un débat d'intérêt général, ni la préoccupation de crédibiliser particulièrement une information ».

Face à cette décision liberticide, qui marque également la fin des recours possibles devant des juridictions françaises, Mediapart a décidé de saisir la Cour européenne des droits de l'homme. Cette haute juridiction a construit une jurisprudence autrement plus attentive au droit à l'information des citoyens et à la liberté de la presse (lire notre article ici).

Dans son arrêt du 4 juillet 2013, la cour d’appel de Versailles, saisie par la famille Bettencourt mais également par Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de la milliardaire actionnaire du groupe L'Oréal, nous contraignait à retirer de notre site tous les articles citant les enregistrements Bettencourt, sous peine de 10 000 euros par infraction constatée et par jour de retard (l'arrêt de Versailles peut être consulté ici et ). La cour précisait : « Tout ou partie de ces enregistrements sur tous supports, électroniques, papier ou autre. »

Quelques jours plus tard, Patrice de Maistre demandait l'exécution du jugement (ce que n'a pas fait la famille Bettencourt, manifestement mal à l'aise avec cet arrêt liberticide). Nous avons donc le 22 juillet 2013 obtempéré en masquant le contenu de 72 articles contenant citations, retranscriptions ou extraits des enregistrements Bettencourt : la liste complète des articles censurés est ici.

Notre dossier complet sur cette affaire peut être consulté ici.

Cette censure sans précédent à l'ère de l'information numérique, visant un média indépendant et participatif, avait provoqué une forte mobilisation de citoyens, de responsables politiques, de journalistes et le lancement d'un appel international « Nous avons le droit de savoir » (il est à lire ici). Près de 60 000 personnes et plus de quarante titres de presse, syndicats et associations ont signé cet appel qui énonce notamment ceci :

« S’agissant des affaires publiques, la publicité doit donc être la règle et le secret l’exception. Rendre public ce qui est d’intérêt public est toujours légitime, notamment quand le secret protège indûment des injustices et des délits, des atteintes au bien collectif ou aux droits humains. Ainsi la sécurité des États ne saurait empêcher la révélation de violations des libertés individuelles, pas plus que la sauvegarde de l'intimité de la vie privée, impératif par ailleurs légitime, ne saurait être l’alibi d’infractions aux lois communes » (retrouvez ici la vidéo de la conférence de presse de lancement de cet appel avec le soutien de Reporters sans frontières et de la Quadrature du Net). Par ailleurs, de nombreux titres de presse ont repris intégralement nos articles qui peuvent ainsi être lus sur d'autres sites.

En choisissant d'entériner cet arrêt de Versailles, la Cour de cassation – par ailleurs fortement secouée par le scandale Azibert, du nom de ce haut magistrat mis en examen avec Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog – estime que la protection du droit à la vie privée l'emporte sur toute autre considération et, en particulier, sur le droit à l'information légitime du public. C'est ainsi une version réactionnaire, étriquée, mais aussi protectrice des puissants et des fraudeurs qui est mise en avant contre les nouveaux impératifs démocratiques d'information du public.

Un bilan déjà considérable

La Cour de cassation elle-même s'est trouvée en porte à faux dans cette affaire puisque sa chambre criminelle a reconnu, le 31 janvier 2012, que les enregistrements réalisés par le majordome de Liliane Bettencourt étaient une preuve recevable dans la procédure pénale pour « abus de faiblesse » qui a été instruite à Bordeaux. Et, de fait, la révélation par Mediapart à partir de juin 2010 de ces enregistrements a provoqué un séisme politique et judiciaire qui allait devenir l'un des plus grands scandales de la Ve République.

Patrice de MaistrePatrice de Maistre

Quatre ans plus tard, le bilan de cette affaire – bilan encore provisoire – est considérable (lire ici notre précédent article) : six procédures judiciaires sont en cours, des redressements fiscaux importants ont permis à l'État de récupérer des dizaines de millions d'euros, une prise de conscience au sommet de l'État s'est faite de l'importance de gérer au plus près les conflits d'intérêts, des réformes du financement de la vie politique sont intervenues (concernant en particulier les « partis de poche » des élus), le dévoilement de pressions répétées sur la justice par l'Élysée de Nicolas Sarkozy a remis en avant l'urgence de construire l'indépendance de la justice.

Sans ces enregistrements, et sans la publication de larges extraits par Mediapart, cette affaire surveillée par l'Élysée et un temps étouffée par un procureur aux ordres du pouvoir sarkozyste n'aurait jamais vu le jour. La Cour de cassation n'en a cure, confirmant avec la cour d'appel de Versailles une version extensive du droit à la vie privée. Détaillées dans le salon où Liliane Bettencourt règle ses affaires professionnelles avec son gestionnaire de fortune, les stratégies d'évasion fiscale, de transferts de comptes cachés en Suisse, de financement illicites de responsables politiques et de pressions sur la justice relèvent-elles de la vie privée ? La Cour de cassation le dit. Le citoyen ne peut l'accepter.

Pour cette raison, nous avions pris grand soin, dès la publication de notre premier article, d'expliciter que sur la vingtaine d'heures d'enregistrement réalisées par le majordome des Bettencourt, nous avions retenu l'équivalent d'une heure, laissant de côté ce qui relevait du huis clos familial des Bettencourt, de considérations personnelles diverses, pour ne retenir que ce qui demeure au cœur du débat public : évasion et fraude fiscale, financement de la vie politique, fonctionnement de la justice et éventuels trafics d'influence (lire dans la boîte noire de cet article les précisions méthodologiques qui furent données dès notre premier article sur cette affaire).

Respectueux du droit de la presse, les premiers magistrats saisis en référé à Paris par Mme Bettencourt et M. de Maistre l’avaient bien compris qui, en juillet 2010, nous donnèrent raison, en première instance (l’ordonnance est ici), puis en appel (l’arrêt est là). Ce sont ces décisions qui ont, ensuite, été cassées par la chambre civile de la Cour de cassation, laquelle érigeait en principe absolu l’intimité de la vie privée, indépendamment de tout contexte. Il y eu ensuite l'arrêt de Versailles et aujourd'hui cette ultime décision de la Cour de cassation.

C'est aussi ce traitement journalistique méticuleux, faisant droit à la nécessaire protection de la vie privée, qui a par la suite provoqué la cascade de procédures judiciaires. C'est sur la base de ces enregistrements que les juges ont mené leurs enquêtes. Le résultat est aujourd'hui connu. Éric Woerth, ancien trésorier de l'UMP et toujours député, est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Bordeaux pour trafic d'influence, dans l'affaire de la Légion d'honneur attribuée à Patrice de Maistre. Le procès se tiendra en mars 2015 (notre article ici). De Maistre est également renvoyé devant le tribunal correctionnel dans cette affaire et reste sous le coup d'une avalanche de chefs de mise en examen : abus de faiblesse, blanchiment, escroquerie, complicité et recel de ce délit, abus de confiance, complicité et recel de ce délit, abus de biens sociaux, complicité et recel de ce délit.

Eric WoerthEric Woerth

Nicolas Sarkozy avait également été entendu par le juge d'instruction Jean-Michel Gentil, à Bordeaux, puis mis en examen pour abus de faiblesse, avant de voir les charges finalement abandonnées malgré des interrogations lourdes. Mais le procès de ce qui est le principal volet de l'affaire Bettencourt s'ouvrira lundi 26 janvier 2015 au tribunal de grande instance de Bordeaux, et devrait durer quatre à cinq semaines. Seront jugés Éric Woerth et Patrice de Maistre, encore eux.

D'autres acteurs seront également devant le tribunal. Le photographe François-Marie Banier et son compagnon Martin d’Orgeval, qui avaient bien profité des largesses de Liliane Bettencourt, seront jugés pour « abus de faiblesse, abus de confiance aggravé, escroquerie aggravée, complicité d’escroquerie aggravée et de blanchiment ». L’homme d’affaires Stéphane Courbit, qui avait reçu des fonds de la milliardaire pour renflouer son groupe, sera jugé pour « escroquerie aggravée et recel ». L’ex-gestionnaire de l’île d’Arros, Carlos Vejarano, qui avait surfacturé ses prestations, sera jugé pour « abus de faiblesse, escroquerie aggravée et abus de confiance aggravée ». L’avocat fiscaliste Pascal Wilhelm, ancien protecteur de Liliane Bettencourt, et qui lui avait fait investir de l’argent dans le groupe de Stéphane Courbit, sera jugé pour « abus de faiblesse et escroquerie aggravée ». Par ailleurs, les notaires Jean-Michel Normand et Patrice Bonduelle, ainsi que l’infirmier Alain Thurin, seront également sur le banc des prévenus.

Ce n'est là que le volet judiciaire de l'affaire Bettencourt. Et non l'immense scandale politique du quinquennat de Nicolas Sarkozy. En avalisant la censure, la Cour de cassation, sourde aux exigences démocratiques, fait de la défense de la vie privée un prétexte pour protéger les pouvoirs en place, leurs délits et leurs corruptions. C'est cette « justice injuste » (lire ici l'analyse d'Edwy Plenel) que Mediapart entend dénoncer devant les citoyens et devant la Cour européenne des droits de l'homme.

 

 

 

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