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26 mai 2018

Les accusations du « Russiagate » continuent d’aggraver le danger de guerre avec la Russie. Par Stephen F. Cohen

26.mai.2018 // Les Crises

Source : The Nation, Stephen F. Cohen, 18-04-2018

Les provocations incessantes du président Trump envers le Kremlin risquent de provoquer une crise semblable à celle des missiles cubains que, contrairement à JFK en 1962, il n’est peut-être pas possible de résoudre pacifiquement.

Par Stephen F. Cohen

18 avril 2018

La Place Rouge à Moscou. (Spoutnik via AP)

Stephen F. Cohen, professeur émérite d’études et de politique russes à NYU [New York University] et à Princeton, et John Batchelor poursuivent leurs discussions (habituellement) hebdomadaires sur la nouvelle Guerre froide entre les États-Unis et la Russie. (Les épisodes précédents, qui en sont maintenant à leur cinquième année, se trouvent sur TheNation.com.)

La crise des missiles de Cuba de 1962, souligne Cohen, est largement considérée comme un événement marquant de la Guerre froide précédente. C’est alors que les États-Unis et la Russie (alors soviétique) ont été le plus proches d’une guerre délibérée et, très probablement, d’une guerre nucléaire. Et les leçons (de cette époque) ont depuis lors été apprises : aucune confrontation de ce genre entre les deux superpuissances nucléaires ne devrait jamais se reproduire ; et si c’est le cas, seule la diplomatie du type de celle pratiquée par le président John F. Kennedy pendant la crise, y compris les négociations secrètes, peut sauver les deux pays et le monde de la catastrophe. En effet, dans les décennies qui ont suivi cet événement qui donne à réfléchir, Washington et Moscou ont adopté des formes de coopération pour limiter leurs conflits et empêcher une répétition de l’épisode cubain à savoir, des codes de conduite de la guerre froide ; une myriade de communications publiques et secrètes ; des accords sur les armes nucléaires ; des réunions au sommet périodiques ; et d’autres processus réguliers qui ont permis de maintenir la paix nucléaire.

Mais la nouvelle Guerre froide américano-russe a pulvérisé la plupart de ces conventions restrictives, surtout depuis le conflit sur l’Ukraine en 2014, et encore plus depuis que les allégations « russes » contre le candidat et alors président Donald Trump ont commencé en 2016. (L’accusation maintenant rituelle que « l’ingérence » russe dans les élections présidentielles américaines de 2016 – « l’ingérence » étant quelque chose que les deux parties ont fait sous une forme ou une autre depuis des décennies – constitue une « attaque contre l’Amérique » est non seulement absurde, mais aussi une dangereuse propagande belliciste). Au cours des deux premières semaines d’août, a ainsi émergé en Syrie la possibilité réelle d’une nouvelle crise de type cubain et d’une guerre avec la Russie. (D’autres possibilités s’ouvrent en Ukraine et dans la région de la Baltique).

Le danger s’est moins développé dans le contexte de l’évolution syrienne que dans celui du « Russiagate ». Pendant plus d’un an, le président Trump a été presque quotidiennement harcelé – principalement par les démocrates et une grande partie des médias – pour « se durcir » avec la Russie et son président Vladimir Poutine afin de démontrer que son élection n’avait pas été encouragée par une « collusion avec le Kremlin ». À son crédit, M. Trump est resté publiquement attaché à sa promesse de campagne de « coopérer avec la Russie » au nom de la sécurité nationale des États-Unis, tout en « se durcissant » en envoyant des armes en Ukraine, en imposant des sanctions économiques croissantes à Moscou et en expulsant un grand nombre de diplomates russes, voire en fermant un consulat russe aux États-Unis, comme le président Obama l’avait imprudemment fait. Mais les défenseurs du « Russiagate » n’ont cessé de déplacer les poteaux des buts de « plus dur » jusqu’à ce que la zone finale, la guerre, se dessine à l’horizon.

Comme cela s’est passé pendant les jours qui ont suivi les rapports du 7 avril déclarant que le président syrien Assad avait utilisé des armes chimiques contre son propre peuple à Douma, jusqu’à ce qu’on en arrive au lancement de missiles américains contre la Syrie dans la nuit du 13 au 14 avril. Cela aurait pu entraîner une guerre avec la Russie en raison de deux lignes rouges peu remarquées que le Kremlin de Poutine avait établies en Syrie. Dans un discours prononcé le 1er mars, Poutine a déclaré que les nouveaux missiles furtifs de la Russie étaient disponibles pour protéger les « alliés » de Moscou, dont Damas. Et peu de temps après, lorsque un certain nombre de troupes russes ont peut-être été tuées en Syrie par des combattants anti-Assad soutenus par les États-Unis, les dirigeants militaires et civils russes ont fait vœu de « représailles » si cela se reproduisait, en particulier contre les forces américaines en Syrie et contre n’importe quel lanceur américain se trouvant parmi les armes utilisées. (Les troupes russes sont imbriquées avec de nombreuses unités syriennes et donc des dommages collatéraux sont possibles).

Et pourtant, un Trump manifestement réticent a lancé plus d’une centaine de missiles sur la Syrie les 13 et 14 août. Ce qui s’est réellement passé montre clairement à quel point il était réticent à risquer une crise semblable à celle de Cuba en Syrie, et encore plus un risque de guerre avec la Russie. Rejetant des options plus larges et plus dévastatrices, Trump en a choisi une qui donnait à la Russie (et donc à la Syrie) un avertissement préalable ; qui ne tuait aucun Russe (ou peut-être personne d’autre) ; et ne frappait aucune cible politique ou militaire essentielle à Damas, seulement de prétendues installations d’armes chimiques. Les lignes rouges du Kremlin étaient soigneusement et largement contournées.

Néanmoins, ces événements d’avril sont inquiétants et pourraient bien augurer du pire à venir, pour plusieurs raisons :

§ L’attaque très limitée et soigneusement préparée contre la Syrie n’a manifestement pas été entreprise principalement pour des raisons militaires objectives, mais pour des raisons politiques liées aux accusations du « Russiagate » contre Trump. (Le caractère politique est suggéré par les circonstances : aucune preuve n’avait encore été produite qu’Assad était responsable de l’attaque chimique présumée, et les missiles ont été lancés alors que les enquêteurs de l’OIAC étaient en route pour Douma. Et, pourrait-on ajouter, puisqu’une accusation officielle similaire contre le Kremlin au Royaume-Uni, concernant l’affaire Skripal, semblait s’effondrer). On pourrait bien reprocher à Trump d’être insuffisamment solide – politiquement ou psychologiquement – pour résister aux appels à la guerre pour prouver son « innocence », mais la responsabilité première incombe aux promoteurs du « Russiagate » qui ne cherchent qu’à destituer le président, les politiciens et les journalistes pour qui Stormy Daniels (actrice américaine) semble être une priorité plus élevée que d’éviter une guerre nucléaire avec la Russie. Ce sont surtout des démocrates et des médias pro-démocrates, mais aussi des républicains comme la sénatrice Lindsey Graham, qui a déclaré : « Si… nous reculons parce que Poutine menace de riposter, c’est un désastre pour nous dans le monde entier ». Non, sénatrice, c’est une crise type « des missiles cubains » qui n’a pas été résolue pacifiquement et une catastrophe pour le monde entier.

§ D’une manière plus générale, pour la première fois depuis le début de l’ère nucléaire, il n’y a pas à la Maison-Blanche de président américain pleinement habilité – assez « légitime », prétendent les Russes – à négocier avec un dirigeant du Kremlin dans des circonstances aussi graves, comme Trump l’a découvert à chaque fois qu’il a essayé. Ou bien, dans une crise existentielle, pour éviter une guerre nucléaire comme l’a fait le président Kennedy en 1962. Étant donné l’escalade de la dynamique observée ces derniers mois, cette généralisation pourrait être mise à l’épreuve plus tôt que tard. (Ce qui n’aide en rien, bien sûr, est le fait que Trump s’est entouré lui-même de personnes désignées et d’assistants qui ne semblent pas partager son opinion selon laquelle il est impératif de « coopérer avec la Russie », mais plutôt des gens qui semblent personnifier les pires aspects du fanatisme de la Guerre froide et de la russophobie tout en manquant de connaissances élémentaires sur les relations entre les États-Unis et la Russie au fil des ans).

§ Pendant ce temps, il y a l’élite politique de Moscou qui pense que « l’Amérique a été en guerre contre la Russie » – politique, économique et militaire – pendant plus d’une décennie, et dont les vues sont souvent le reflet de celles de Lindsey Graham et d’autres fanatiques de la classe dirigeante. (L’histoire peut témoigner de cet axe périlleux que constituent les « partisans de la ligne dure » américano-russes). Dans ce contexte essentiel, Poutine semble être, en paroles et en actes, le modéré, appelant toujours les dirigeants occidentaux « nos partenaires et collègues », demandant encore de la compréhension et des négociations, étant toujours beaucoup moins « agressif » qu’il ne pourrait l’être. Nos légions de thuriféraires de la diabolisation de Poutine diront qu’il s’agit d’une fausse analyse, mais il ne faudrait pas non plus la vérifier.

Stephen F. Cohen est professeur émérite d’études et de politique russes à l’Université de New York et à l’Université de Princeton et rédacteur en chef de The Nation.

Source : The Nation, Stephen F. Cohen, 18-04-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

 

https://www.les-crises.fr/les-accusations-du-russiagate-continuent-daggraver-le-danger-de-guerre-avec-la-russie-par-stephen-f-cohen/

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