Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Visiteurs
Depuis la création 1 378 953
Newsletter
30 octobre 2014

Vladimir Poutine à Valdaï 2014: « Le monde unipolaire est une apologie de la dictature »

Sur LE COURRIER DE RUSSIE

 

Vladimir Poutine à Valdaï : « Le monde unipolaire est une apologie de la dictature »

« C’est une excellente intervention. Je suis entièrement d’accord avec toutes les idées énoncées par Vladimir Poutine », a déclaré Mikhaïl Gorbatchev à propos du discours du président russe lors du forum Valdaï, à Sotchi, le 24 octobre dernier. Le Courrier de Russie en a traduit les fragments les plus marquants. 

Crédits: service de presse du Kremlin

Crédits: service de presse du Kremlin

De multiples contradictions se sont accumulées dans le monde d’aujourd’hui. Et nous devons nous poser les uns aux autres, sincèrement, la question de la fiabilité de notre filet de sécurité. Malheureusement, il n’y a pas de certitude que le système de sécurité globale et régionale existant est capable de nous protéger des secousses. Ce système est sérieusement affaibli, brisé et déformé.

Nombre des mécanismes garantissant l’ordre mondial ont été établis à partir des bilans de la Seconde Guerre mondiale. La solidité de ce système se fondait non seulement sur l’équilibre des forces et non seulement sur le droit des vainqueurs, mais aussi sur le fait que les « pères-fondateurs » de ce système de sécurité avaient du respect les uns pour les autres, essayaient de s’entendre entre eux, de s’accorder.

L’important est que ce système s’est développé et qu’il a, malgré toutes ses lacunes, contribué sinon à résoudre mais du moins à maintenir dans les cadres existants les problèmes mondiaux, à réguler l’âpreté de la concurrence naturelle entre les États.

Je suis convaincu que le mécanisme de freins et de contrepoids qui, au cours des décennies précédentes, s’était installé, s’était établi parfois douloureusement, n’aurait pas dû être brisé. En tout cas, il n’aurait pas fallu le mettre à bas sans rien créer à la place, au risque qu’il ne reste rien d’autre, comme instrument, que la force brute. Il aurait fallu mener une reconstruction rationnelle, adapter le système des relations internationales aux réalités nouvelles.

On a l’impression que ceux qu’il est convenu d’appeler les « vainqueurs » de la Guerre froide ont décidé de prendre le dessus sur le monde entier, au bénéfice exclusif de leurs intérêts propres.

Mais les États-Unis, qui se sont proclamés vainqueurs de la Guerre froide, ont considéré avec assurance que cela n’était pas nécessaire. Et au lieu d’établir un nouvel équilibre des forces, condition indispensable de l’ordre et de la stabilité, ils ont, à l’inverse, entrepris des actions qui ont provoqué une aggravation profonde du déséquilibre.

La Guerre froide est terminée. Mais elle ne s’est pas achevée par la conclusion d’une « paix », par des accords compréhensibles et transparents sur le respect des règles et standards existants. On a l’impression que ceux qu’il est convenu d’appeler les « vainqueurs » de la Guerre froide ont décidé de prendre le dessus sur le monde entier, au bénéfice exclusif de leurs intérêts propres. Et quand le système de relations internationales, de droit international, le système de freins et de contrepoids qui s’était établi au cours des décennies précédentes les a empêchés d’atteindre ce but, il a été sur-le-champ qualifié d’inutile, de désuet, de voué à un démantèlement rapide.

C’est ainsi que se comportent, pardonnez-moi, les nouveaux riches qui se sont brusquement retrouvés à la tête d’une immense richesse – ici, de la suprématie mondiale, du leadership planétaire. Et au lieu d’utiliser cette richesse intelligemment, avec soin, y compris, évidemment, à leur propre avantage, ils ont commis énormément de bévues.

 

« L’objectivité et la justice ont été sacrifiées sur l’autel de l’opportunisme politique »

Le droit international a cédé pas à pas ses positions sous la pression du nihilisme juridique. L’objectivité et la justice ont été sacrifiées sur l’autel de l’opportunisme politique. Aux normes juridiques se sont substituées l’interprétation arbitraire et les estimations partiales. Pendant que le contrôle total sur les moyens d’information de masse permettait de faire passer à loisir le blanc pour noir et le noir pour blanc.

Crédits: service de presse du Kremlin

Crédits: service de presse du Kremlin

Dans ces conditions de domination d’un seul pays et de ses alliés ou, pour le dire autrement, de ses satellites, la recherche de solutions globales s’est en partie transformée en une tentative d’imposer, en guise de solutions universelles, des solutions individuelles. Les ambitions de ce groupe ont tellement grandi que les approches élaborées en coulisses ont commencé de passer pour l’opinion de toute la communauté mondiale. Mais ce n’est pas le cas.

La notion même de « souveraineté nationale » est devenue, pour la majorité des États, valeur relative. On nous a proposé, au fond, la formule suivante : plus forte est la loyauté à l’unique centre d’influence dans le monde, plus grande est la légitimité de tel ou tel régime dirigeant.

Les mesures d’influence sur les insoumis sont bien connues, et maintes fois éprouvées : actions de force, pressions économiques et propagande, ingérence dans les affaires intérieures, évocation d’une certaine légitimité « supra-juridique » quand il faut justifier la régulation de non-droit de tels ou tels conflit, écartement des régimes indésirables. Des témoignages sont apparus ces derniers temps prouvant qu’à l’encontre de certains leaders, on a même recours à du pur et franc chantage. Celui qui ne doit pas au hasard son surnom de « grand frère » dépense des milliards pour espionner le monde entier, et notamment aussi ses alliés les plus proches.

Je vous propose que nous nous posions la question : à quel point le fait de vivre dans un tel monde est-il confortable et sûr pour nous tous, à quel point un tel monde est-il juste et rationnel ? Peut-être n’avons-nous pas de raisons solides de nous inquiéter, de protester, de poser des questions gênantes ? Peut-être l’exclusivité des États-Unis, la façon dont ils accomplissent leur leadership sont-elles réellement un bienfait pour tous, et leur ingérence universelle dans toutes les affaires de tout le monde est une garantie de tranquillité, d’aisance, de progrès, de prospérité, de démocratie – et peut-être faut-il simplement nous laisser aller et prendre notre plaisir ?

Je me permettrai de dire que ce n’est pas le cas. Ce n’est absolument pas le cas.

Leur dictat unilatéral et le fait d’imposer leurs standards individuels apportent le résultat inverse : au lieu de l’apaisement des conflits – l’escalade ; au lieu d’États souverains stables – un espace grandissant de chaos ; au lieu de la démocratie – le soutien à un public tout à fait douteux, depuis de francs néonazis jusqu’à des islamistes radicaux.

Et pourquoi les soutiennent-ils ? Parce qu’ils les utilisent à une étape précise, comme un instrument pour atteindre leurs objectifs. Puis ils se brûlent – et reculent. Je ne me lasse pas de m’étonner de la façon dont nos partenaires, encore et encore, « marchent sur les mêmes râteaux », comme nous disons en Russie – c’est-à-dire commettent encore et encore exactement les mêmes erreurs.

A l’époque, nous avons, nous les premiers, soutenu le peuple des États-Unis d’Amérique

À un moment, pour lutter contre l’Union soviétique, ils ont sponsorisé des mouvements islamistes extrémistes qui se sont aguerris en Afghanistan. Ces mouvements ont engendré et les Talibans, et Al-Qaïda. L’Occident a soutenu médiatiquement, politiquement et financièrement l’invasion de terroristes internationaux en Russie et dans les pays de la région Asie centrale. Nous ne l’avons pas oublié. Et il a fallu de terribles attentats sur le territoire même des États-Unis pour que s’établisse la compréhension que le terrorisme était une menace commune. Et je le rappelle, à l’époque, nous avons, nous les premiers, soutenu le peuple des États-Unis d’Amérique ; nous avons réagi comme des amis et des partenaires à cette tragédie du 11 septembre.

 

« Les Etats-Unis fournissent en armes les combattants syriens »

Dans mes discussions avec les leaders des États-Unis et d’Europe, j’ai constamment rappelé la nécessité de lutter ensemble contre le terrorisme, comme un défi d’ampleur mondiale. Et l’impossibilité de relever ce défi en usant de doubles standards. Ils nous ont approuvés. Mais beaucoup de temps a passé depuis, et tout est de nouveau retourné à sa place. Ont suivi les interventions en Irak et en Lybie – et ce pays, d’ailleurs, a été poussé à la limite de la ruine. Franchement, pourquoi y a-t-il été poussé ? Il se trouve jusqu’aujourd’hui à la limite de la ruine, il est devenu un polygone pour les terroristes. Seules la volonté et la sagesse des dirigeants actuels de l’Égypte ont permis d’éviter le chaos et le déchaînement des extrémistes dans ce pays arabe clé. En Syrie, comme en d’autres temps plus anciens, les États-Unis et leurs alliés se sont mis à fournir directement en armes les combattants, à favoriser le remplissage de leurs rangs par des mercenaires venus de différents pays. Permettez-moi de poser la question : d’où ces combattants tirent-ils leur argent, leurs armes, leurs spécialistes militaires ? Où les ont-ils trouvés ? Comment ce qu’on appelle l’État islamique d’Irak et du Levant a-t-il bien pu se transformer en un puissant groupe armé ?

Crédits: service de presse du Kremlin

Crédits: service de presse du Kremlin

Concernant le financement, il ne s’agit plus seulement des revenus de la drogue, dont la production, à propos, s’est accrue non de quelques pourcents mais de plusieurs fois au cours du séjour des forces internationales en Afghanistan – et vous le savez tous. Le financement, aujourd’hui, vient encore de la vente du pétrole, dont l’extraction se déploie sur plusieurs territoires sous contrôle des terroristes. Ils le vendent à des prix bradés, l’extraient, le transportent. Et il y a des gens qui l’achètent, ce pétrole, qui le revendent, font dessus des bénéfices – sans penser qu’ils financent par-là même des terroristes qui, tôt ou tard, arriveront sur leur territoire aussi, viendront semer la mort dans leurs pays aussi.

Quant aux nouvelles recrues, d’où viennent-elles ? En Irak justement, le renversement de Saddam Husseïn a provoqué l’effondrement des institutions étatiques, y compris l’armée. À l’époque, de nouveau, nous avons dit : soyez prudents, soyez vigilants, où avez-vous chassé ces gens ? Vous les avez jetés dehors. Et que vont-ils faire ? Ne l’oubliez pas : que cela vous semble juste ou injuste, ils étaient à la tête d’un pays – en quoi les avez-vous transformés ?

Et qu’est-il arrivé ? Des dizaines de milliers de soldats et d’officiers, anciens militants du parti Baas, jetés dans la rue, ont aujourd’hui rempli les rangs des combattants terroristes. Peut-être est-ce là que se cache la capacité d’exercice de l’État islamique d’Irak et du Levant ? Ils font preuve d’une grande efficacité du point de vue militaire, ce sont des professionnels.

On a parfois l’impression que nos collègues et amis luttent en permanence contre les résultats de leur propre politique

La Russie a alerté à plusieurs reprises sur le danger de l’emploi unilatéral de la force, de l’intervention dans les affaires d’États souverains, du flirt avec les extrémistes et les radicaux. Nous avons insisté pour que les groupuscules qui combattent contre le gouvernement central syrien, et avant tout l’EIIL, soient inscrits à la liste des organisations terroristes. Et quoi – pour quel résultat ? Pour rien.

On a parfois l’impression que nos collègues et amis luttent en permanence contre les résultats de leur propre politique, consacrent toute leur puissance à écarter des risques qu’ils créent eux-mêmes et paient pour cela un prix qui va croissant.

 

« Le monde unipolaire s’est révélé une construction inconfortable »

Mes chers collègues ! La période unipolaire a démontré de façon convaincante que l’intensification de la domination d’un centre de force unique ne conduisait pas à augmenter la capacité à gérer les processus globaux. Au contraire, cette construction instable a prouvé son incapacité à lutter efficacement contre des menaces réelles comme les conflits régionaux, le terrorisme, le trafic de drogues, le fanatisme religieux, le chauvinisme et le néonazisme. Dans le même temps, elle a ouvert une large voie à la vanité nationale, à la manipulation de l’opinion publique, à l’écrasement grossier de la volonté du faible par celle du fort. Par essence, le monde unipolaire est une apologie de la dictature – sur les gens autant que sur les pays. Le monde unipolaire s’est révélé une construction inconfortable, inembrassable, difficilement gérable même pour le plus auto-proclamé des leaders. De là, les tentatives actuelles, à ce qui est déjà une nouvelle étape historique, de rétablir une sorte de simulacre de monde quasi-bipolaire, de système quasi-bipolaire comme un modèle confortable, en réalité, de reproduction du leadership américain. Et peu importe qui, dans la propagande américaine, occupe la place de l’URSS comme « centre du mal » : l’Iran, en tant que pays aspirant aux technologies nucléaires, la Chine, en tant que première économie du monde, ou la Russie, en tant que superpuissance atomique.

Nous assistons de nouveau, aujourd’hui, à des tentatives de briser le monde, de faire passer des lignes de division, d’organiser une coalition selon le principe non du « pour » mais du « contre », de reformer une image de l’ennemi comme au temps de la Guerre froide – et d’obtenir le droit au dictat. Car c’est bien comme ça que la situation était interprétée à l’époque de la Guerre froide – nous le comprenons et nous le savons tous. On répétait constamment aux alliés des États-Unis : « Nous avons un ennemi commun, il est terrible, c’est le centre du mal. Vous êtes nos alliés et nous vous protègerons de lui ; ce qui signifie que nous avons le droit de vous donner des ordres, de vous obliger à sacrifier vos intérêts politiques et économiques, à fournir des dépenses pour une défense collective. Mais cette défense sera, évidemment, dirigée par nous. » En un mot, nous nous trouvons aujourd’hui de façon évidente face à des tentatives par le groupe dominant d’appliquer au monde nouveau, transformé, ses schémas habituels de gestion globale – et ceci dans le but d’assurer son exclusivité et d’obtenir des dividendes politiques et économiques.

Mais ces tentatives divergent de plus en plus d’avec la réalité, s’inscrivent en contradiction avec la diversité du monde. Ces agissements rencontreront inévitablement une résistance, une réaction en retour, et, de nouveau, ils produiront des effets exactement inverses. Car nous voyons ce qui arrive quand la politique se mêle imprudemment à l’économie, quand la logique de l’utilité cède la place à celle de l’opposition, même si cette dernière nuit aux positions et aux intérêts économiques des acteurs, notamment aux intérêts des cercles d’affaires de chaque pays.

 

« Les sanctions sont en train de saper les bases du commerce mondial »

Les projets économiques communs, les investissements mutuels rapprochent objectivement les pays, les aident à amortir les problèmes actuels dans les relations entre les États. Mais aujourd’hui, la communauté des affaires mondiale subit une pression sans précédent de la part des gouvernements occidentaux. Comment parler d’affaires, d’utilité économique, de pragmatisme, dès lors que l’on a jeté le slogan : « La patrie est en danger, le monde libre est en danger, la démocratie est en danger ! » ? Il faut se mobiliser. Car ce n’est pas autre chose qu’une politique de mobilisation.

Les sanctions sont déjà en train de saper les bases du commerce mondial et les règles de l’OMC, les principes d’intangibilité de la propriété privée, elles disloquent le modèle libéral de globalisation, fondé sur le marché, la liberté et la concurrence – un modèle dont les principaux bénéficiaires sont, précisément, les pays de l’Occident. Ils risquent actuellement de perdre la confiance du monde en tant que leaders de la globalisation. On se le demande : à quoi bon ? Car la prospérité de ces mêmes États-Unis dépend dans une immense mesure de la confiance des investisseurs, des détenteurs étrangers du dollar et des actions américaines. La confiance est manifestement en train d’exploser, on observe aujourd’hui dans de très nombreux pays des signes de déception quant aux fruits de la globalisation.

Le fameux précédent chypriote et les sanctions à motivation politique n’ont fait que renforcer les tendances à plus de souveraineté économique et financière, l’aspiration des États à se protéger d’une façon ou d’une autre des risques de pression extérieure. Ainsi, dès à présent, les États sont de plus en plus nombreux à tenter de sortir de leur dépendance au dollar, à créer des systèmes financiers alternatifs, des devises de réserve. À mon avis, nos partenaires américains sont tout simplement en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Il ne faut pas mélanger politique et économie – mais c’est précisément ce à quoi nous assistons. Je considérais et je considère que les sanctions à motivation politique étaient une erreur, qui nuira à tous.

La pression extérieure, comme ça a été le cas plus d’une fois, ne fera que renforcer notre société

Nous comprenons comment et sous la pression de qui ces décisions sont prises. Pourtant, la Russie ne prendra pas la pose, elle ne sera pas offensée par qui que ce soit et elle n’implorera personne. La Russie est un pays auto-suffisant. Nous travaillerons dans les conditions d’économie extérieure qui se sont établies, nous développerons notre production et nos technologies, nous mènerons les transformations de façon plus décisive, et la pression extérieure, comme ça a été le cas plus d’une fois, ne fera que renforcer notre société, nous empêchera de faiblir, je dirais qu’elle nous obligera à nous concentrer sur les orientations principales de notre développement.

Les sanctions nous gênent, c’est évident. On tente, par cette situation, de nous nuire, de bloquer notre développement, de nous pousser au repli sur soi en politique, dans l’économie, dans la culture – c’est-à-dire de nous pousser à rester en arrière. Mais le monde a changé de façon radicale. Nous n’avons pas l’intention de choisir la voie d’un développement isolé, la voie de l’autarcie – nous sommes toujours prêts au dialogue, notamment aussi sur la normalisation des relations politiques et économiques.

On entend aujourd’hui affirmer que la Russie, prétendument, se détourne de l’Europe, cherche d’autres partenaires d’affaires, et en premier lieu en Asie. Je tiens à dire que ce n’est absolument pas le cas. Notre politique active dans la région Asie-Océan pacifique ne date absolument pas d’aujourd’hui et n’est pas liée aux sanctions, elle a commencé il y a quelques années. De la même façon que beaucoup d’autres pays, notamment les pays occidentaux, nous sommes partis du constat que l’Orient occupe de plus en plus de place dans le monde, autant en économie qu’en politique, et qu’on ne peut tout simplement pas ne pas le prendre en compte.

Je veux le souligner encore une fois : tout le monde le fait, et nous allons le faire aussi, d’autant qu’une partie significative de notre territoire se trouve en Asie. Pourquoi n’utiliserions-pas nos avantages de ce type ? Ce serait tout simplement de la courte vue.

 

« Nous sommes en train de nous rediriger vers des périodes anciennes »

Si nous ne créons pas un système clair d’obligations et d’accords mutuels, si nous ne bâtissons pas des mécanismes de résolution des situations de crise, les signes d’anarchie mondiale iront inévitablement en augmentant.

Crédits: service de presse du Kremlin

Crédits: service de presse du Kremlin

Dès à présent, on voit augmenter la probabilité d’un enchaînement de conflits tranchés impliquant la participation des grandes puissances. En outre, les facteurs de risque ne sont plus seulement les contradictions traditionnelles entre les États, mais aussi l’instabilité intérieure de certains États, surtout dans le cas de pays situés à des croisements des intérêts géopolitiques de grandes puissances ou sur des frontières entre des « continents » historico-culturels, économiques, civilisationnels.

L’Ukraine est un exemple de ce type de conflits, qui influent sur la répartition mondiale des forces – et je pense qu’il n’est pas le dernier. En découle la possibilité réelle, dans l’avenir, de voir détruit le système actuel d’accords sur la limitation et le contrôle des armes. Et ce dangereux processus a été enclenché précisément par les États-Unis d’Amérique quand, en 2002, de façon purement unilatérale, ils sont sortis de l’Accord sur la défense anti-missiles, puis ont entrepris – et continuent aujourd’hui activement – de mettre en place leur propre système global de défense anti-missiles.

Beaucoup d’États ne voient pas d’autre garantie pour préserver leur souveraineté que de s’équiper de leur propre bombe.

Mes chers collègues, mes amis ! J’attire votre attention : ce n’est pas nous qui avons commencé cela. Nous sommes en train de nous rediriger vers des périodes anciennes, des temps où ce ne sont pas l’équilibre des intérêts et les garanties mutuelles qui préservent les pays de la confrontation directe, mais la peur, l’équilibre de la terreur et des destructions réciproques. Du fait de l’absence d’instruments juridiques et politiques, les armes reviennent au centre de l’ordre du jour global, elles sont employées où l’on veut et comme on veut, sans la moindre sanction du Conseil de sécurité de l’ONU. Et quand le Conseil de sécurité refuse de donner son aval à de telles décisions, il est sur le champ qualifié d’instrument désuet et inefficace.

Beaucoup d’États ne voient pas d’autre garantie pour préserver leur souveraineté que de s’équiper de leur propre bombe. C’est extrêmement dangereux. Nous insistons pour poursuivre les négociations, et notamment celles sur la réduction des arsenaux nucléaires. Moins il y aura d’armes nucléaires dans le monde, mieux ce sera. Et nous sommes prêts au dialogue le plus sérieux et le plus concret sur les questions de désarmement nucléaire ; mais précisément à un dialogue sérieux – sans doubles standards, pour être clair.

« Nous nous trouvons tous sur le même bateau »

Chers collègues ! Face à une telle situation dans le monde, il serait temps de commencer à s’entendre sur des principes. C’est tout à fait crucial et c’est indispensable, c’est bien mieux que de se disperser dans tous les coins – d’autant que nous sommes confrontés à des problèmes communs, que nous nous trouvons tous, comme on dit, sur le même bateau. Et la voie logique est celle de la coopération entre les pays et les sociétés, celle de la recherche de réponses collectives aux défis qui se multiplient, de la gestion concertée des risques ; même si, c’est vrai, certains de nos partenaires ne s’en souviennent que quand cela correspond à leurs intérêts.

L’expérience pratique montre que les réponses communes aux défis, premièrement, sont loin d’être toujours la panacée – il faut le reconnaître – et, deuxièmement, qu’elles sont dans la majorité des cas difficiles à obtenir, qu’il n’est pas simple de surmonter la diversité des intérêts nationaux et la subjectivité des approches, surtout quand il s’agit de pays aux traditions culturelles et historiques différentes. Mais tout de même, nous avons des exemples de cas où, quand nous sommes guidés par des objectifs communs, en agissant sur la base de critères unifiés, nous atteignons, ensemble, de réels succès.

Crédits: service de presse du Kremlin

Crédits: service de presse du Kremlin

J’évoquerai la résolution des problèmes liés aux armes chimiques syriennes, et le dialogue substantiel à propos du programme nucléaire iranien, et aussi sur notre travail concernant le cas coréen, qui a fourni certains résultats positifs. Pourquoi ne pas employer toute cette expérience également dans l’avenir, lors de la résolution de problèmes aussi bien locaux que globaux ?

Je suis persuadé qu’avec de la volonté, nous pouvons restaurer l’efficacité de notre système d’institutions internationales et régionales. Là encore, il ne faut pas bâtir quelque chose entièrement, de zéro – ce n’est pas un « green field ». D’autant que les institutions créées après la Seconde Guerre mondiale sont assez universelles et peuvent être complétées par du contenu plus contemporain, adéquat à la situation actuelle.

Cela concerne aussi l’amélioration du fonctionnement de l’ONU, dont le rôle central est irremplaçable, et de l’OSCE, qui a fait ses preuves, en quarante ans, comme un mécanisme nécessaire de garantie de sécurité et de collaboration dans l’espace euro-atlantique. Il faut dire qu’aujourd’hui même, dans la régulation de la crise dans le Sud-Est de l’Ukraine, l’OSCE a joué un rôle extrêmement positif.

Sur fond des changements fondamentaux dans la sphère internationale, de la difficulté croissante à diriger et des menaces les plus diverses, nous avons absolument besoin d’un nouveau consensus des forces responsables. Je pense que nous avons besoin d’une nouvelle « édition » de l’interdépendance. Il ne faut pas en avoir peur. Au contraire, il s’agit d’un bon instrument pour accorder nos positions. Et c’est d’autant plus actuel quand on sait que certaines régions de la planète se renforcent – ce qui crée une nécessité objective pour de tels pôles institutionnels, pour la création de puissantes organisations régionales et l’élaboration de règles organisant leur interaction. La coopération de ces centres consoliderait sérieusement la sécurité, la politique et l’économie mondiales. Mais pour établir un tel dialogue, il faut que tous ces centres régionaux, qui ont formé autour d’eux des projets d’intégration, aient des droits équivalents à se développer, qu’ils se complètent et que personne ne les fasse se confronter artificiellement. Car une ligne destructrice de ce type conduirait à l’érosion des liens entre les États, et les États eux-mêmes seraient soumis à des épreuves difficiles, voire jusqu’à leur anéantissement total.

 

« Sur l’Ukraine, personne n’a voulu dialoguer »

Je voudrais rappeler les événements de l’année dernière, quand nous avons déclaré à nos partenaires américains aussi bien qu’européens que les décisions de couloir hâtives, disons sur l’association UE-Ukraine, étaient lourdes de sérieux risques – nous n’avons d’ailleurs pas parlé de politique, mais seulement de risques économiques. Nous avons alerté sur le fait que ce genre d’agissements clandestins enfreignaient les intérêts de nombreux pays tiers, et notamment de la Russie en tant que premier partenaire économique de l’Ukraine, que ces questions exigeaient un débat large et ouvert. À ce propos, je rappellerai que les négociations sur l’entrée de la Russie dans l’OMC ont duré 19 ans. Ce fut un travail difficile, qui a abouti à l’obtention d’un consensus.

Pourquoi est-ce que je parle de cela ? Parce qu’au moment de l’accomplissement du projet d’association avec l’Ukraine, nos partenaires sont entrés chez nous comme par une porte grande ouverte, avec tous leurs produits et services – et personne ne nous a écoutés à ce sujet, personne ne nous a rien demandé. Nous avons mené la discussion sur tous les thèmes liés à l’association de l’Ukraine et de l’UE avec fermeté mais, je tiens à la souligner, toujours de façon civilisée, en présentant des raisons et des arguments évidents, en montrant du doigt les problèmes potentiels. Mais personne n’a voulu nous écouter et personne n’a voulu dialoguer, on s’est contenté de nous dire : ce n’est pas votre affaire, et puis c’est tout, fin de la discussion. Au lieu d’un dialogue complexe mais, je le répète, civilisé, les choses ont été menées jusqu’au coup d’État étatique, on a plongé le pays dans le chaos, dans la ruine de l’économie, de la sphère sociale, dans la guerre civile avec ses innombrables victimes.

À quoi bon ? Quand je demande à mes collègues : à quoi bon ?, je n’ai pas la moindre réponse – personne ne répond rien, et point. Ils lèvent tous les bras en l’air : c’est arrivé, c’est comme ça. Mais il ne fallait pas encourager de tels agissements – on n’aurait pas obtenu un tel effet. Je l’ai déjà dit, l’ancien président Ianoukovitch avait tout signé, il était d’accord avec tout : à quoi bon avoir fait cela ? Quel sens cela peut-il avoir ? Est-ce que c’est une façon civilisée de résoudre les questions ? Visiblement, les gens qui manigancent sans cesse des « révolutions de couleur » se prennent pour des artistes géniaux – et ils ne peuvent aucunement se résoudre à s’arrêter.

Je suis convaincu que le fonctionnement des groupements d’intégration et l’interaction entre les structures régionales doivent se construire sur une base transparente, compréhensible ; un bon exemple d’une telle ouverture, d’ailleurs, est le processus de formation de l’Union économique eurasiatique. Les États-participants de ce projet ont informé par avance leurs partenaires de leurs plans, des paramètres de notre regroupement, de ses principes de fonctionnement, qui correspondent totalement aux normes de l’organisation mondiale du commerce. J’ajoute que nous aurions également salué le lancement d’un dialogue substantiel sur la question de l’union eurasiatique et européenne. À ce propos, cela aussi, on nous l’a jusqu’à présent constamment refusé, et je ne sais pas non plus pourquoi – qu’y a-t-il là de si terrible ? J’ai plusieurs fois parlé à beaucoup de nos partenaires occidentaux, du moins européens – et ils m’ont dit être d’accord –, de la nécessité de former un espace unifié de collaboration économique et humanitaire s’étendant de l’Atlantique à l’océan Pacifique.

En respectant les intérêts des autres, nous voulons simplement que nos intérêts soient pris en compte aussi, et que notre position soit respectée.

Mes chers collègues ! La Russie a fait son choix ; nos priorités sont l’amélioration future des institutions de la démocratie et d’une économie ouverte, un développement intérieur accéléré prenant en compte toutes les tendances contemporaines positives dans le monde, et un renforcement de la société sur la base des valeurs traditionnelles et du patriotisme. Nous avons un ordre du jour intégratif, positif, pacifique, nous travaillons activement avec nos collègues de l’Union économique eurasiatique, de l’Organisation de coopération de Shanghai, du BRICS, avec nos autres partenaires. Cet ordre du jour est orienté vers le développement des liens entre les États, et non vers la désunion. Nous n’avons pas l’intention d’organiser de blocs, de tomber dans l’échange de coups. Les affirmations selon lesquelles la Russie tente de rétablir un empire perdu et attente à la souveraineté de ses voisins n’ont pas de fondement. La Russie ne recherche pas une place exclusive dans le monde, je tiens à le souligner. En respectant les intérêts des autres, nous voulons simplement que nos intérêts soient pris en compte aussi, et que notre position soit respectée.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Derniers commentaires
Archives
Publicité