Martine Aubry tisse sa toile
L’agitation provoquée par les laissés pour compte
des listes européennes (rien de nouveau sous le soleil : les
négociations de 2004, tout aussi délicates, avaient été funestes pour
Olivier Duhamel et quelques autres et contraint Michel Rocard et
consorts à changer de terre d’élection) masque un glissement plus
discret au sommet du parti socialiste. En effet, à mesure que sa
majorité d’origine se morcèle, Martine Aubry tisse peu à peu sa propre
toile et constitue son réseau personnel.
La composition des listes européennes semble hâter plusieurs évolutions déjà à l’œuvre. La plus visible concerne la motion A dont il faut bien constater qu’elle n’existe plus. L’attelage a vécu. Pierre Moscovici a officiellement tiré sa révérence, accusant ses associés delanoïstes d’avoir tendace à “agir à leur bénéfice exclusif”. Les
rocardiens historiques réunis autour de Michel Destot se sont déjà
organisés de leur côté pour attendre le retour de DSK. Quant à François
Hollande, frustré lui aussi par les décisions du 28 février, il
attendra fin juin pour prendre son autonomie une fois pour toutes.
Même parmi les proches du maire de Paris,
certains se demandent combien de temps le courant Delanoë va réellement
continuer d’exister. Discret, Bertrand Delanoë tire encore les ficelles
de temps à autres mais, assurent ses proches, on ne sait trop si le
cœur lui en dit de continuer. En attendant, « Bertrand » s’en remet à
Harlem Désir que beaucoup, parmi les non-Jospiniens de la motion A,
accusent d’être passé de facto dans le camp de Martine Aubry.
A vrai dire, le numéro deux du parti, future tête de liste en
Ile-de-France, ne peut plus prétendre représenter une motion qui, dans
les fait, est devenue une fiction. Il sait que son avenir politique
dépend surtout de la première secrétaire.
Si la motion Hamon a fait respecter ses intérêts
lors de la constitution des listes, cela a surtout profité aux amis de
Henri Emmanuelli (Liem Hoang Ngoc et Françoise Castex en particulier)
et un peu moins aux amis de Benoit Hamon. Samedi, Razzy Hammadi ne
décolérait pas. Benoit Hamon se trouve un peu dans la même situation
que Harlem Désir. Son influence est sans doute davantage liée au
rapport qu’il a noué avec Martine Aubry qu’au poids politique d’un
courant qu’il incarne certes mais où il ne fait pas la pluie et le beau
temps. Dimanche, lors d’un Grand-jury RTL-Le Figaro-LCI, il a estimé
que la maire de Lille « a vocation » à représenter le PS en 2012.
D’autres dirigeants socialistes qui étaient entrés dans la direction comme des alliés de « Martine » commencent également à se former, par la force des choses, en " Aubrystes" militants. De cerbère, ils deviennent factotum. C’est le cas de Claude Bartolone, en froid avec la Fabiusie (il ne participait même pas aux tractations du week-end dernier). Ou de son alter ego Jean-Christophe Cambadélis, évasif lorsqu’on lui parle de DSK mais qui se réjouit de voir « Martine Aubry asseoir son pouvoir ».
Vincent Peillon, auquel on prête l’intention de devenir le seul vrai patron du courant « royaliste » et qui sera l’un des deux porte-parole de la campagne européenne, voire Jean-Noël, Guerini succomberont-t-il à cette force centripète qui semble attirer nombre de dirigeants vers l’axe central occupé par Martine Aubry ? On ne sait. La façon dont “la patronne” franchira l’obstacle des européennes pèsera lourd. Le “qui m’aime me suive” fonctionnera mieux avec un PS à 25% des voix qu’à 18,5%…
En tout état de cause, la première secrétaire,
isolée au milieu d’une majorité composite lors de son arrivée rue de
Solferino, commence à faire sa pelote en agrégeant autour d’elle
certians de ses lieutenants en quête d’autonomie et/ou en rupture avec
leur mentor. Siphonner la gauche du PS, priver DSK de terrain
d’aterrissage, marginaliser Ségolène Royal, neutraliser Fabius,
décourager Delanoë ; voilà qui ressemble fort à une stratégie « Martine 2012 ». Pour mémoire, la maire de Lille et tous ses nouveaux amis ont mené bataille à Reims sur le thème du « non à la présidentialisation du parti ».
Jean-Michel Normand