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15 décembre 2015

REGIONALES - Résultats et conséquences

Au fur et à mesure que les résultats définitifs du 2ème tour des élections régionales sont donnés par le ministère de l’intérieur, on peut mieux apprécier les mouvements qui se sont déroulés à l’occasion de ces élections. Il convient alors d’analyser avec précisions ces données pour en tirer certaines conséquences.

1. Il y a eu un accroissement du nombre des votants importants entre le 1er et le 2ème tour des élections régionales, mais une partie de ces « nouveaux » électeurs (ou d’anciens aussi) ont préféré voter blanc ou nul.

Ceci peut s’analyser comme une réaction de rejet au « front » réalisé entre le P  « S » et les listes de droite et du centre dans trois régions (Nord-Pas de Calais-Picardie, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes).

Table 1

Progression du vote entre les deux tours (données de Métropole)

  1er tour 2ème tour Gains en pourcentage Gains en voix
Votants 22 609460 25 726802 13,8% 3117342
Exprimés 21 708159 24 472508 12,7% 2764349
Blancs 544147 720731 32,5% 176584
Nuls 357154 533563 49,4% 176409
B+N 901301 1254294 39,2% 352993

L’accroissement du nombre de votants est de 13,8%. Mais, l’accroissement du nombre des bulletins blancs est de 32,5% et celui des bulletins nuls de 49,4%. Très clairement une fraction de l’électorat a exprimé son mécontentement devants les combines d’état-major qui lui ont été imposées.

2. La progression du vote pour le Front National a été plus importante que la moyenne entre le 1er et le 2ème tour.

Le Front National atteint un niveau record de votes en sa faveur, et ceci alors que l’abstention est restée élevée. L’idée que les électeurs du Front National seraient plus motivés que la moyenne est donc fausse. Les abstentionnistes ne représentent pas un « réserve de voix » contre le Front National, bien au contraire. Cependant, cette progression moyenne masque des différences importantes entre les situations régionales.

Le Front National a gagné 811 523 voix en Métropole, soit un pourcentage de 13,5%. Au sein de l’accroissement des votes exprimés entre les 2 tours (2 764 349 électeurs), la part des votes pour le Front National atteint 29,4% soit au-dessus de sa part pour le 1er tour qui était de 28%.

Table 2

Répartition régionale des votes pour le Front National entre le 1er et le 2ème tour

  1er tour 2ème tour Gains en pourcentage Gains en voix
Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées 653573 826023 26,4% 172450
Bourgogne-Franche Comté 303143 376902 24,3% 73759
Provence-Alpes-Côte d’Azur 719746 888147 23,4% 168401
Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes 641234 790141 23,2% 148907
Normandie 317118 374089 18,0% 56971
Centre-Val-de-Loire 262156 308422 17,6% 46266
Bretagne 218474 246177 12,7% 27703
Nord-Pas de Calais – Picardie 909035 1015649 11,7% 106614
Pays de Loire 270888 286723 5,8% 15835
Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes 480621 507770 5,6% 27149
Auvergne-Rhône-Alpes 639923 667084 4,2% 27161
Corse 14176 13599 -4,1% -577
Île de France 580499 521383 -10,2% -59116
TOTAL 6010586 6822109 13,5% 811523

 

On constate ainsi que, dans 4 régions, le gain s’établit à plus de 23%, soit à plus de 72% au dessus de la moyenne nationale. Une de ces quatre régions correspond à l’une des percées les plus importantes du vote pour le Front National, la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Dans deux régions, situées également à l’ouest de la ligne Le Havre-Marseille que l’on peut considérer comme marquant la coupure entre la France industrielle traditionnelle et la France rurale et de nouvelles industries, la Normandie et Centre-Val de Loire, la progression, tout en étant moins forte, est substantiellement supérieure à la moyenne nationale. Dans deux régions, le vote pour le Front National progresse peu, la grande Aquitaine et la région Auvergne-Rhône-Alpes. Dans cette dernière, il est évident que la campagne menée par Laurent Wauquiez a préemptée une partie des thèmes du Front National et a pu « mordre » sur une partie du « nouvel » électorat. Enfin, dans deux régions, le vote décroit entre le 1er et le 2ème tour, la Corse et l’Île de France. Dans ces deux régions, on peut penser à un réflex de « vote utile », en Île de France pour faire battre Claude Bartolone, et en Corse face aux autonomistes.

3. Le vote pour le Front National apparaît désormais comme un vote d’enracinement et non un vote de protestation.

On compte 92% des électeurs qui avaient voté pour Marine le Pen aux Présidentielles de 2012 dans les électeurs qui ont porté leurs voix sur le Front National à ces dernières élections. C’est un résultat très largement supérieurs de celui des autres partis, et il montre l’adhésion et non la simple protestation dans le vote.

4. Les résultats du 2ème tour montrent cependant que le succès en voix du Front National ne lui a pas permis de gagner des régions, en raison du phénomène de rejet qu’il provoque.

Si le Front National provoque donc aujourd’hui un vote d’adhésion, il provoque aussi un vote de rejet. Ceci témoigne de ce que sa ligne politique n’a pas encore réussi à le faire considérer comme un parti acceptable dans un partie de l’opinion, soit non pas un parti avec lequel on est en accord mais un parti face auquel on considère que son arrivée au pouvoir n’est pas une catastrophe. C’est le problème de l’ambiguïté de son discours, entre un discours « Patriote-Républicain », qui lui serait parfaitement acceptable, et un discours qui l’est beaucoup moins, en particulier sur des thèmes sensibles dans l’opinion française comme le droit à l’avortement, la question du rapport à la religion (et donc de la laïcité) et l’unité des citoyens français (thème central du discours « républicain »).

5. De ce point de vue, le Front National, qui a réussi à remettre des questions éminemment politiques au cœur du débat, doit aujourd’hui trancher entre la poursuite de ce cours ou un repli vers des thèmes « sociétaux ».

Ces thèmes, comme la question de l’avortement, du « mariage pour tous », mais aussi le rapport à la religion (catholique), et la question de savoir si on considère les français dans leur unité ou par supposées communautés, sont venus polluer (ou re-polluer) un discours politique construit. Le Front National a contribué à re-politiser la scène politique française en portant des thèmes éminemment politiques comme la question du protectionnisme, de la sécurité et de l’indépendance, de la construction européenne et de l’Union européenne, et enfin de l’Euro. Il l’a fait moins par ce qu’il est que ceux qu’ils représente, moins par ce qu’il dit que les thèmes avec lesquels il est identifié. Mais, il participe aussi de la dépolitisation profonde de la scène politique en cela qu’il tient, ou que certains de ses dirigeants tiennent, un discours qui peut être communautarisant, et qui est en tout cas certainement un discours de division dans les classes populaires. En un sens, il est confronté au même dilemme que les autres partis, entre faire de la politique, et traiter des thèmes qui décideront de l’avenir des français et de tous ceux qui habitent en France, ou bien gérer « sociétalement » une situation qu’il ne peut changer en s’appuyant sur un discours de « valeurs » et non de principes. De ce point de vue, la tendance dite « identitaire » au sein du Front National est l’exact équivalent, mais bien entendu avec une inversion des dites « valeurs » de l’idéologie de Terra Nova pour le P « S ». Mais, inverser une erreur n’en fait nullement une vérité pour autant. Les prochains mois seront donc probablement décisifs pour savoir s’il bascule complètement vers des thèmes politiques ou s’il accentue son repli sur des thèmes sociétaux.


Jacques Sapir

Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s'est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.

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