Sondages et manipulations : Les embrouilles financières de l'Elysée
Source: Le Canard
Il faut remercier Philippe Séguin et les enquêteurs de la Cours des
comptes. Sans leur rapport sur les finances de l'Élysée, voulu par
Sarkozy, personne en dehors des lecteurs du "Canard"- n'aurait jamais
eu la certitude que la publication de certains sondages dans la presse
donne lieu à d'édifiants arrangements.
Les remarques de la Cour, rédigées dans le style inimitable de la maison, peuvent se résumer en quatre points.
- PRIMO : les commandes de ces sondages, notamment Opinion way,
l'institut favori du "figaro", et de "lci", propriété de la maison
Bouygues, n'ont donné lieu à aucun appel d'offres. Et ce contrairement
au code des marchés publics.
DEUZIO : ces commandes n'ont pas été passées directement mais par
l'intermédiaire d'une société de conseil Publifact. Laquelle est la
propriété de Patrick Buisson, un ex-directeur de "Minute" ( proche du
Front National ), promu conseiller politique de Sarko. Pour prix de ses
conseils, Patrick Buisson touche de la présidence 10 000 euros par
moois. A quoi il convient d'ajouter don salaire à la chaine Histoire,
propriété du groupe Bouygues, dont il a été bombardé, par un heureux
hasard, directeur au lendemain de l'élection de Sarko.
Ce contrat entre la société de Buisson et l'Elysée, signe dés juin
2007, par Emmanuelle Mignon, alors directeur de Sarko, est donc
doublement léonin selon la Cour.
A la suite de la visite des magistrats, en mars dernier, la présidence
de la République c'est engagée à modifier ces procédures de passation
de marché. Il était temps.
TERTIO : "Sur les 35 études facturées en 2008, assure la Cour, au moins
15 d'entre elles avaient également fait l'objet de publications dans la
presse (...)" Et les magistrats d'insister : "La comparaison des
résultats publiés dans la presse et ceux remis à la présidence ne
faisait pas apparaître de différence. On pouvait, dés lors, s'interoger
sur l'utilité des dépenses." Pour certain l'utilité est facile à
deviner.
QUARTO :"La présidence recevait l'étude accompagnée d'une facture
indiquant le titre du sondage et sa date de réalisation, sans aucun
autre élément permettant d'attester la réalité du service fait et son
coût réel." Et là arrive le coup de grâce : le cabinet conseil de
Patrick Buisson "disposait d'une totale liberté d'appréciation, ce qui
a contrario, signifiait que la présidence n'avait ni la maîtrise, ni le
controle tant de l'engagement que du montant des dépenses correspondant
à ce contrat". Bref, une pagaille insondable...
Panique chez Dassault :
A peine connues, les conclusions de la Cour ont semé un joli désordre
au "Figaro". Son directeur de la rédaction, Etienne Mougeotte, jure que
les sondages d'Opinion Way ont bien été payés par le quotidien de Serge
Dassault et que leur prix correspond au tarif habituel de ce type de
"baromètre de popularité". La société des journalistes du quotidien
s'est, elle émue de ce "type de coproduction qui nuit garvement à la
crédibilité des titres du groupe". "Le canard" n'avait pas attendu la
Cour des comptes pour s'étonner du "troupisme" entre cet institut et la
présidence de la République. Un exemple : le 18 février 2009, "le
Figaro" publiait les résultats d'un sondage Opinion Way faisant
d'Olivier Besancenot le meilleur opposant à Sarko. Juste au moment où
l'Elysée multipliait les manoeuvres pour pousser en avant le patron du
NPA afin d'accroître la division à gauche.
En fait l'astuce est vieille comme les sondages et Opinion Way n'est pas
le premier institut à pratiquer le curieux mélange des genres. Le
sondeur facture au prix fort l'Elysée ou au service d'information du
gouvernement, qui dépend de Matignon, la plus grosse part d'un sondage.
Puis il émet une autre facture d'un montant plus raisonnable au journal
qui va se faire un devoir de publier quelques-uns des résultats qui
arrangent le pouvoir en place.
Vérification laborieuse :
Le pédégé d'Opinion Way Hugues Cazenave, l'a d'ailleurs implicitement
reconnu, pour qui sait lire, dans une interview à un site internet :
"Comme tous les instituts, Opinion Way dispose d'enquêtes hebdomadaires
qui permettent à nos différents clients d'acheter des questions en
partageant les coûts fixes d'une étude : cela signifie qu'une même
enquête va être financée (...) par plusieurs clients.3 Difficile donc
de s'y retrouver, comme le reconnaît, en confidence, un enquêteur de la
Cour des comptes. Car le prix d'un sondage, paru dans tel ou tel organe
de presse, est beaucoup plus ardu à apprécier que celui d'un yaourt.
Il y a quand même un progrès. En raison des contrôles de la Cour,
désormais institutionnalisés, les sondeurs doivent a présent émettre
des factures qui ne soyons pas naifs, seront plus ou moins précises
mais qui laisseront des traces dans la comptabilité publique. C'est une
première depuis 1958, où les présidents successifs ont usé et abusé des
sondages, et, selon les intérêts du moment, les offraient à leurs
journaux, radios et télé favoris. Des enquêtes payées par les fonds
secrets ou par l'intermédiaire de conseillers comme Jacques Pilhan,
avant hier "conseiller image" de François Mitterand et hier de Jacques
Chirac. Quand ce n'était pas directement en billets entassés dans des
sacs en plastique de Monoprix oui de Prisunic.
Aujourd'hui, c'est Patrick Buisson qui se régale.
Un sondeur tout-terrain :
OPINIONWAY n'écoule pas seulement ses sondages dans le "Figaro" ou sur
LCI. Le "Nouvel Obs" (21/7) a également publié une de ses études
curieusement "coréalisée" (sic) pour la fondation Terra Nova, un machin
proche de Dominique Strauss-Khan.
Le vice président d'Opinion Way, Denis Pingaud, un ex du cabinet de
Fabius et d'Euro RSCG, est depuis des années, le conseiller de José
Bové. Il lui a d'ailleurs consacré une biographie-hagiographie. M. le
Vice Président a participé "amicalement" (sic) à la campagne de Daniel
Cohn Bendit lors des élections européennes. Opinion Way a aussi fourni
aux écolos des sondages pour les aider à définir leur stratégie.
L'Élysée, les strausskhaniens, les écolos... manque plus que Bayrou.