Primaires à gauche : dernière solution avant le désespoir ?
Telos, par Laurent Bouvet le 23 juin 2009
http://www.telos-eu.com/fr/article/primaires_a_gauche_derniere_solution_avant_le_désespoir
Au Parti socialiste, à peine a-t-on remisé les drapeaux européens pour 2014 que l'échauffement pour la présidentielle a déjà repris. Au programme : " les primaires " ou comment être sûr de désigner le bon candidat (ou la bonne candidate...) pour gagner en 2012. Barack Obama ne le sait pas, mais il est pour beaucoup dans le retour du débat sur les primaires. Ce débat récurrent chez les socialistes français avait déjà fait rage en 2006 après les primaires de la gauche italienne et au moment de désigner le candidat pour la présidentielle de 2007. Avec l'élection d'Obama, c'est un peu comme si les socialistes français avaient redécouvert l'Amérique.
Depuis qu'il a gagné, on ne compte plus en effet les missions et autres
délégations qui franchissent l'Atlantique en quête du Graal électoral.
Il faut comprendre les socialistes ; à Solferino, les affiches des
campagnes de François Mitterrand ont jauni depuis bien longtemps dans
leurs sous-verre, et si le PS continue ainsi, il n'y aura bientôt plus
de mémoire vivante de la dernière victoire présidentielle (1988). C'est
donc en Amérique que les missionnaires socialistes pensent avoir
découvert le remède à tous leurs maux : les primaires présidentielles -
oubliant sans doute qu'avant de permettre, l'année dernière, à la
candidature Obama de s'imposer, elles ont conduit à de nombreuses
reprises à bien des errements du côté démocrate.
Comme l'ont souligné les
experts du groupe de travail de la Fondation
Terra Nova, il n'est pas facile d'acclimater une telle pratique
en France.
Ils mettent en évidence
trois modèles.
Les primaires " à
l'italienne ", ouvertes à toute la gauche mais qu'ils
écartent immédiatement parce qu'elles... existent déjà dans le système
français. C'est le premier tour de l'élection présidentielle qui sert
de primaire au sein de chaque camp selon l'adage bien connu : " au
premier tour on choisit, au second, on élimine ".
Les primaires " à
l'américaine ", de type présidentiel, qui permettent de
désigner le candidat au sein d'un seul parti mais en associant les
sympathisants aux adhérents - selon des modalités qui resteraient à
définir dans le cas français. Mais si ce modèle est a priori le mieux
adapté à la présidentialisation du régime, il est également écarté, car
trop difficile à acclimater au PS dont la culture partisane (notamment
le rôle de ses militants) n'a rien à voir avec celle des partis
américains.
Ce sont donc les
primaires dites " à l'anglaise ", parce qu'inspirées du
modèle parlementaire, qui ont finalement la préférence du groupe de
Terra Nova. Il s'agit de primaires internes " élargies " qui
respecteraient mieux le fonctionnement actuel du parti tout en donnant
une cohérence au leadership socialiste puisque le Premier secrétaire
serait aussi le candidat et légitime à l'élection présidentielle
suivante.
Las, ce n'est pas la méthode que semble avoir retenue le groupe de
travail interne du PS, piloté par Arnaud Montebourg, qui préconise une
primaire ouverte à tous les sympathisants de gauche à laquelle
pourraient se présenter des socialistes comme des responsables de la
gauche " de gouvernement ", oubliant visiblement le rôle du premier
tour de l'élection présidentielle. Position qui risque
de toute manière de ne pas
faire l'unanimité au sein du parti puisqu'ils sont
nombreux à rejeter, au premier abord, une telle innovation. Ainsi,
François Hollande, Laurent Fabius, Bertrand Delanoë jusqu'ici..., ou
encore, sans doute, Martine Aubry, qui ne s'est pas clairement
prononcée, n'ont-ils pas l'air formidablement enthousiastes à l'idée
d'ouvrir portes et fenêtres au tout venant, fût-il " sympathisant " de
gauche...
D'autres,
en revanche, essentiellement parmi les " jeunes " (Pierre Moscovici,
Vincent Peillon, Arnaud Montebourg, Manuel Valls...) ou du côté de
Ségolène Royal, qui a bénéficié à plein, en 2006, de la " petite "
primaire interne au parti, font
visiblement de cette réforme une condition sine qua non de la
refondation d'un parti qu'ils rêvent d'arracher des pattes des
éléphants. Cette appétence pour une pratique qui
soulève au moins autant de questions qu'elle est censée en résoudre,
traduit chez eux l'idée que dès lors que l'on aurait solutionné " à
froid " le problème de la désignation du candidat à la présidentielle,
les errements du Parti socialiste prendraient fin. Les Américains
appellent ce genre d'illusion du wishful thinking - en français,
prendre ses désirs pour des réalités.
On peut, en effet, juger impératif que le PS prenne enfin acte de la
présidentialisation avancée du régime. Et, dès lors, qu'il ajuste son
fonctionnement interne à son ambition de gouverner le pays. Mais des primaires, aussi bien conçues
soient-elles, ne permettront jamais de passer outre le manque de projet
d'ensemble pour la société française, le lien avec un électorat solide
et diversifié, ou encore les embarras stratégiques posés par les
alliances indispensables pour espérer gagner. Une
phrase du rapport Montebourg traduit bien l'erreur fondamentale
d'analyse sous-jacente à ces considérations : " comme le montrent les
élections européennes, il y a une forte majorité progressiste mais la
faiblesse de leadership socialiste et la fragmentation de notre camp
donnent la victoire à l'UMP. "
Si bien qu'aux nombreuses
questions sur la faisabilité de primaires au PS ou à gauche
- qui vote ? qui peut s'y présenter ? qui paie ? qui contrôle ?... - s'ajoute finalement, celle,
essentielle, de leur utilité politique. Que proposera de plus au pays
un(e) candidat(e) désigné(e) suivant un tel système ?
La légitimité supposément plus grande qu'il ou elle aura acquise lui
permettra-t-elle d'être à la hauteur des enjeux ?
Barack Obama n'a pas été élu président des États-Unis parce qu'il est
passé par un système de primaires - même si l'on doit souligner que
dans le cas américain, sans les primaires, il n'aurait jamais pu
émerger et s'imposer comme il l'a fait. Il a été élu avant tout parce
qu'il a su proposer à son pays, à un moment précis de son histoire, une
vision (de son avenir notamment...) suffisamment construite, réfléchie
et structurée pour emporter largement l'adhésion. C'est cette puissance
propre qui lui a permis d'écraser la " machine " électorale démocrate
bâtie par les Clinton au cours d'une campagne exceptionnelle de
primaires et, dans la foulée, celle des conservateurs républicains.
Aucun système de
désignation des candidats à une élection, aussi démocratique et bien
conçu soit-il, ne permet de garantir la victoire finale ni même de
donner davantage de chances de l'emporter à celui qui en bénéficie -
l'expérience de la présidentielle de 2007 en France l'a bien montré
puisque celui qui a été élu n'a pas été choisi au cours de primaires
dans son parti, c'est le moins que l'on puisse dire ! Ce n'est pas là
que ça se joue. Or les socialistes français n'ont plus tant de temps
que cela devant eux pour le comprendre ; dès lors, s'arc-bouter ainsi,
et demain, peut-être, se déchirer sur la question des primaires ne leur
en fera pas gagner.
source : http://coeur-a-gauche.over-blog.com/article-33228434.html