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20 avril 2009

Royal, Sarkozy, Zapatero, et Edwy Plenel

 

19 Avril 2009 Par Edwy Plenel SUR  MEDIAPART

 

  • Qui arrêtera cette présidence ? A cette question, posée avec entêtement par Mediapart tant ce pouvoir nous semble un cocktail explosif de régression et de prétention, d'archaïsme et d'absolutisme, d'aveuglement et d'affolement, la semaine écoulée apporte une curieuse réponse. La perdition de ce président, ce sera peut-être lui-même, tout simplement. Et la faille de cette présidence, sa propre démesure. A force d'ignorer les limites qui font un pouvoir contenu, équilibré et partagé, la République de Nicolas Sarkozy avance toujours au risque d'elle-même, de ses humeurs et de ses foucades, de ses obsessions et de ses excès. Faute de contrepoint, de bornes ou d'entraves, sa liberté est un laisser-aller où s'égarent l'esprit de responsabilité et la conscience de la fonction. Plus il se renforce, s'aggrave et s'exacerbe, plus ce présidentialisme-là s'isole et s'enferme, perdant le sens des mesures et des réalités, des visions hautes et des paroles élevées.

    Comment analyser autrement l'énervement de son entourage depuis que Ségolène Royal s'en est allée porter le fer de la contradiction, du démenti et du pardon à Dakar ? Et quel autre enseignement tirer de la panique qui saisit séides et courtisans depuis que Libération a montré ce président tel qu'en lui-même, lors d'un déjeuner avec un groupe de parlementaires ? Un président vantard et orgueilleux, aussi superficiel dans ses analyses qu'il fut péremptoire dans ses jugements envers ses collègues étrangers, de Barack Obama à Angela Merkel en passant par José Luis Zapatero. Tout comme il avait été inconscient et léger lors de ce calamiteux discours de 2007 dans la capitale sénégalaise, à la fois condescendant et paternaliste, empreint de cette bonne conscience qui fait les esprits supérieurs et suffisants.

    Notre vie publique est si dominée par cette hyperprésidence que cette double histoire – le discours de Royal, les confidences de Sarkozy – devient l'affaire politique du moment. Ségolène Royal a saisi l'occasion du déjeuner et de ses bavardages pour poursuivre son offensive dakaroise, contestant à Nicolas Sarkozy le droit d'exprimer ainsi la France, toute la France, par l'adresse d'excuses personnelles au premier ministre espagnol. Entre-temps, l'Elysée avait reçu l'opportun soutien d'une signature de la presse classée à gauche, le fondateur du Nouvel Observateur, Jean Daniel, qui, dans une tribune confiée au Monde, décerne au chef de l'Etat un inattendu brevet d'anticolonialisme. Enfin, l'UMP, après avoir accusé Royal de « déshonorer notre pays » (Yves Jégo), s'en prend à la presse qui « abîme l'image de notre pays » (Frédéric Lefebvre), reprochant à Libération d'être devenu un vulgaire « tract » d'opposition.

    Entre forme et fond, liant indissolublement l'une à l'autre, cet épisode est un révélateur, à la manière d'un fait divers de la vie publique : anecdotique en partie, il n'en éclaire pas moins l'essentiel. Trois questions sont ici imbriquées : la représentation de la France, la compréhension du monde, l'expression de l'opposition.

  • La représentation de la France

A entendre ceux qui contestent le discours de Ségolène Royal à Dakar, la France ce serait une personne et une seule, univoque, intouchable, irremplaçable et inamovible : le chef de l'Etat. Le scandale, ce serait donc que, le 14 avril, dans la capitale du Sénégal, l'ancienne candidate socialiste à l'élection présidentielle ait osé parler au nom de la France, comme si la France, c'était elle aussi, comme si la France, c'était nous, vous, moi – et pas seulement, pas uniquement, pas forcément, pas toujours, pas indéfiniment Nicolas Sarkozy.

Non, la France n'est pas une personne. C'est un pays, un peuple, une histoire. Avec leur diversité, leurs nuances et leurs conflits. Cette prétention à ramener notre nation à une sorte d'individualité, incarnée dans un corps unique, exprimée dans une voix singulière, est au ressort de toutes les idéologies d'exclusion. Vouloir personnaliser la France, c'est potentiellement désigner l'anti-France : simplifier notre complexité en supprimant ce qui contredit, conteste, nuance, divise, oppose, etc.

Cette naturalisation d'un pays en une personne, réduit à un individu unique qui serait seul légitime à l'exprimer, traduit une conception non démocratique de la vie publique. Au-delà de la personnalisation et de la concentration du pouvoir qu'elle épouse, elle fige la démocratie dans un seul moment, celui du scrutin. Car, si le vote majoritaire est un principe incontestable de choix des gouvernants, il ne saurait être un principe permanent de justification de leurs actions une fois élus. Une démocratie véritable est autrement riche que cette fiction majoritaire qui l'épuise dans les urnes.

La diversité de la société n'est pas réductible au moment électoral qui la simplifie ; et les gouvernés ne perdent pas leur pouvoir dès lors que, par leur vote, ils l'ont délégué. L'avocate de la démocratie participative est donc légitime, tout comme vous et moi, à exprimer la France, ses différences, ses nuances. Elle a bien le droit de dire que le précédent discours de Dakar, celui du président de la République, en forme de divagation historique, n'était que sa parole particulière, en aucun cas celle de tous les Français, et certainement pas son mandat électoral. Et cette attitude est non seulement légitime mais nécessaire face à une parole présidentielle qui ignore le « nous » et ne s'exprime qu'en « je ».

Transformant la forteresse présidentielle en bulle narcissique, la pratique sarkozyste du pouvoir est en effet aussi privative qu'autoritaire : plutôt que de nous rassembler avec précaution et respect, elle nous embarque sans demander notre avis dans sa fuite en avant. Au lieu de réunir, elle clive ; au lieu d'écouter, elle s'approprie ; au lieu de créer du consensus, elle cherche le conflit. Pouvoir à la première personne du singulier, cette présidence ressent instinctivement l'altérité comme une adversité. Il lui faut donc l'annexer à tout prix, la séduire ou la soumettre – c'est-à-dire l'effacer. Sa prétendue « ouverture » à gauche, succession de débauchages individuels, l'atteste : il ne s'agit là que de prises de guerre dont l'affichage conquérant s'accompagne d'un grand mépris pour leur famille d'origine et, plus généralement, pour l'opposition, sa légitimité et ses droits.

Ce mépris pour ce qui se refuse à sa puissance ou se dérobe à son influence va de pair avec une grande indifférence à la vérité, voire une facilité pour le mensonge. Que la politique comporte, de toute éternité et sous tous habillages, une part de dissimulation, c'est l'évidence. Mais qu'elle mente avec autant d'aplomb que d'inconscience, sans se soucier du vraisemblable ou du crédible, n'est pas si banal. Et n'est pas sans incidence sur l'image présidentielle à l'étranger, d'autant plus si cette propension au mensonge s'étend aux relations extérieures. On a ainsi trop peu souligné que Nicolas Sarkozy a été pris en flagrant délit de menterie caractérisée par l'administration Bush à propos de la Géorgie, tout comme il fut également pris sur le fait à la manière d'un gamin bonimenteur lors de son dernier voyage africain.

  • La compréhension du monde

Du discours prononcé par Nicolas Sarkozy en 2007 à Dakar jusqu'à ses jugements à l'emporte-pièce sur ses partenaires internationaux, en passant par son mode d'existence et d'affirmation sur la scène internationale, une même question est posée : quel rapport la France entend-elle nouer avec le monde ? Loin d'être étroitement diplomatique, l'enjeu est fondamental : ainsi que l'ont illustré la catastrophique présidence de George Walker Bush et sa brillante démolition par Barack Hussein Obama, il n'est pas d'avenir pour une grande nation, membre permanent du Conseil de sécurité et prétendant par héritage révolutionnaire à l'universalisme, sans intelligence du monde, de sa diversité et de sa complexité, de ses anciennes fragilités et de ses nouvelles forces.

De ce point de vue, cette présidence est entrée à rebours dans le XXIe siècle. Son agitation dissimule son anachronisme : ses idées sont d'hier et ses repères d'avant-hier. Crispée sur ses héritages et ses préjugés, elle s'est d'emblée barricadée derrière la proclamation gouvernementale d'une « identité nationale », essentialisme illusoire qui ne veut voir que de l'identique et du même en lieu et place du différent et du divers. C'était l'aveu qu'elle entendait mettre à distance de notre petit hexagone toutes les promesses d'un monde en mouvement, déplacement et décentrement, mélanges et relations, interdépendances et multipolarités. Promesses qu'elle diabolise, les assimilant à un désordre menaçant, envahissant ou destructeur, lui donnant le visage de l'étrange et de l'étranger, en somme de l'étranger qui reste étrange et ne cherche pas à ressembler.

Ici, l'idéologie qui l'imprègne rejoint la diplomatie qu'il pratique. Au-delà du personnage, son parler cru traduit sa vision d'une France seule contre tous, comme si le monde était son obstacle plutôt que sa chance, une France toujours dans la construction d'un rapport de force, s'affirmant dans un bras de fer tournant au bras d'honneur et proclamant d'autant plus son existence que son impuissance est grandissante. De la présidence bien peu communautaire de l'Europe aux rodomontades tricolores d'avant G-20, en passant par la déjà, sinon défunte, du moins aphasique Union pour la Méditerranée, le sarkozysme pratique en quelque sorte une diplomatie souverainiste, celle d'une nation qui s'affronte au monde plutôt que de le construire avec d'autres.

Un monde, qui plus est, qu'il ne comprend pas – et ce fut l'enseignement du discours de Dakar. En campagne, Obama l'a démontré par sa pédagogie collective sur l'histoire américaine : il n'est pas de maîtrise du présent sans lucidité sur le passé. Or ce pouvoir est entravé par une vision idéologique de notre passé, dont témoigna en 2005 l'éphémère loi UMP sur le « bilan positif » de la colonisation, et par son refus d'assumer notre histoire telle qu'elle fut, misérable ou glorieuse, libératrice ou criminelle, qu'illustrent ses refrains dédaigneux contre une supposée « repentance ». Or, n'en déplaise à Jean Daniel, le propos de Nicolas Sarkozy à Dakar fut bien l'héritier des anciennes bonnes consciences coloniales. De ces mêmes bonnes consciences qui, aujourd'hui encore, alimentent cette croyance que des civilisations, des cultures ou des religions sont supérieures à d'autres – et, par conséquent, peuvent être imposées à d'autres, pour leur bien, forcément pour leur bien.

Certes, commençait par dire Nicolas Sarkozy, nous vous avons colonisés, exploités et esclavagisés – et ce fut mal, très mal. Mais, s'empressait-il d'ajouter, nous étions foncièrement bons, nous voulions votre bien-être et nous vous avons légué la meilleure part de nous-mêmes. A vous, maintenant, Africains, d'être à la hauteur de ce passé commun, vous qui vivez ce « drame » que « l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire ». Ce drame d'un homme foncièrement « paysan » dont l'imaginaire serait cette nature « où tout recommence toujours », imaginaire dans lequel « il n'y a pas assez de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès ». Ce drame qu'en notre siècle, un président de la République française a donc résumé ainsi, rejoignant les vieux clichés racistes sur les nègres bons enfants : « Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance. »

On saura donc gré à Ségolène Royal d'avoir, à Dakar, en notre nom demandé « pardon pour ces paroles humiliantes qui n'auraient jamais dû être prononcées et qui n'engagent pas la France ». Et d'avoir, dans un discours subtil et inspiré, rappelé cette évidence à propos du colonialisme : « Qu'il y ait eu, à cette époque, des hommes et des femmes sincères, cela est sûr. Mais on n'a rien dit quand on n'a dit que cela. Le problème est que la colonisation fut un système. Ce système doit être condamné pour ce qu'il fut : une entreprise systématique d'assujettissement et de spoliation. Les colonisés n'avaient pas le choix. Le travail forcé et le code de l'indigénat étaient la règle. Et le mépris. Et le racisme. Et la violence d'un système qui fit les uns ployés sous le joug des autres. »

  • L'expression de l'opposition

Virus contagieux, le présidentialisme corrompt notre débat public : en personnalisant son expression, il fait écran aux idées et aux principes. Peu importe, à la vérité, que la personne de Ségolène Royal exaspère certains comme elle en enthousiasme d'autres, mobilise ici et là tandis qu'elle insupporte ailleurs. La seule question qui vaille tient au contenu de sa prise de position, forme et fond mêlés. Pour ma part, sur cet épisode, je lui donne donc entièrement raison.

Aussi fais-je partie de ces Français qui, après avoir eu honte, pour leur pays, du discours de Sarkozy à Dakar en 2007, ont retrouvé leur fierté avec celui de Royal en 2009. Français qui sont loin d'être tous électeurs ou sympathisants socialistes, tant le sujet, ici, dépasse les appartenances ou sensibilités partisanes. Oui, fier tout comme Ségolène Royal elle-même — dans ce propos non seulement d'une Française née à Dakar mais d'une socialiste qui n'est pas sans connaître l'héritage discutable en ce domaine de sa vieille famille (la SFIO) ni de son propre mentor (François Mitterrand) — s'est dite « fière qu'il y ait eu en France des consciences pour s'insurger et des militants pour se porter aux côtés de ceux qui luttaient pour leur indépendance. Ceux-là défendaient nos valeurs quand la colonisation en était la négation ».

Ces paroles-là honorent la République. Cette République qui, face à Jules Ferry défendant en 1884 « le droit d'aller chez ces barbares, parce que nous avons le devoir de les civiliser » et proclamant même que « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures », avait eu la voix de Georges Clemenceau, dont voici la réplique sans appel : « Je ne comprends pas que nous n'ayons pas été unanimes à nous lever d'un seul bond pour protester violemment contre vos paroles. Non, il n'y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures. N'essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ce n'est pas le droit, c'en est la négation. »

A cette époque-là, déjà, la France n'avait pas qu'un seul visage, pas qu'un seul discours. Nous avons donc bien le droit de préférer aujourd'hui Royal à Sarkozy, comme hier Clemenceau à Ferry. Sauf à revenir aux monarchies de droit divin, dont le renversement fit nos républiques, jamais la France ne se résumera à l'occupant provisoire de son palais élyséen. Notre histoire nationale, de l'affaire Dreyfus au combat anticolonial, en passant par la France libre et la résistance intérieure, compte mille épisodes où une certaine idée éternelle de la France fut sauvée de ses incarnations institutionnelles momentanées.

S'opposer, c'est bien sûr proposer, mais c'est d'abord cela : ne pas composer, ne pas admettre, ne pas céder. Aucune alternative crédible ne se construira sur l'arrangement avec ce pouvoir tel qu'il s'affirme et s'exprime, sur des compromis douteux ou des rapprochements incestueux. Tous ceux qui, à l'inverse, jugent cette posture excessive, ridicule ou néfaste, sont les mêmes qui pensent que la présidence de Nicolas Sarkozy n'est qu'un épisode éphémère, sans gravité ni conséquence durable, de notre vie politique. Nos lecteurs savent que telle n'est pas notre analyse, tant la régression nous semble avérée, documentée par nos enquêtes et prouvée par nos révélations.

Ce diagnostic d'une régression démocratique, sociale, éthique, etc., est largement partagé, du centre démocrate à l'extrême gauche, en passant par toutes les nuances intermédiaires, socialistes, communistes, écologistes. Aussi, loin des querelles de chapelles ou des disputes d'appareil, nous importe-t-il d'abord que cette régression soit dévoilée, contestée et, si possible, arrêtée.

 

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Commentaires
P
Merci à Edwy Plenel pour cette analyse percutante.Tout est dit.
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H
Absolument remarquable !
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