Royal : La plus belle définition de la démocratie (Lettre d'Amérique 5)
Envoyé : vendredi 23 janvier 2009 01:58
Chères amies,
chers amis,
Mon voyage en Amérique s'est achevé aujourd'hui. Une nouvelle ère a débuté,
le changement est en marche. Barack Obama a pris une décision symbolique, la
première : comme il l'avait promis, la prison de Guantanamo sera fermée d'ici un an.
L'Amérique est fière à nouveau, fière du visage qu'elle offre au monde.
En quittant Washington, en dialoguant à l'aéroport avec des Américains, je
sens une confiance nouvelle, dénuée d'arrogance. Je mesure la force
tranquille que donne la volonté de renouer avec un destin collectif. Un pays
divisé est un pays affaibli, nerveux, aux aguets, perméable aux tentations
violentes. Un
pays uni est fort, capable de surmonter les épreuves sans chercher à en
imposer aux autres.
Les réunions de travail que j'ai eues mercredi m'ont confirmé la volonté de
changement et de résultats des nouvelles équipes en place. Au Sénat, je me
suis entretenu avec Amy Klobuchar, une jeune sénatrice du Minnesota,
étoile montante du Parti démocrate et spécialiste des questions
environnementales. Signe encourageant, elle souhaite qu'à Copenhague l'année
prochaine, un
accord soit enfin signé par tous les grands pays émetteurs de gaz à effet de
serre, au premier rang desquels les Etats-Unis et la Chine.
Elle s'est montrée par ailleurs confiante sur les chances de bonne entente et
de coopération entre la Maison blanche et le Sénat, tout accord international
de cette envergure devant être ratifié par la « Chambre des Etats ». Le fait
que Barack Obama et Joe Biden en soient issus (pour la première fois depuis
l'époque Kennedy/Johnson) explique cet optimisme.
Nous avons évoqué les réticences de l'industrie automobile américaine
à changer ses habitudes. La demande a évolué, les familles durement
touchées par la crise préfèrent désormais des voitures plus économes en
carburant. Mais l'offre américaine n'a pas su s'adapter, avec pour conséquence
la crise majeure que traversent des géants comme General Motors.
Pour toutes les entreprises automobiles qui cherchent à modifier leurs gammes
de voitures en faveur de plus petites cylindrées, Amy Klobuchar propose de
mettre en place, à titre transitoire, des compensations financières. Idée
pertinente à étudier : la relance de l'économie et l'avènement d'un
nouveau modèle de développement respectueux de
l'environnement sont plus que jamais liés.
Au Congrès, j'ai eu également une réunion avec James Oberstar, président de la Commission des
Transports à la Chambre des Représentants.
Personnage très chaleureux, James Oberstar est par ailleurs francophile. Il
m'a remis en détail la partie « investissement » du plan de relance, Etat par
Etat, dépense par dépense.
Le montant global du plan Obama est de 800 milliards de dollars sur deux ans, soit 3% du
PIB chaque année. Le stimulus sur l'économie
américaine est considérable, grâce notamment à un crédit d'impôt de 1000
dollars par an qui touchera 150 millions d'Américains. 85 milliards de
dollars concernent les seuls investissements en infrastructures, avec un
volet environnemental important :
- 30,25 milliards pour les autoroutes et les ponts (l'engorgement du trafic conduisant à une hausse très importante de la quantité d'essence consommée) ;
- 12 pour les transports en commun ;
- 5 pour les voies ferroviaires ;
- 5,25 pour l'aviation ;
- 14,275 pour les infrastructures vertes (assainissement de l'eau par exemple) ;
- 7 pour l'ingénierie des corps d'armée américaine ;
- 10 milliards pour les constructions fédérales ;
- 400 millions consacrés à l'administration du développement économique ;
- 734 millions pour les gardes-côtes ;
- 55 millions pour l'administration maritime ;
- 45 millions pour le Saint-Laurent.
C'est donc un programme de modernisation sans
précédent depuis le New Deal de Roosevelt en 1932 qui
sera adopté dans les prochains jours. Peut-être pourra-t-il servir à acheter
les TGV qui font si cruellement défaut aux Etats-Unis ! James Obestar
soulignant le besoin d'équipements en trains à grande vitesse, je lui ai en
tout cas suggéré d'acheter la technologie française développée par Alstom !
A la FED, la banque centrale américaine, j'ai eu un entretien avec le
Gouverneur Warsh, un des quatre membres du Board. Entretien d'une
grande franchise, révélateur d'un changement d'état d'esprit. Interrogé sur
l'origine de la crise financière, le gouverneur a eu des mots durs à l'égard des
institutions chargées de la régulation financière, parlant même de « paresse
» et de « complaisance ». Lucidité
salutaire, qui devrait rendre possible de nouvelles pratiques.
La journée de mercredi, consacrée aux problèmes financiers, économiques et
environnementaux s'est achevée par un déplacement au Lincoln Memorial. Pour
Barack Obama, Abraham Lincoln est le président capital de l'histoire
américaine : c'est lui qui a eu le courage d'abolir l'esclavage le 1er
janvier 1863 ; lui aussi qui a eu la force d'âme de prôner sans relâche
l'unité de la nation.
Au centre de ce lieu de mémoire trône la statue majestueuse de Lincoln,
devant laquelle Martin Luther King prononça en 1963 son célèbre « I have a dream
». Et à côté, gravée dans le marbre, l'adresse qu'il prononça à Gettysburg,
avec cette formule lapidaire qui offre la plus belle définition de la démocratie : « Un gouvernement
du peuple, par le peuple, pour le peuple ».
Amicalement,
Ségolène Royal