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29 août 2008

L'Europe doit défendre une nouvelle pratique des droits de l'homme

par Jean-Pierre Mignard

L'invasion de l'Irak en 2003 par les Etats-Unis, la répression de ses
minorités nationales par la Chine en 2008 et l'invasion de la Géorgie
par la Russie ont au moins une caractéristique commune. Ces trois
pays sont membres du Conseil de sécurité de l'ONU et, pour le
dernier, membre du Conseil de l'Europe. Le pays envahi, la Géorgie,
également. Et c'est une triste première.

La communauté internationale, concept juridique assez imprécis pour
tout suggérer et ne rien dire, ne peut trouver là aucun motif de
réconfort si l'on admet que les membres du Conseil de sécurité sont
les premiers gardiens du traité des Nations unies. Leur valeur
d'exemple est à terre et le pire est venu des Etats-Unis car, à la
différence des deux autres, c'est une démocratie accomplie. Quand
l'Amérique se parjure, les Etats voyous, grands ou petits, s'emparent
de leur butin. Guantanamo est une aubaine pour eux. Et si nous avons
tant critiqué les Etats-Unis dans ce bourbier inhumain qu'est l'Irak
c'est que lorsqu'ils trébuchent, c'est la démocratie qui tombe.
Souhaitons que les prochaines élections redonnent un pas ferme à ce
pays.

Les contempteurs du "droit-de-l'hommisme", néologisme venu des soutes
de la nouvelle droite, formule qui pour ses utilisateurs englobe des
ONG hystériques ou des professeurs chiffonnés, n'ont, en attendant,
guère de souci à se faire. Ils peuvent ricaner : le principe de
réalité est en pleine forme. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Les ralliements opportunistes aux traités, la cécité ou la
pusillanimité des démocraties ont peu à peu transformé des principes
de droit puissants et actifs, sortis pour l'essentiel des charniers
de la seconde guerre mondiale, en paravent commode pour tyrannies en
quête d'honorabilité.

Cassin affirmait que tant que les droits de l'homme seraient
maltraités il n'y aurait pas de paix dans un seul coin de la planète.
Il liait les droits de l'homme, ceux des peuples, la paix, la guerre.
Pour lui c'était un tout. C'est d'ailleurs le sens du préambule de la
Déclaration des droits de l'homme des Nations unies de 1948. "Battre
sa femme, c'est un autre jour tuer son voisin", dit le proverbe. Il y
a une continuité entre la violence domestique et l'agression des
autres. C'est vrai pour les Etats comme pour les personnes.

Il faut reprendre une nouvelle pratique des droits de l'homme, plus
exigeante, plus concrète et plus efficace. L'Europe, et d'abord la
France et la Grande-Bretagne, membres permanents du Conseil, devaient
élever le débat, au nom de l'Union européenne, sur une réforme du
statut des membres du Conseil de sécurité de l'ONU à l'aube de
l'adhésion de nouveaux membres.

Tout membre du Conseil qui ne soumettrait pas un litige relatif à une
question de souveraineté territoriale et le réglerait unilatéralement
par l'emploi de moyens militaires serait de jure suspendu du Conseil.
La Cour internationale de justice verrait sa compétence accrue et
serait seule apte à le trancher.

FOYER MISSIONNAIRE

De nombreux Etats, notamment d'Afrique, y recourent déjà. Mais cette
solution arbitrale de la Cour n'est que facultative. Elle doit
devenir la règle pour les Etats membres du Conseil. A haut niveau de
responsabilité, haut niveau de devoirs. Sinon le droit de veto
continuera à être un laissez-passer aux exactions, un viatique
d'impunité. Un rêve ? C'est ce que les cyniques opposaient à Briand.
On découvrit trop tard qu'ils étaient experts en cauchemar.

Chaque ministre européen en visite dans un pays signalé devrait
rituellement poser la question et réclamer des informations sur le
sort des prisonniers d'opinion. Pas seulement aux autorités à qui il
incombe de répondre en premier mais aussi aux organisations civiles,
sociales et professionnelles. Il devrait se constituer, peut-être
sous les auspices du commissaire européen aux droits de l'homme, un
secrétariat chargé de compiler le bilan de ces visites. Il y a 27
Etats membres qui composent l'Union. Imaginons que chaque ministre de
chaque Etat accorde une heure de son temps aux droits de personnes
persécutées lors de ses déplacements. Voilà un vrai bouclier pour les
démocrates menacés et persécutés et des marges de manoeuvre réduites
pour les Etats liberticides.

Le traité de l'OMC conditionne l'entrée de membres à la signature et
à la ratification du pacte international relatif aux droits civils et
politiques de l'ONU de 1966. C'est parfait mais que le traité de
l'OMC aille plus loin. Qu'il fasse un véritable travail de
vérification des engagements pris pour démasquer les signatures
opportunistes. Doutons qu'une justice indépendante en matière de
commerce voit le jour là ou l'on torture dans des caves. C'est un
tout et l'OMC gagnerait en estime.

Enfin, la confection des traités eux-mêmes devrait associer les
sociétés à leur processus. La très récente initiative de l'Union pour
la Méditerranée fait côtoyer d'authentiques démocrates avec des
personnalités qui n'ont rien à voir dans le champ des droits de
l'homme, sinon qu'elles y braconnent. M. Kadhafi a eu le bon goût de
décliner.

On dira que ce traité ne concerne pas les personnes, que l'on mélange
tout et que l'on va tout faire échouer. Ah bon, mais alors il sert à
quoi ? Rien n'empêche qu'un sommet régulier des sociétés civiles des
Etats signataires se réunisse pour contribuer à faire vivre le
traité, l'enrichir et veiller au respect de ses clauses. Les
organisations professionnelles, les universités, les ONG, les
chambres de commerce, les syndicats auraient leur mot à dire. Les
sommets mondiaux sur le sida ou l'Internet en sont des illustrations.
On y entendrait des choses désagréables ? Tant mieux. Ce serait le
signe d'un véritable échange.

Dernière objection, je la pressens. Pourquoi l'Europe serait-elle le
foyer missionnaire de cette entreprise car elle n'est pas parfaite ?
Loin de là en effet, nos centres de rétention seront un jour des
camps, et j'entends même les catholiques italiens du centre-droit
s'inquiéter d'un risque de résurgence du fascisme dans leur pays.

Je dirais d'abord parce que la guerre aux portes de l'Europe rend
cette réaffirmation volontaire et sans concession des droits de
l'homme comme un objectif géopolitique indispensable. Ensuite, plus
prosaïquement, parce que s'intéresser aux droits de l'homme chez les
autres, c'est un des plus sûrs moyens de les prendre au sérieux chez
nous. A force de s'agenouiller on finit par croire, disait Pascal.
Pour les droits de l'homme relevons-nous. Il est plus que temps.

Jean-Pierre Mignard, avocat à la cour

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